Le Royaume de Emmanuel Carrère
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Passionnant!
Que les membres du jury Goncourt aient pris la décision de ne pas le retenir dans leur sélection n'y change rien : c'est à juste titre que ce livre d'Emmanuel Carrère a été presque unanimement encensé par la critique. Pour ce qui me concerne, c'est avec des sentiments mêlés de curiosité et d'appréhension que j'en ai entrepris la lecture, appâté précisément par le nombre de commentateurs qui le désignaient comme le grand livre de cette rentrée littéraire de septembre 2014. Curiosité parce qu'il est question de ce qui me tient à cœur : le Christ, l'Evangile, la foi chrétienne, les premiers témoins de la foi. Appréhension parce que je me doutais qu'il ne s'agissait en rien d'un ouvrage apologétique, mais d'un récit critique qui, peut-être, ébranlerait peu ou prou le socle de mes propres convictions.
Le livre à présent lu, ma curiosité évidemment n'a plus lieu d'être. Quant à mes craintes, elles ont laissé place au seul plaisir d'avoir été en quelque sorte, le temps de ma lecture, le compagnon de route d'un écrivain qui écrit comme un honnête homme. Et que ce dernier se présente comme un incroyant ne m'a pas déstabilisé, mais m'a contraint à un bel effort de réflexion dont je n'ai qu'à me féliciter. Rien de tel, pour un croyant, que de se confronter à la pensée de celui qui affirme ne pas croire !
Car c'est un livre passionnant que « Le Royaume », le livre composite d'un homme qui se souvient d'avoir été croyant, il y a de cela une vingtaine d'années, et qui, tout en exprimant son effarement, ne cesse de s'interroger lui-même et, du même coup, de nous interroger, nous, les croyants d'aujourd'hui. Comme disait un de ses amis, « c'est une chose étrange, quand on y pense, que des gens normaux, intelligents, puissent croire à un truc aussi insensé que la religion chrétienne... » (p. 13). Cela paraît tellement déraisonnable en effet que, lorsque Emmanuel Carrère explore sa conversion de 1990 et ses propres années de croyant, il le fait constamment sur le ton de la surprise et de la consternation. La lettre qu'il écrivit à sa marraine au moment de sa conversion lui semble aujourd'hui « sonner faux » (pp. 54-55). De même les méditations qu'il écrivait sur l'Evangile de Jean et qui, lorsqu'il les relit, le plongent dans la stupéfaction ! (pp. 60 et ss.).
Devenu donc, comme il le dit, « un sceptique, un agnostique », s'il affirme aussitôt « s'en porter bien », il n'en éprouve pas moins le besoin, voire la nécessité, de rouvrir le dossier et d'enquêter sur les origines et la singularité du christianisme. Nous sommes prévenus, ce qu'il entreprend, c'est à la manière d'un de ceux qu'il considère comme un maître et dont les ouvrages restent toujours à portée de sa main, Ernest Renan. Comme ce dernier, il se lance dans l'aventure de relire, d'explorer et d'interpréter en non-croyant non pas tant la vie de Jésus, mais les premiers âges du christianisme (ou de ce qu'on appellera plus tard le christianisme). Et il le fait en empruntant deux portes, comme il le dit, c'est-à-dire en suivant les pas de deux des plus grands témoins du christianisme naissant, Paul et Luc.
Encore une fois, je le dis et le répète pour ceux de mes lecteurs qui sont croyants, acceptons de bonne grâce que les Lettres de Paul, le livre des Actes des Apôtres et l'ensemble du Nouveau Testament puissent être lus et examinés autrement que d'une manière apologétique. Il sera même bon et profitable à plus d'un de lire des commentaires et des supputations autres que celles auxquelles on est habitué. Pour d'autres, il est vrai, les allégations faites par l'auteur du « Royaume » seront probablement perturbantes ou provoqueront une réaction de rejet.
