Virginia Woolf
de Viviane Forrester

critiqué par Lectio, le 15 août 2014
( - 75 ans)


La note:  étoiles
une légende écornée
Ce n'est pas le premier essai ni la première biographie sur Virginia Woolf, une de principales auteures anglaises modernistes et féministes. La référence en la matière revient depuis longtemps à son mari Léonard Woolf. Viviane Forrester écorne largement la version de l'époux principalement sur la folie de Virginia. Pour son récit, Viviane Forrester replace Virginia Woolf dans son contexte familial, matrimonial et son cercle de relations. Ces contextes sont essentiels pour comprendre les facettes de ce personnage qui, à 59 ans, entre dans la rivières Ouse près de Monk's house dans le village de Rodmell, les poches chargées de cailloux. Le corps fut retrouvé trois semaines plus tard. Les parents de Virginia étaient veufs lorsqu'ils se marièrent. La famille "recomposée" comprend les enfants de la première union de Julia Stephen (Georges, Stella, Gérald Duckwork ; le père, Leslie Stephen a une fille de son premier mariage, Laura, handicapée mentale qui sera internée jusqu'à la fin de sa vie. Le couple Julia et Leslie Stephen donne vie à 4 enfants : Vanessa, Thoby, VIRGINIA, Adrian. Leslie Stephen, le père donc, est éditeur et écrivain, la maman, Julia est issue d'une famille de la haute société victorienne. Tout ce petit monde vit au 22 Hyde park gate, Kensington, dans une atmosphère très intellectuelle. C'est là que, enfant, Virginia, "dévorera" la bibliothèque de son père. La mort de Julia, la mère, puis 2 ans plus tard, de la soeur Stella, ébranle fortement Virginia Stephen. Elle fera une première dépression nerveuse. La vie avec le père fut empreinte d'un confiment érotique ambigu laissant supposer des relations incestueuses. Virginia au décès de celui-ci s'effondrera complètement et devra séjourner en psychiatrie. Les enfants vendent alors la maison familiale pour s'installer 46 Gordon square dans Bloomsbury. C'est là que se forme le fameux groupe avec Lytton Strachey, Clive Bell, Saxon Sydney-Turner, Duncan Grant et le futur mari, Léonard Woolf. Groupe où les relations amicales, matrimoniales, affectives, sexuelles sont pour le moins confuses, complexes et mélangées.Virginia épouse Léonard en 1912 et leurs liens sont semblables à ceux de Bloomsbury. Viviane Forrester insiste sur le "mal être", l'ambiguïté de Léonard. Celui que son épouse surnomme "le juif sans le sou", vit mal sa judéité, son manque de fortune, et sa sexualité. Ça fait beaucoup pour celui qui confinera sa femme dans un rôle de folle fragile. Alors que les thèmes d'études autour de l'écrivain Virginia Woolf se concentrent sur son féminisme lesbien et les abus sexuels incestueux de sa jeunesse, Viviane Forrester insiste sur l'incidence des névroses profondes du fondateur de la Hogarth Press. Le seul domaine où Léonard Woolf n'interviendra jamais dans la vie de son épouse... c'est sa création littéraire, l'écriture. Pour le reste il la privera de vie sexuelle et de maternité. Virginia désirait ardemment les deux. Alors, aujourd'hui les psychiatres nomment la "folie" de Virginia troubles bipolaires. Peu importe ! Incontestablement Virginia Woolf a vécu avec ce syndrome jusqu'à faire des crises de démence (elle entendait des voix). Pour autant l'ouvrage rétablit un contexte , un milieu, une oeuvre avec un minutieux travail d'exégèse des multiples lettres et écrits de Virginia. Viviane Forrester possède ce rare talent de nous conter cette vie avec à la fois ce réalisme, cette simplicité et cette proximité qui vous donnent l'impression de côtoyer et comprendre un être si compliqué, torturé et si talentueux. Relisons après cet essai magnifique l'oeuvre de Virginia Woolf, c'est une nouvelle lecture.
Quelle famille ! 9 étoiles

Par où commencer ? Je conseillerais d’entamer le livre par la page 331 (en édition Le Livre de Poche 2022) et d’y revenir avant chaque séquence de lecture. On y trouve l’arbre généalogique de la famille de Virginia, bien pratique pour mieux appréhender, comprendre et apprécier cette biographie, ainsi que l’illustre écrivaine elle-même. Car ce ne sont pas moins de trois fratries qui vivent dans la maison familiale de Hyde Park Gate, les deux parents de Virginia ayant chacun fondé une famille avant leur veuvage et leur remariage.

Un récit d’autant plus compliqué à suivre que des associations d’idées nées dans l’esprit de Viviane Forrester lui font constamment faire des bonds en avant ou en arrière sur la ligne du temps, ce qui le rend au final bien plus vivant. On comprend d’emblée la fragilité psychologique de Virginia qui perd sa maman puis la demi-sœur qui la couvait, alors qu’elle entre à peine dans l’adolescence. Des relations incestueuses subies de la part de ses demi-frères beaucoup plus âgés, ainsi que probablement de celle de son père contribueront à la perturber gravement et durablement.

Sensible, lucide et intelligente, Virginia se rend bien compte que l’ambiance toxique et patriarcale régnante l’empêche d’être reconnue à hauteur de ses qualités et capacités, bien au-dessus de celles de son entourage. Elle se sent complètement bridée. C’est probablement la seule raison pour laquelle elle accepte d’épouser Léonard Woolf. Lui-même écrivain reconnu, on peut estimer que ce dernier aura plutôt encouragé et même favorisé la carrière de sa femme.

À l’ inverse, sur le plan conjugal et privé, elle ne pouvait sans doute plus mal tomber : il semblerait que la relation ait été plutôt du genre platonique. En outre, son mari ne fera rien pour tirer Virginia de sa détresse psychologique. Au contraire, il la considère comme atteinte de folie, raison pour laquelle il juge préférable de ne pas avoir d’enfants. Nouveau coup très dur pour Virginia qui, elle, en désirait. Dans ses moments les plus troubles, elle arrive à se convaincre elle-même de sa propre folie, mais continuera jusqu’au bout à défendre le bien-fondé de son mariage.

Heureusement, elle trouve une oreille attentive en la personne de sa sœur Vanessa avec laquelle elle a une relation très forte. Il fallait bien cette complicité pour résister aux coups de boutoir de l’existence, marquée par les décès, les incestes ou plus simplement les difficultés relationnelles. Autour des Woolf gravite un petit monde intellectuel et culturel formant le Bloomsbury group, au sein duquel les relations « ouvertes » sont très prisées. Une soupape pour Virginia.

Une vie compliquée donc, émaillée de très hauts et de très bas qui ont engendré les chefs-d’œuvre que l’on sait. Avant de terminer d’une manière hélas prévisible.

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