S'abandonner à vivre
de Sylvain Tesson

critiqué par Dirlandaise, le 22 septembre 2014
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
Critique sociale acerbe
Recueil de dix-neuf nouvelles soigneusement travaillées par l’auteur et aventurier fort sympathique qu’est Sylvain Tesson. L'écrivain laisse ici courir son imagination pour mettre en scène des personnages aux prises avec des situations parfois très amusantes, rocambolesques et aussi quelquefois tragiques. Les thèmes abordés sont la vie de couple, l’immigration, le racisme, le conformisme social, l’incompréhension entre proches. J’avoue préférer les livres autobiographiques de Sylvain Tesson , relatant ses expériences aventureuses mais j’ai lu ces nouvelles avec gourmandise et regrettant que ce soit terminé tellement elles sont savoureuses. L’écriture dense et dynamique de l’écrivain donne vie à des personnages en quête d’une amélioration de vie qui leur coûte souvent très cher et les plongent dans le chaos. Il privilégie la vie de couple mais explore aussi les motivations profondes d’un immigrant nigérien venu chercher fortune à Paris ainsi que d’un sniper kamikaze et de parachutistes russes. Les nouvelles sont courtes, nerveuses, variées tant par les thèmes que les réflexions qu’elles ne cessent de nous injecter dans la conscience. Seul bémol : la fin de certaines nouvelles me semble assez facile et hautement prévisible mais qu’importe puisque chacune d’elles comporte une bonne part de critique sociale acerbe tout à fait pertinente.

Sylvain Tesson nous offre ici une autre facette de son immense talent d’écrivain et cela fait plaisir de constater à quel point celui-ci est étendu et semble inépuisable. Un homme admirable doué d’une plume et surtout d’une conscience sociale à nulle autre pareille. Je relirai de temps à autre ces courtes nouvelles qui se laissent déguster lentement, phrases par phrases tellement elles sont riches et dotées d’une saveur particulière. Une érudition distillant un véritable enchantement page après page. Et dire que nous avons failli le perdre…


« Tout à l’heure, sous les sapins, des mains blanches et fines ouvriraient des écrins Cartier et des boîtes orange Hermès. Zermatt vibrait des préparatifs de la fête. Noël était la plus parfaite entreprise de détournement spirituel de l’histoire de l’humanité. On avait transformé la célébration de la naissance d’un anarchiste égalitariste en un ensevelissement des êtres sous des tombereaux de cadeaux. Pour quelques heures, en ce 24 décembre, l’immense névrose européenne de l’après-guerre s’octroyait un répit, le temps d’ouvrir des paquets dans un bruit de mandibules d’insecte. » Le téléphérique.
19 nouvelles 9 étoiles

Dix-neuf nouvelles à l’image de leur auteur ; aventureuses et voyageuses …
Beaucoup tournées vers l’Est européen, vers cette Russie chère au cœur de Sylvain Tesson. J’ai relevé d’ailleurs dans une de ces nouvelles Le Père Noël un aphorisme qui me parait bien décrire la situation actuelle d’un pays administré par un despote toujours plus absolutiste de jour en jour :

»A Riga, « vieux quartier » est une expression relative, lui avait-elle écrit. « La ville a vécu toutes les guerres et subi ce génie des Russes pour saccager les choses. »

A noter également la notion de « pofigisme », dans Le train , pofigisme qui serait un néologisme créé par Sylvain Tesson à partir du mot « pofigizma ».
In « Un mot par jour » :
« Peut-être de « pofigizma », mot russe qui signifie attitude face à l’absurdité du monde et l’imprévisibilité des événements.
Sylvain tesson en donne une définition dans son livre « S’abandonner à vivre » chez Gallimard.
Le pofigisme est une résignation joyeuse, désespérée face à ce qui advient. Les adeptes du pofigisme, écrasés par l’inéluctabilité des choses, ne comprennent pas qu’on s’agite dans l’existence. Ils accueillent les oscillations du destin sans chercher à en entraver l’élan. Ils s’abandonnent à vivre. »

Oui, il est beaucoup question de Russie dans ces nouvelles. Mais pas que. France, Suisse, Afghanistan, Chine, Niger, … Un bonheur de voyages. Un bonheur de lectures intelligentes, sensibles, aussi.
Sylvain Tesson a indéniablement une conscience sociale développée et les péripéties de l’âme humaine font le sel de ces nouvelles. Ce n’est pas l’art du voyage qui est le sujet ici, mais bien ce que le voyage peut amener de découvertes. Ou pas.