Pour ce qui me concerne, j'ai apprécié d'être bousculé, malmené par le voyage entrepris en compagnie d'Emmanuel Carrère et par le regard peu orthodoxe qu'il porte sur ces deux grandes figures que sont Paul et Luc. Suivre les pas de ces derniers, c'est aussi (et surtout quand il s'agit de Luc), s'aventurer sur le terrain glissant des hypothèses. De Luc, on sait en vérité bien peu de choses. Mais Emmanuel Carrère choisit pourtant de s'attacher à sa personne et, du même coup, d'émettre nombres de suppositions. Le travail qu'il fait est à la fois travail d'exégète, d'historien et de romancier. Mais c'est avec sérieux qu'Emmanuel Carrère avance des hypothèses au sujet de Paul et surtout de Luc. Jamais elles ne sont gratuites ! Au contraire, il justifie soigneusement chacune d'elles et ne craint pas d'énoncer, si besoin est, les autres hypothèses possibles. « Paul était un génie, écrit-il, planant très loin au-dessus du commun des mortels, Luc un simple chroniqueur qui n'a jamais cherché à s'exempter du lot. » (p. 486). Face à la majesté et à la rudesse de Paul, Luc est décrit en effet comme l'homme de la conciliation, celui qui « pense que la vérité a toujours un pied dans le camp adverse. » (p. 466). Evidemment, personne ne sera contraint d'accepter béatement les portraits ainsi tracés par l'auteur, mais il faut admettre qu'ils sont toujours fondés et solidement étayés.
Et puis, Emanuel Carrère ne manque pas une occasion de rappeler au lecteur que c'est lui qui raconte et qu'il ne prétend nullement imposer sa lecture à qui que ce soit. Le recours fréquent à la première personne du singulier, au « je », a, paraît-il, agacé l'un ou l'autre critique, parmi lesquels Bernard Pivot, reprochant à l'auteur du « Royaume » le péché d'égoïsme. Mon Dieu ! Il me semble au contraire que c'est là une des grandes qualités de ce livre. Plutôt que de suivre la route tracée par nombre de romanciers écrivant des œuvres à fondement historique et qui rédigent soigneusement leur œuvre sans jamais user du « je », de peur de rappeler au lecteur que ce qu'il lit n'est rien d'autre qu'un regard singulier, celui d'un homme (ou d'une femme, car je pense, entre autres, à Marguerite Yourcenar écrivant « Mémoires d'Hadrien »), Emmanuel Carrère ne manque pas une occasion de dire et de répéter que c'est lui qui écrit, racontant volontiers des épisodes de sa vie et de son cheminement. C'est une des raisons qui me font dire que, décidément, « Le Royaume » est l'ouvrage d'un honnête homme.
Un honnête homme qui sait très bien, d'ailleurs, que ce qu'il raconte, que ce qu'il affirme, s'arrête précisément là où commence le mystère de la foi. Il a conscience, et il le dit, d'écrire le plus souvent, à la manière des « sages et des savants » dont Jésus recommandait de se méfier. Les dernières pages du « Royaume », cependant, nous font entrevoir autre chose, une autre réalité, celle qui demeurera toujours mystérieuse et qu'on trouve chez les « plus petits », en l'occurrence, pour Emmanuel Carrère, à l'Arche de Jean Vanier. « Ce livre que j'achève là, dit-il, je l'ai écrit de bonne foi, mais ce qu'il tente d'approcher est tellement plus grand que moi que cette bonne foi, je le sais, est dérisoire. Je l'ai écrit encombré de ce que je suis : un intelligent, un riche, un homme d'en haut : autant de handicaps pour entrer dans le Royaume. Quand même, j'ai essayé. » (p. 630).
Les éditions
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Le Royaume
de Carrère, Emmanuel
P.O.L.
ISBN : 9782818021187 ; 23,90 € ; 28/08/2014 ; 640 p. ; Broché -
Le royaume [Texte imprimé] Emmanuel Carrère
de Carrère, Emmanuel
Gallimard / Collection Folio
ISBN : 9782070793464 ; EUR 8,90 ; 25/08/2016 ; 608 p. ; Poche
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Les critiques éclairs (18)
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Un petit choc littéraire
Critique de Pacmann (Tamise, Inscrit le 2 février 2012, 59 ans) - 30 septembre 2017
Emmanuel Carrère, se définissant comme ex-croyant, voire au mieux agnostique, effectue une enquête sur la naissance de la religion chrétienne et son véritable initiateur, Saint-Paul.
Son livre a d’ailleurs failli s’intituler « L’enquête de Luc », soit du nom de l’évangéliste qui a accompagné Saint-Paul pendant une partie de son périple à travers la Grèce, la Turquie, le Moyen-Orient et enfin Rome.
L’auteur intègre à ce récit des éléments de son propre parcours et fait de nombreuses références soit à des livres (pas uniquement les siens) , soit à des œuvres cinématographiques (pas non plus celles auxquelles il a participé). J’avoue sans honte avoir exploré certaines de ces références, du moins celles que je connaissais pas encore. Bien sûr, ce que d’aucuns qualifieront de cabotinage pourrait exaspérer le lecteur, mais il faut selon moi tolérer ce qui fait partie du style maison.
