Le passé simple de Driss Chraïbi

Le passé simple de Driss Chraïbi

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Littérature => Arabe

Critiqué par Romur, le 27 septembre 2014 (Viroflay, Inscrit le 9 février 2008, 50 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 147ème position).
Visites : 8 993 

Toujours présent, et loin d'être simple

Dans ce récit à la première personne, Driss Ferdi, second fils du riche et puissant Haj Fatmi Ferdi (surnommé le Seigneur) nous raconte quelques jours de sa révolte de jeune adulte. La rébellion du fils contre le père, schéma classique...

Mais lorsqu’elle s’inscrit dans la société musulmane traditionnelle (j’ai bien dit traditionnelle, pas intégriste) elle prend un tout autre tour que dans nos romans du XIXème siècle français. Car elle s’exerce contre un père tout puissant, appuyé sur la dignité d’une pratique stricte de la religion même si dans le fond il n’est qu’un Tartuffe, dans une société où il a tous les droits vis-à-vis de ses enfants, où la femme n’est rien et peut être victime de toutes les violences. C’est dire le séisme destructeur que déclenche Driss dans sa famille et le risque personnel qu’il prend dans cette partie d’échec.

Ce livre permet aussi de prendre conscience de l’écart quasi-irréductible qu’il peut y avoir entre la société et les valeurs occidentales et le monde musulman. Driss est profondément écartelé et déstabilisé, la littérature, la religion et la philosophie apprises au lycée français lui donnant les clés d’un regard critique, une aspiration à l’émancipation vis-à-vis des traditions et pratiques les plus abusives de son pays, sans qu’il puisse se sentir à son aise ni d’un côté ni de l’autre. Cette lecture-là est éclairante et instructive pour comprendre peut-être un peu mieux les tensions entre pays occidentaux et musulmans et le malaise de la communauté immigrée.

En toile de fond du roman, la pauvreté, la corruption, la violence... Un livre dur et pesant, écrit dans un style dont la dureté reflète le propos (en tant que français, j’aimerais maîtriser aussi bien ma langue maternelle).

N’ayez pas peur d’être bousculé, osez lire ce passé difficile qui est encore le présent de nombreuses personnes.

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Les éditions

  • Le Passé simple [Texte imprimé] Driss Chraïbi
    de Chraïbi, Driss
    Gallimard / Collection Folio
    ISBN : 9782070377282 ; 9,20 € ; 22/04/1986 ; 272 p. ; Poche
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S'affirmer quand on a 19 ans dans un Maroc étouffant

9 étoiles

Critique de Pucksimberg (Toulon, Inscrit le 14 août 2011, 44 ans) - 19 juin 2024

En 1954, quand ce roman paraît, il fait scandale au Maroc et en France, mais c'est aussi un grand roman que Driss Chraïbi a écrit.

Driss a 19 ans, de nombreux frères, une mère soumise à un père qui peut se montrer très dur et violent. Un vrai tyran. Ce dernier est respecté car il a fait un pèlerinage à la Mecque et est appelé Seigneur par Driss, ce qui permet d'imaginer le statut du personnage et l'autorité qu'il incarne. Le personnage principal, qui porte le même prénom que l'auteur, est partagé entre deux cultures, entre ces Marocains dont le quotidien est régi par l'Islam comme son père et les Français présents sur le territoire, qui exercent un protectorat comme ils le disent. Le lecteur suit donc le quotidien de cette famille surtout à travers la dualité du père et de Driss, ce garçon qui ose contrer l'autorité paternelle. Dès le début du roman, le ton est donné. Le père est de mauvaise humeur, la famille fait le ramadan et attend pour manger l'un des fils qui se fait attendre. Le climat est électrique ...

Ce roman est composé de 5 parties dont les titres sont empruntés au monde scientifique. Le roman n'est pas pour autant naturaliste. Le lecteur découvre le fonctionnement de cette cellule familiale qui fait sens si l'on considère aussi le contexte marocain de l'époque. On sent les rapports de force et le poids de l'autorité paternelle. L'écriture dépasse ces considérations naturalistes car elle est parfois poétique et marquée par le mouvement, par un rythme qui ne suit pas toujours la linéarité du temps. Les dialogues parfois s'entremêlent car certains codes ne sont pas suivis. Cela peut ajouter de la confusion à la lecture, mais cela représente surtout le foisonnement des idées où semblent se mêler à la fois ce qui est dit et ce qui est pensé. Certains passages sont donc plus ardus à la lecture en lien avec cette modernité stylistique.

Driss Chraïbi aborde des sujets polémiques de façon frontale comme les contraintes liées aux croyances religieuses et l'hypocrisie qu'elles génèrent, le protectorat, la condition féminine peu épanouie, les abus sexuels de certains adultes sur des enfants, l'incapacité à s'émanciper dans ce pays à cette époque ... Certaines scènes sont frappantes et marquent les esprits. Il y a parfois un climat tendu que l'auteur communique avec efficacité. Driss est un personnage révolté, seule façon de s'affirmer et de développer sa propre façon de raisonner. L'auteur a eu le courage d'aborder certains sujets et de questionner ainsi ses lecteurs. Il possède une belle plume, un vocabulaire précis et ne cède pas au récit classique et facile. Je ne sais pas quel statut a ce roman aujourd'hui au Maroc mais il est certain qu'il devrait être un classique du XXème siècle. Peut-être l'est-il déjà ...

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