Tistou - - 68 ans - 23 novembre 2022


comment tout savoir sur les russes sans trop se fatiguer 10 étoiles

Au premier plan de l’actualité en cette période tourmentée, la Russie interroge. Qui sont ces Russes dont on parle tant ? Et que se passe-t-il donc dans leur tête ? En bref, être russe, c’est quoi ? Sylvain Tesson, grand connaisseur de l’âme slave au bout de ses nombreux voyages, dont témoigne largement son œuvre littéraire, nous en fournit quelques savoureux échantillons dans ce recueil de 19 nouvelles, toutes d’une excellente tenue et d’une grande qualité d’écriture. Avec son art consommé de la chute, toujours inattendue, l'auteur nous emmène dans ce pays si nostalgique de sa gloire passée, plus imaginaire que réelle, qu’il s’agisse de l’époque soviétique comme de l’ère des tsars. Mais attention, si l’humour est toujours au rendez-vous, il s’agit ici d’un humour grinçant, s’attaquant, au travers d’une description de personnages pouvant paraître exotiques à nos yeux d’occidentaux, aux aspects les moins reluisants de cette même société occidentale. Un regard salutaire sur deux cultures antagonistes qui pourraient pourtant se rapprocher si chacune osait se regarder dans un miroir…

Jfp - La Selle en Hermoy (Loiret) - 76 ans - 25 avril 2022


Apologie du pofigisme ! 8 étoiles

Sylvain Tesson (1972- ) est un écrivain et voyageur français.
Il obtient le prix Goncourt de la nouvelle en 2009, pour "Une vie à coucher dehors" et le prix Médicis essai en 2011 pour "Dans les forêts de Sibérie".
"S'abandonner à vivre" parait en 2014.

Recueil de 19 courtes nouvelles toutes aussi savoureuses les unes que les autres.
Un thème récurrent: le pofigisme (... )
Sylvain Tesson invente ce mot pour qualifier l'état de "se laisser porter par le flux des choses de la vie" plutôt que de se débattre inutilement et dépenser une énergie stérile.
S'abandonner à vivre, accepter les tourments de la vie.
Une vie qui -pour l'auteur- est une entreprise absurde et dont il est préférable de rester spectateur.
Les personnages qui gravitent dans ces histoires sont autant de souvenirs de l'écrivain voyageur que de pures fictions.

J'avoue avoir passé un excellent moment à la lecture de ces petites friandises Tessonnesques.
On retrouve la plume incisive, ironique de l'auteur.
Un regard lucide, résigné mais également amusé et distant sur notre Monde moderne.
Un très agréable moment de lecture.

Frunny - PARIS - 59 ans - 11 novembre 2017


...et à mourir 7 étoiles

Il est souvent question d'amour, de voyages, de Noëls… pas toujours heureux dans ce recueil.
Des nouvelles très variées malgré quelques prénoms, quelques endroits, quelques noms d'auteurs qu'il nous arrive de retrouver.
On se retrouve en Chine pour un voyage de noces original sur le Grand Barrage. Mais aussi au Niger, en Afghanistan, à Paris, en Bretagne...
On suivra les efforts de deux amis dans le massif du Hoggar :
"pas un geste d'humeur, pas un reproche, pas un jugement, nulle familiarité : on se côtoyait en se foutant la paix. La distance est l'ingrédient des amitiés vraies."

En Russie, on partagera la vie de la jolie Tatiana, qui se mariera à un français pour fuir l'ennui sibérien.
"Elle s'était convaincue du rayonnement de cette langue (le français) qui, en réalité, n'était plus parlée que par soixante millions de petits-bourgeois épuisés, repliés sur le souvenir d'une grandeur fossile. Le français ne servait plus qu'à la revendication interne, à la plainte, au gémissement."

La Russie sera d'ailleurs le pays de la reconstitution d'une bataille napoléonienne, de coupures d'électricité bienvenues, même au cœur du Texas, on retrouvera des russes et c'est aussi dans un train russe qu'on apprendra la meilleure façon de vivre en Russie, à un homme attaqué au couteau : "On s'en fout de ta plaie. Sois pofigiste, mec."
Le pofigisme : s'abandonner à vivre, "ce mot russe désigne une attitude face à l'absurdité du mode et à l'imprévisibilité des événements.le pofigisme est une résignation joyeuse, désespérée face à ce qui advient."

Concernée par les divagations des pensées d'un insomniaque, c'est malgré tout "L'exil" qui m'aura le plus touchée. Le départ d'Idriss du Niger pour rejoindre la France, terre promise qui va permettre à tous les siens de récupérer leurs mises, de vivre ou survivre ; Idriss qui devient laveur de carreaux d'une agence de voyages "Rêves d'horizon" Sahara, terre du mythe...

Des nouvelles brèves et variées, pertinentes mais inégales.

Marvic - Normandie - 66 ans - 22 mai 2016