C’est sans doute parce qu’il n’est pas véritablement un roman qu’il n’a pas obtenu le Goncourt, mais immanquablement, il s’agit d’un bouquin à ne pas manquer, « Meilleur livre de l'année 2014 » selon la revue "Lire".
Lecture de la première lettre de St Paul apôtre aux Corinthiens
Critique de Guigomas (Valenciennes, Inscrit le 1 juillet 2005, 55 ans) - 22 février 2016
Combien de fois ai-je entendu ces paroles ? Et jamais je n’ai vraiment eu la curiosité d’en savoir plus sur ce Paul et ces Corinthiens, ces Galates et ces Ephésiens… Emmanuel Carrère, lui, si. Et il nous livre une enquête passionnante et de lecture agréable sur les premiers chrétiens, en s’attachant principalement à Paul et à Luc. Il ne cache pas les lacunes historiques que le romancier comble quand l’historien est muet. C’est brillant, et on a envie d’en savoir plus en refermant ce livre.
Exceptionnel!
Critique de Yeaker (Blace (69), Inscrit le 10 mars 2010, 51 ans) - 18 novembre 2015
Il y ici foison d’éléments de réflexion. Une nourriture à dévorer un crayon à la main et une bible à portée.
Il m’arrive de me demander quels romanciers français laisseront une trace littéraire dans un siècle. Et bien je pense que dans les meilleures chances il y a Carrère qui poursuit une œuvre originale à la fois différente par ses thèmes et pourtant s’inscrivant dans une continuité par sa part autobiographique.
Excellente lecture
Une lecture personnelle et didactique des débuts du christianisme.
Critique de Fabs (, Inscrit le 17 novembre 2011, 40 ans) - 8 octobre 2015
L’Ultime secret du Christ – Jose Rodrigues Dos Santos pour une enquête plus haletante ou L’évangile selon Pilate d’EE.Scmitt, pour le coté romanesque proposent tous les deux une lecture plus haletante.
La première partie du livre est sans grand intérêt; une écriture personnifiée souvent énervante dans un style de dissertation littéraire d’élève de terminale ponctué de détails privés inconsistants.
Le lecteur gagne au fil des pages à s’accrocher car cela va de « mal en mieux ».
Questionnements
Critique de Hamilcar (PARIS, Inscrit le 1 septembre 2010, 69 ans) - 4 juin 2015
Car c'est un travail intéressant que de mettre en lumière les écrits de Paul et Luc. C'est encore avec plus d'intérêt peut être qu'on en prend connaissance. Même si l'on peut déplorer certaines digressions et des parallèles souvent hasardeux, on ne peut que reconnaître la valeur d'un tel texte pour ce qu'il amène à penser. Au final, ne pas savoir n'a aucune importance. Chercher à comprendre est une autre chose. C'est ce à quoi nous invite Emmanuel Carrère avec le Royaume. J'ai juste envie d'ajouter pour inviter à sa lecture :"Heureux ceux qui s'accrochent à la lecture de la première partie, ils connaîtront le bonheur de lire les trois suivantes".
Le Royaume possible
Critique de Bluewitch (Charleroi, Inscrite le 20 février 2001, 45 ans) - 26 mai 2015
"Non, je ne crois pas que Jésus soit ressuscité. Je ne crois pas qu'un homme soit revenu d'entre les morts. Seulement, qu'on puisse le croire, et de l'avoir cru moi-même, cela m'intrigue, cela me fascine, cela me trouble, cela me bouleverse. (…) J'écris ce livre pour ne pas me figurer que j'en sais plus long, ne le croyant plus, que ceux qui le croient, et que moi-même quand je le croyais. J'écris ce livre pour ne pas abonder dans mon sens."
Pendant trois ans, l'auteur a été un fervent chrétien. Croyant assidu, intellectuel mystique, il a, pendant cette période, noirci des cahiers entiers de notes inspirées par la lecture de la Bible, plus précisément de l'évangile selon Jean, et de ses recherches. Bien des années plus tard, Emmanuel Carrère ne croit plus. On ne sait pas - on ne saura jamais - ce qui a provoqué ce revirement spirituel et, il nous le fait comprendre, là n'est pas l'objet du livre. Ce qui l'ébahit, et ce sur quoi il construira son ouvrage, c'est cette réalité ahurissante qu'est la croyance d'êtres normaux à cette mythologie fabuleuse qu'est le christianisme. Et, bien entendu, qu'il ait été l'un d'entre eux.
