Dawa
de Julien Suaudeau

critiqué par Ellane92, le 29 septembre 2014
(Boulogne-Billancourt - 48 ans)


La note:  étoiles
trop de tout
Paris tremble : une vidéo a été diffusée sur internet montrant un commando suicide annonçant leur intention de faire éclater 5 bombes dans des endroits d'affluence le 13 mars prochain. Paoli, le directeur du service renseignement intérieur, a deux semaines pour éviter la catastrophe.
Mais tout n'est pas si simple dans la ville des lumières. On est en période d'élections municipales. Le représentant du culte musulman, Ferhaoui, grand ami du maire sortant, et secrètement attentif aux intérêts du Qatar, donne un nom à surveiller à la police française. Paoli est un enfant d'Algérie qui, en 62, a vu ses parents assassinés sous ses yeux par des membres du FNL. Le nom donné par Ferhaoui, Bakiri, est celui du descendant de cet assassin dont il a juré de se venger. En parallèle, la DGSE cherche à le faire démettre de son poste. L'adjoint de Paoli, Franck, jongle entre l'investissement dans cette mission et l'érosion de sa vie de famille, avec une petite fille, Zoé, qu'il voit un weekend sur quatre et la femme qu'il aime vivant loin de lui depuis qu'elle a demandé le divorce. Elle, elle est journaliste et cherche à se faire un nom, avec un scoop. Elle est chargée d'interviewer Hélène Faure, candidate sans parti institutionnel à la mairie de Paris, outsider qui fait trembler les candidats sur leur fauteuil et a des chances de l'emporter. Assan Bakiri s'en est bien sorti dans la vie depuis que sa famille a quitté l'Algérie ; il est professeur d'université, vit dans un pavillon de la cité des 3000 avec son père, le fameux mercenaire du FNL, à présent diminué tant physiquement que mentalement par la maladie d'Alzheimer. Amoureux sans espoir de Zohra, la compagne de son frère mort en martyr pour l'Islam, il décide de tirer le rideau sur cette vie-ci au cours d'un évènement qui saura supplanter les actions de son frère. Momo aussi vit dans la cité des 3000. Lui a une chance de s'en sortir : après une petite carrière de délinquant, aux ordres du Tchétchène, le boss de la cité, il est sélectionné pour participer à un tournoi de boxe qui pourrait faire de lui un boxeur professionnel. Et puis la belle Sybille aime se pendre à son bras. Issue de la bourgeoisie parisienne, elle rêve de vivre la vraie vie, pas comme ses planqués de parents, et se prend pour une dure parce qu'elle traverse les banlieues chaude de la région parisienne au bras de son amant.

J'arrête là mon résumé de cette histoire, même s'il y a des personnages non évoqués qui ont une importance certaine dans le récit (pour en citer quelques-uns : Soul bien sûr, le ministre de l'intérieur, Delphine, Alex…).
En écrivant ce synopsis, je me dis que là est le problème de "Dawa" : il a trop de tout ! Trop de personnages, on s'y perd. Trop de milieux évoqués. Trop d'intérêts divergents. Trop de stratégies en tout genre. Trop de corruption. Trop de tenants et d'aboutissants. Chaque personnage mène sa guerre personnelle, de vengeance, de rébellion, d'espoir, de gloire, de pouvoir… Julien Suaudeau évoque trop de sujets, trop d'histoires personnelles. Chaque personnage a droit à l'évocation de son passé, de ses motivations, de ses doutes, du peu de choix qui s'offrent à lui. Ses phrases, pour évoquer la vie dans les cités, la politique, la justice, etc… sont trop longues, superposition de propositions qui n'en finissent pas de perdre leur lecteur au détour d'une virgule.
Et c'est bien dommage. Car ce premier roman de Suaudeau a quand même de grandes qualités : qu'il évoque la vie des cités ou les méandres de la politique, le discours est documenté, argumenté, ultra-réaliste. Certaines formulations font mouche. Les personnages sont fouillés, même s'ils franchissent parfois d'un pas allègre la frontière qui mène à la caricature. Le fond est intelligent, le monde décrit n'est pas noir et blanc, et chaque personnage subit son destin autant qu'il en décide.
Il n'empêche qu'à tout prendre, comme le fait cet ouvrage, j'ai trouvé le temps long, sauf sur les 100 dernières pages où l'histoire s'accélère. Il y a trop d'ambition derrière ces pages, et le récit aurait gagné en lisibilité et en puissance en étant plus synthétique. Dommage !

"Vous vous interrogez sur mon positionnement politique, mais avez-vous regardé le paysage actuel à droite ? Le FN monte en racontant n'importe quoi depuis trente ans, le centre se complait dans une posture vertueuse qui fonctionne tant qu'il n'est pas au pouvoir et l'UMP passe l'essentiel de son temps à s'autodétruire, en se demandant si elle veut être proche du centre ou du FN."

- Un Renoi et un Rebeu sont dans une voiture, dit Soul en jetant son filtre dans la nuit. Qui est-ce qui conduit ?
- Un Keuf. Je la connais par cœur, ta blague pourrie.

Dawa, ou plus exactement Da'wa, explique le jeune chercheur qu'on est allé trouver en vitesse pour grossir les rangs des spécialistes, signifie à l'origine "l'appel" – appel à répandre l'islam et invitation à rejoindre les enseignements du prophète. […] Par extension, il prend ensuite le sens dérivé d'appel à la subversion de l'ordre établi, dans le but ultime d'établir la charia.

Quand les flics foutent le camp, il n'est pas anormal que ce soient les gangsters qui prennent le relais pour assurer le maintien de l'ordre ; mais quand les gangsters pensent à déserter à leur tour, mieux vaut déménager.

Les raisons que l'on se donne ne sont nobles qu'en apparence, tout comme les flots argentés de la Seine ne sont qu'une illusion d'optique sous le soleil ; en profondeur, chacun sait que son eau est saumâtre, fétide. Le printemps est là, mais le monde est saturnien dans ses entrailles.