Chroniques
de Jean-Patrick Manchette

critiqué par AmauryWatremez, le 29 août 2014
(Evreux - 55 ans)


La note:  étoiles
Se perdre dans les « Chroniques » de Jean-Patrick Manchette
Dans mes bagages pour Pamiers, excellent village typique et tellement pittoresque du sud de notre beau pays dont les habitants sont tellement plus simples qu'au nord, j'ai emporté les « chroniques » de Manchette sur « le genre » en général, le roman noir et le « polar » en général, qui se passe sur les marges de notre société, les « classes dangereuses » qui font encore peur au bourgeois, parmi les « soldats perdus » de guerres inavouables, dans des paysages urbains de béton et de grisaille. L'on y boit sec, l'on y fume comme des pompiers (comme Manchette), les femmes y sont traitées sans égard, et je suis même certain que les personnages de « romans noirs » ne mangent pas cinq fruits et légumes par jour et qu'ils se foutent complètement du développement durable.

Il se rapproche dans ce livre de « chroniques » sur les « polars » pour « Charlie Mensuel » (celui de Choron, pas celui du copain de Carla Bruni) des écrits sur la musique de Lester Bangs, des articles « gonzo » de Hunter Thompson sur la politique ou du livre de Tom Wolfe sur le tour d'Amérique psychédélique et hallucinatoire des « Merry Pranksters », « Acid Test ». Lester, le docteur « Gonzo » et Tom Wolfe écrivaient par amour des Lettres qui sont pour eux un enjeu précisément existentiel. Ce n'est pas tellement le sujet de leurs livres qui les rend si attachants mais le style avec lequel ils en parlent, leur passion, leur rigueur d'analyse, leur subjectivité parfaitement assumée et légitime.

Je n'ai jamais bien compris pourquoi un auteur qui écrit sur la littérature ou toute autre chose devrait être objectif, il est beaucoup plus intéressant qu'il prenne le risque de choquer, de déplaire et aussi de partager ce qui le passionne autant.

Manchette est, tous les écrivains cités au-dessus le sont, d'une époque moins triste que la nôtre, il y avait dans les années 60, quand il commence à lire et écrire, et dans les années 70, un bouillonnement d'idées et de rêves que les cyniques, les vrais, appellent des illusions. Les auteurs actuels, à de rares exceptions, ont tous retenu la leçon des « petits jeunes gens réalistes » qu'évoque Bernanos dans « Les Grands Cimetières sous la Lune ». Ils font de la littérature pour ces bourgeois « libérés » qui pensent qu'aller à Clichy en « mob » le soir est une expédition tropicale ou des romans à l'eau de rose avec placements de produits comme Marc Musso ou Guillaume Lévy. Ils restent dans « leur » case, ont « leur » rond de serviette dans une émission de télé ou une autre, s'ils sont des « bons » clients bien entendu.

L'écrivain tout comme le lecteur assidu sont également de nos jours « psychanalysés », et le diagnostic tombe vite : s'ils lisent, s'ils ont le temps de lire ces salauds c'est parce que ce sont forcément des êtres narcissiques, infantiles, des inadaptés qui ne veulent surtout pas se laisser aller aux compromis de toute nature auxquels le système les enjoint de le faire, des petits compromis réputés indispensables à faire (lécher les bottes de telle ou telle figure d'autorité, y compris celles que l'on méprise, entre autres) qui s'additionnent et ouvrent sur l'abîme, un abîme de vacuité morale ne paraissant pas choquer outre mesure en 2014 en France.

L'amoureux de littérature s'oppose à ce consensus presque général et somme toute abject, il sort du rang, c'est un orgueilleux vaniteux car à notre époque toute velléité d'indépendance est considéré comme de la vanité insupportable, l'imbécile ignare étant persuadé qu'il compense son inappétence à la culture car maintenant « y a Internet » (« ouquipédia » et « gougueule » sont les deux béquilles de ces cancres assumés d'un nouveau genre).

Manchette ne parle donc pas seulement de littérature, vois tu ami lecteur, il parle aussi de notre monde où l'écriture et la lecture ne sont plus pour la plupart des gens qu'un vague souvenir perdus qu'ils sont dans l'inculturation générale due à un matraquage continuel de la publicité et, ou de la télévision qui encouragent les individus à une allégeance totale afin de pouvoir consommer encore un petit peu des « smartefônes » et autres gadgets parfaitement inutiles. Le monde de 2014 est bien pire, bien plus déshumanisé que celui où erre Martin Terrier ou Tarpon, bien plus dur, tout y a un prix y compris les personnes.