Même si le Royaume est le fruit de recherches monumentales, l'auteur ne prétend jamais en faire un livre purement historique. Il ose combler les vides, émettre des hypothèses là où règnent les blancs, jouer la carte du "pas impossible" voire du probable. Et c'est ainsi que se structure son enquête passionnante sur la vie des premiers chrétiens, sur les balbutiements d'une religion qui connaissait encore mal son nom, qui ne se hiérarchisait pas encore comme aujourd'hui et s'est vue éclore parmi les esclaves et les pauvres avant tout. Il lui fallait des héros, des personnages centraux : ce seront Paul et Luc qui endosseront les rôles. Paul, irascible, colérique, orgueilleux mais leader évident des premiers pas du christianisme. Luc, prosélyte grec pacifiste et cultivé, le plus nuancé des évangélistes mais aussi de ses contemporains, fasciné par le judaïsme et par cette nouvelle doctrine, surprenante et à contre-courant, professée par Paul.
Bien entendu, au-delà de ce récit aux accents rocambolesques mais néanmoins finement et richement étayé, il y a ce parcours au sein d'une succession de dualités, d'observations critiques, d'opinions jamais unilatérales, à l'image de Luc qui semblait toujours concevoir avec nuance les arguments de chacun dans la défense de ses croyances. Luc auquel Carrère s'identifie particulièrement, Luc l'écrivain, Luc l'historien. Carrère observe avec distance et pourtant acuité sa propre période mystique, aussi lointaine qu'elle puisse être, elle semble demeurer une zone sensible qu'il réactive sans retenue. On pourra peut-être reprocher à Carrère cette approche nombriliste pour laquelle il est bien connu, entamant le livre avec une partie - Prologue et Une crise - fortement centrée sur lui-même, très bavarde. Pour passer au-delà de cette dernière, ce qui en vaut plus que la peine, certains devront clairement se faire violence. Cette approche biographique risque de freiner les plus chrétiens de ses lecteurs. En même temps, elle pimente le récit d'une façon, certes provocante, lui apportant aussi un éclat d'actualité, ce qui fait de cette enquête historique fouillée un livre captivant dont on lâche la lecture avec peine.
N'en demeure pas moins que cette démarche, celle de l'écriture du Royaume, est une démarche d'honnêteté, qui dévoile ses limites en même temps que l'étendue considérable du chemin parcouru. Celle aussi d'un homme qui se sait intellectuel, rationnel, là où la foi qu'il a touchée de près un jour et à laquelle il ne demande pas de revenir, est affaire de mystère. Un mystère qui le dépasse, qu'il respecte, et auquel il s'abandonne, ce que nous raconte l'épilogue et sa rencontre avec les handicapés de l'Arche de Vannier.
Livre inclassable, érudit, passionnant et intègre, Le Royaume reflète tout ce que sait l'auteur. Et aussi tout ce qu'il ne sait pas. Ce qui exige une bonne dose d'humilité.
J'ai lu la moitié.
Critique de Gabri (, Inscrite le 28 juillet 2006, 38 ans) - 7 avril 2015
Puis on arrive au cœur du récit, à la raison d'être de cette brique comptant tout de même plus de 600 pages; l'enquête sur les débuts du christianisme. Malgré toute ma bonne foi, la magie de ce livre n'a pas opéré pour moi. Les innombrables personnages, lieux, références à la mythologie grecque ou à l'Antiquité m'ont perdue plus d'une fois, mais j'ai persévéré en croyant qu'on posait les bases nécessaires pour nous amener au cœur du roman... Mais le "roman" que j'attendais n'est pas venu. Après des pages et des pages lues et tournées patiemment en espérant que l'histoire, pas celle des évangiles mais celle du livre que je croyais avoir entre les mains commence, je suis devenue cynique. J'ai commencé à compter le nombre de références étalées en condensé. Dans un tout petit paragraphe, on nous parle de Lotophages, du cyclope Polyphème, de la magicienne Circé, la nymphe Calypso, Ulysse, l'île d'Ithaque, Pénélope et de son fils Télémaque. Sur la page suivante, une phrase: "J'ignore ce qu'en pensent Sopatros, Tychique, Trophime". À défaut d'un solide intérêt pour le christianisme ou l'Antiquité qui éveillerait la curiosité lors de références un peu floues, il faut à tout le moins une bonne dose de connaissances historiques pour arriver à suivre l'histoire sans n'en perdre jamais le fil. Je ressors de cette lecture avec l'impression que ce livre n'est pas un roman (à la défense de l'auteur, j'ai constaté après sur la quatrième de couverture qu'il parle de parcourir le Nouveau Testament non en "romancier", mais en enquêteur). Je ressors aussi avec l'impression qu'on ne s'adresse pas ici au grand public et qu'avoir aimé les précédents romans de Carrère n'annonce aucun présage particulier; nous sommes ici ailleurs.
Paroles d'évangiles
Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 66 ans) - 22 mars 2015
Que l'on soit croyant ou pas, la plume de Carrère nous emmène dans le récit de ces vies, il y 2000 ans; excellent romancier, il utilise un langage moderne et alerte, interpellant le lecteur, tout en essayant d'être le plus véridique possible, citant ses principales sources sans alourdir le récit, travail d'enquêteur de longue haleine et d'une très grande honnêteté. Jamais l'auteur ne se pose en donneur de leçons, insistant toujours sur le pourquoi de ses hypothèses et sur les raisons de ses choix. Sans oublier l'humour et l'audace.
Dire de Jacques qu'il est une "personnage respectable mais bas de plafond" m'a fait sourire.
Associer le visage de la Vierge Marie à une vidéo pornographique, là aussi, il fallait oser.
Personnellement, c'est la première partie qui m'a le plus touchée. Ayant en commun l'âge et une "naissance catholique", je m'y suis complètement retrouvée dans son questionnement sur la foi, la religion, l'existence de Dieu et le sens des rites chrétiens, dans "la théorie du pas impossible", territoire où se déploie une grande partie de ce livre.
Touchée aussi par cette franchise, cette confession intime et profondément sage.
Telle une parabole sur le sens de la vie, l'auteur commence par des certitudes, puis par les inverser avant d'avoir des doutes et de les accepter, grande sagesse, d'après moi. Il a cru, puis sûr de ne plus croire, il n'a plus aucune certitude.
"Non, je ne crois pas que Jésus soit ressuscité.. seulement qu'on puisse le croire, et l'avoir cru moi-même, cela m'intrigue, cela me fascine, cela me trouble, cela me bouleverse. J'écris ce livre pour ne pas me figurer que j'en sais plus long, ne le croyant plus, que ceux qui le croient et que moi-même quand je le croyais. J'écris ce livre pour ne pas abonder dans mon sens."
Et l'auteur finira avec ces derniers mots superbes "Je ne sais pas."
Une fameuse brique.
Critique de Monocle (tournai, Inscrit le 19 février 2010, 64 ans) - 19 mars 2015
L'auteur s'en explique d'ailleurs. Je le cite : " J'aime quand on me raconte une histoire savoir qui me la raconte. C'est pour cela que j'aime les récits à la première personne".
Bref, à part Limonov, je n'ai pas beaucoup de sympathie pour ses écrits, mais je dois admettre qu'ici son travail de recherche est de qualité. Un boulot de fourmi qui a dû prendre des milliers d'heures de recherches et de recoupements. Bravo.
Le résultat est un épais bouquin avec de merveilleux passages, fouillés, bourrés d'un esprit critique qui mérite des louages.
Toutefois l'ensemble est vraiment très ardu.
Il faut être (je pense) sacrément intéressé par le sujet de la religion pour parvenir à la dernière page.
Je ne peux m'empêcher de citer cette curieuse remarque : "... Cet évangéliste Jean, était ce Jean l'apôtre ou Jean l'ancien, était-il juif ou grec, je m'en suis beaucoup soucié en écrivant mon livre, maintenant que j'ai fini mon livre je m'en fous, quelle importance ?"
Commentaires sur les évangiles
Critique de Chene (Tours, Inscrit le 8 juillet 2009, 54 ans) - 26 février 2015
Ce livre méritait le Goncourt tout comme le voyage au bout de la nuit de Céline, en son temps, mais bon... Il devrait tout comme le voyage, durer dans le temps et traverser les époques.
Il m'a donné envie de lire "la guerre des juifs" de Flavius Josèphe et "les lettres à Lucilius" de Sénèque.
Captivant et beau.
Pierre, Paul, Jacques et les autres...
Critique de Elko (Niort, Inscrit le 23 mars 2010, 48 ans) - 21 février 2015
Il est intéressant de constater que très tôt des courants divergents ont émergé, engendrant des luttes de pouvoir et de doctrine parfois violentes. Ces sensibilités ont donné lieu à de nombreux écrits, qui pour témoigner, qui pour asseoir une autorité ou une vérité. Dans un souci de syncrétisme artificiel donc bancal, ces écrits ont par la suite été compilés dans le Nouveau Testament.
Emmanuel Carrère ne se pose ni comme un historien ni comme un mystique religieux mais comme ce qu'il est : un écrivain. Avec tout ce que cela comporte de subjectivité (notamment par ses choix à chaque alternative narrative possible) et d'imagination (pour combler les manques). Et cette liberté de ton, cette honnêteté affichée, ce parti pris assumé, offrent un récit vivant et passionnant. Intime aussi, puisqu'il est beaucoup question de sa relation à la foi chrétienne.
Fabuleux Carrère
Critique de Anna Rose (, Inscrite le 3 octobre 2006, 52 ans) - 4 février 2015
Je suis enrichie d'un savoir que l'auteur déroule non sans humour, comme une soupape dans ce périple des chrétiens au début de l'ère nouvelle.
Raison et foi
Critique de Pascale Ew. (, Inscrite le 8 septembre 2006, 57 ans) - 25 janvier 2015
Emmanuel Carrère a entrepris la gigantesque tâche de relater les origines historiques des différentes parties du Nouveau Testament, de manière la plus honnête possible (selon lui), tout en y insérant une bonne part de ses intuitions personnelles. Ce livre parle autant, sinon plus, de son auteur que du thème abordé, comme dans tous les livres de Carrère. Ce dernier prend bien soin de déclarer et de répéter qu'il fut croyant et qu'il eut une période bien précise de sa vie où il fut un chrétien convaincu et ultra-pratiquant, mais qu'à présent, il est revenu à la "raison". Car c'est bien de cela qu'il traite : il tente de décortiquer les faits qui ont mené à la construction de la foi chrétienne en partant chronologiquement des lettres de St Paul et autres, des actes des apôtres, de l'apocalypse et des évangiles. Il suit principalement Paul et puis, Luc dans leurs pérégrinations.
On peut se demander pourquoi l'auteur se défend si vivement d'être encore croyant (comme si cela aurait biaisé son jugement), pourquoi il semble être passé du tout à rien (ou inversement) (comme s'il ne pouvait que vivre dans l'excès ou l'extrême) et je ne peux m'empêcher de ressentir un malaise lorsqu'il se décrit lui-même autrefois croyant. En effet, sans vouloir juger et ne pouvant que me baser sur ce que l'auteur dit de lui-même, on dirait qu'il a vécu sa foi de manière extrêmement volontariste, à la force du poignet.
Il n'en reste pas moins que cette somme est très intéressante et offre des perspectives très relativistes de la création des textes bibliques ainsi que des relations entre ses divers protagonistes.
Et je retire de cette analyse très personnelle la conclusion que, même si la foi se base sur des textes et des histoires très humains et donc par définition imprécis voire peut-être erronés, cela ne l'a pas empêché de s'étendre dans l'espace et dans le temps, preuve que l'Esprit Saint a beaucoup travaillé et peut de grandes choses malgré nos faibles moyens.
L'enquête de Luc
Critique de Ndeprez (, Inscrit le 22 décembre 2011, 48 ans) - 16 décembre 2014
C'est une belle épopée que nous offre Emmanuel Carrère, avec un livre très précis avec un style certes parfois énervant, mais dont certains traits d'humour rattrapent le reste.
Entrez dans le royaume .... même si vous êtes un "bouffeur de curés" !
La version Carrère
Critique de Killing79 (Chamalieres, Inscrit le 28 octobre 2010, 45 ans) - 11 novembre 2014
Je suis donc globalement déçu par rapport à mes attentes, mais je ressors comme toujours grandi de la lecture du prétentieux Emmanuel Carrère.
Autour du château. Lequel ? Celui de Sainte Thérèse d'Avila ou celui de Kafka ?
Critique de Christian Palvadeau (, Inscrit le 19 janvier 2011, 60 ans) - 10 novembre 2014
Emmanuel Carrère a connu durant trois ans de sa vie une forte ferveur religieuse avant que tout ne cesse presque aussi brutalement que cela avait commencé. Il se penche à nouveau sur cette période lointaine, presque oubliée, reprend de vieux écrits dans des cahiers qui dorment dans un placard depuis de nombreuses années. La partie « la crise », très intéressante, est introspective. La suite est une réflexion et des hypothèses émises sur la construction des Evangiles, des Actes des apôtres et sur l’histoire des débuts du christianisme. Un travail savant et de longue haleine.
Ce qui me marque le plus dans « Le Royaume » de Carrère c'est cette façon de dire que durant sa crise religieuse il était convaincu qu'elle ne pouvait déboucher que sur la vérité, l'absolu, la révélation ou bien l'effondrement complet de l'être. Qu'au final il la regarde aujourd'hui comme Picasso regardait sa période rose ou bleue, ni plus ni moins.
Il ne veut pas la revivre. Et pourtant elle semble totalement constitutive de ce qu'il est et il y revient, la réactive. Refuse de toute son énergie l'éventualité de rencontrer à nouveau la grâce mais tournicote sans cesse autour du château après s'être retrouvé une fois dans la cour de celui-ci. Ne veut la revivre mais ne peut la nier. Veut se moquer de ce à quoi il a adhéré mais ne peut cacher sa fascination pour le Message. Met une certaine distance avec l’émotion en se claquemurant dans une certaine forme d’intellectualisme mais termine son livre les larmes aux yeux devant la joie spontanée d’une jeune trisomique dans la communauté de l’Arche de Jean Vanier. A-t-on trahi ce que nous avons été, ce que nous avons reçu ? Sommes-nous condamnés à ne toucher que du doigt certaines choses car l’Homme est inapte à l’absolu ?
Carrère donne l’impression de vouloir revenir sur cette période pour la fermer définitivement alors qu’il ne fait que la rouvrir sans vouloir y réentrer, vouloir ne plus en parler tout en ne faisant que d’en parler. Je suis la plaie et le couteau disait Baudelaire, je suis le soufflet et la joue… Troublant.
Un livre qui aura pour certains d’entre nous bien des résonances.
Une enquête passionnante
Critique de Saule (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 59 ans) - 8 novembre 2014
Le fait qu'il ait été croyant et qu'il ne l'est plus lui donne la légitimité pour écrire sur le christianisme, explique-t-il. Un peu comme Renan, un auteur incontournable pour ses travaux historiques sur le christianisme, qui avait été mis à l'index. Carrère est en outre un excellent conteur et il possède une connaissance encyclopédique du sujet. Résultat : son enquête sur les origines du christianisme est passionnante. Cette histoire, c'est celle d'une poignée d'illuminés adeptes d'un gourou guérisseur qui sont parvenu à imposer une doctrine qui parle de résurrection des morts à l'empire romain.
En réalité on ne sait pas grand chose de Saint Luc, mais sous la plume de l'auteur il prend réellement vie, et on l'aime bien ce brave médecin Macédonien de la classe moyenne qui accompagne Saint Paul. Saint Paul, c'est le génie, le fou de Dieu. Saint Luc, lui, est limité. C'est un simple chroniqueur, c'est le brave type embarqué dans une aventure qui le dépasse, qui découvre le christianisme avec Saint Paul et ses fulgurances théologiques. Il fera le récit des années passées avec Paul dans les actes des apôtres. Plus tard, à Jérusalem, Saint Luc rencontrera des témoins directs de Jésus, et il trouvera la matière de son évangile (l'évangile de Saint Luc) car il tenait à raconter cette histoire à sa manière, pour un public non juif. Carrère considère Luc du point de vue d'un collègue écrivain, n'hésitant pas à admirer son sens de la mise en scène, à pointer les passages qui selon lui sont inventés et à mettre en avant ses astuces narratives. Bien sûr, c'est du roman, mais tout ce que dit Carrère est plausible et lorsqu'il parle en son nom propre il le spécifie chaque fois.
Un aspect qui m'a étonné, c'est la rivalité que met en exergue Carrère entre Saint Paul et les pionniers de la religion chrétienne (une religion qui n'existait pas encore en réalité) qu'étaient Saint Jacques et Saint Pierre. Saint Luc, de bonne composition, a tendance à minimiser les dissensions, mais d'après Carrère c'était la guerre ouverte. Saint Paul c'est le plus brillant, mais il n'a pas connu Jésus. Il sera réellement le "fondateur" du christianisme. Saint Pierre et Saint Jacques sont juifs et veulent garder la pratique juive, ils se méfient de Paul. Cette guerre causera la mort de Saint Paul. Mais ensuite, après la chute du temple et la répression terrible de la révolte des juifs, ce sera l'inverse : les juifs seront mal vus et le christianisme s'affranchira de la judéité, ce qui lui permettra de conquérir l'empire romain (il faudra encore deux siècles pour que ça arrive). Saint Jean, par contre, n'a pas un beau rôle dans le roman de Carrère. Il faut dire que l'apocalypse ne donne pas une idée sympathique de celui qui l'a écrit !
Ce roman est écrit avec brio, c'est un siècle d'histoire racontée de manière très vivante, avec plein d'anecdotes et d'explications historiques. Carrère n'hésite pas à parler de lui, il aime se mettre en scène en train d'écrire son livre : j'aime bien cette manière de procéder même si ce n'est pas toujours réussi (cfr critique de Bernard2, au sujet de la masturbation). Il actualise l'histoire aussi, de manière pédagogique : ainsi la lutte entre Jacques et Paul évoque chez lui celle entre Staline et Trotski, la répression romaine des intégristes juifs lui évoque Poutine,...
Outre l'aspect roman et l'aspect historique, ce livre donne à penser au chrétien que je suis. L'auteur est honnête, respectueux et très brillant. Ses réflexions sur le royaume sont étonnantes, je partage grâce à lui son étonnement sur certaines paraboles sur le Royaume dans Saint Luc qu'on a tendance à mettre sous le tapis mais qui sont pourtant bel et bien dans l'évangile (l'intendant malhonnête, le juge non intègre, les ouvriers de la dernière heure, ...) Quant à la grande question, celle du Royaume, et l'autre grande question, celle de la résurrection, je ne suis pas sur de vouloir me fixer là-dessus et de juger ma foi à cette aune. Saint Paul coupe le monde en deux, ceux qui croient en la résurrection et les autres, des autres qui ne peuvent pas être chrétiens car sans la résurrection tout le reste n'est que du vent. Mais je ne suis pas de cet avis, d'une part que veut-on dire par "la résurrection" ? Faut-il y croire littéralement ? Et puis j'aime bien parfois suivre Saint Jacques (dont les lettres auraient été écrites par Saint Luc, imagine Carrère), Saint Jacques qui place l'exercice de la charité avant la foi (au contraire de Saint Paul chez qui tout est justifié par la foi).
Au final j'ai trouvé ce roman une grande réussite, l'histoire passionnante de Saint Paul et de son compagnon Saint Luc, racontée par un très bon conteur avec une énorme érudition et un grand travail d'historien. L'auteur n'hésite pas à se mettre en scène ni à faire appel à l'actualité pour rendre le récit actuel et vivant, c'est un procédé que j'ai bien aimé.
Bôf...
Critique de Bernard2 (DAX, Inscrit le 13 mai 2004, 75 ans) - 20 octobre 2014
C'est pourtant ce qui est arrivé à Emmanuel Carrère, sans que l'on comprenne vraiment pourquoi. Il nous livre ses réflexions, marquées d'érudition, sur le Nouveau Testament, qui à l'évidence continue à profondément le marquer.
C'est d'ailleurs là le côté contradictoire du livre. Pourquoi tous ces détails, tous ces développements, pour nous laisser entendre qu'ils sont sans doute totalement faux ?
J'ai failli arrêter la lecture lorsque l'auteur compare les personnages peints dans les tableaux religieux (certains imaginaires, certains inspirés par des personnes réelles connues du peintre) à des actrices de films pornographiques, lesquelles simulent et d'autres non. Et sur des pages et des pages ! Quel intérêt, sinon cultiver à loisir le mauvais goût et la provocation... Il est vrai que l'auteur manie l'humour avec souvent beaucoup de maladresse.
Mais j'ai continué, espérant trouver un développement sur les miracles. Je ne parle pas de ceux rapportés par la Bible, sans doute imaginaires, mais de ceux plus récents, dont on peut douter certes, mais qui ont tout de même fait l'objet d'observations sérieuses et de rapports contradictoires. Or là, c'est pratiquement le silence. Seule observation que j'ai relevée : « Nous, les modernes, aimons mieux oublier les miracles, les cacher sous le tapis. Nous …. préférons détourner nos regards de Lourdes ou de Medjugordjé ». Un peu court pour un livre de 640 pages !
Si vous êtes tenté(e) par la lecture de ce livre, je ne peux que vous recommander de lire auparavant avec attention la critique de Poet75, tant elle est remarquable, détaillée et précise. Je ne me suis permis que d'ajouter certaines observations complémentaires, jugeant inutile de faire double emploi. Et si mon jugement global sur ce livre est différent du sien, il n'y a là que l'expression d'une divergence de sensibilité. Ce qui tend à prouver qu'un tel ouvrage ne laisse pas indifférent, quelle que soit la manière dont on le perçoit.
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