Prévert, inventeur - tome 1
de Hervé Bourhis (Scénario), Christian Cailleaux (Dessin)

critiqué par Shelton, le 10 octobre 2014
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Parfait ? Oui, on n'en ai pas loin, de la perfection...
Christian Cailleaux et Hervé Bourhis viennent de nous offrir un magnifique album, le tome 1 de Prévert, inventeur, une biographie en bande dessinée d’un des grands poètes français du vingtième siècle, un créateur qui a été toujours joué avec les mots que ce soit pour le papier, pour le cinéma, pour ses amis…

Les deux auteurs de cette parution remarquable n’en sont pas à leur coup d’essai puisqu’ils avaient écrit et dessiné ensemble Piscine Molitor, un album consacré à Boris Vian. Je trouve que cette fois-ci, ils sont allés encore plus loin en unissant leur talent avec brio pour redonner vie à un Prévert moins connu, celui de ses débuts, et en plongeant le lecteur dans une ambiance verbale et graphique étonnante, bouleversante, symbolique, culturelle et dépaysant de façon radicale.

Oui, plus qu’une biographie, et pour reprendre une expression de Catel, l’auteure de Kiki de Montparnasse, nous sommes bien là dans une biographique… Tout d’abord, on comprend dès la première planche que nous ne serons pas dans une bédé classique avec des cases et des bulles ordinaires. Chaque moment de la vie du jeune Jacques Prévert est racontée par le dessin, le graphisme, les couleurs, une ambiance… qui trouvent leurs essors dans la planche entière en s’affranchissant totalement des conventions habituelles. On peut d’ailleurs imaginer que le lecteur prendra le temps de feuilleter l’ensemble de l’album pour se pénétrer de ce tempo atypique avant de commencer à lire. C’est ce que j’ai fait et j’avoue avoir été enveloppé par une ambiance magique, surréaliste diront certains, l’ambiance de la vie de Jacques Prévert à partir de 1921, date de son service militaire…

Pour se lancer dans un tel travail, les auteurs ont eu besoin d’informations, de sources de qualité. J’en retiens deux, d’une part les archives qui ont été mises à disposition par Eugénie Bachelot-Prévert, et, d’autre part, le livre de souvenir de Marcel Duhamel, Raconte pas ta vie. J’avoue que je ne connaissais que très superficiellement Marcel Duhamel et que je n’avais jamais entendu parler de ses mémoires. Donc, après ma rencontre avec Hervé Bourhis qui m’en avait parlé avec beaucoup de chaleur et d’admiration, je me suis acheté cet ouvrage aujourd’hui épuisé, et j’ai compris que cette période était hors norme… Ce livre de mémoires est à lire aussi ne serait-ce parce qu’il nous permet de rencontrer Picasso, Prévert – Pierre et Jacques – et André Breton… Quant à Duhamel, cela nous donne l’occasion d’aller à la genèse de cette Série Noire de chez Gallimard dont il a été le fondateur ! Mais revenons-en à cette bande dessinée…

Elle commence quand Jacques Prévert et Marcel Duhamel font leur service militaire du côté de Constantinople, en 1921. Ils ne sont encore rien que deux jeunes qui ont envie de rigoler, de s’amuser… Ils rentreront à Paris après 24 mois de service ce qui ne signifie pas tristesse perpétuelle d’autant plus que la guerre s’est enfin terminée et qu’ils ne l’ont pas connu en tant que soldat… Belles anecdotes de cette période, dessin envoutant, belle mise en bouche pour le lecteur…

Jacques n’a aucune envie de trouver un travail, pourtant, difficile de concevoir la vie sans rien faire ! Enfin, si la concevoir c’est possible, mais en vivre ainsi sans rien faire c’est-à-dire sans gagner d’argent, ce n’est pas si simple… Quand, on a un travail, il faut le garder… Oh, comme la vie d’adulte est difficile, triste, morne… alors que faire la fête, ça c’est vivre !

On prend beaucoup de plaisir à suivre Jacques Prévert d’autant plus que tous les gens qu’il rencontre ou presque sont connus, sont des artistes, des membres de ces groupes qui resteront dans l’histoire comme les Surréalistes !

Ce premier tome nous montre un Jacques Prévert qui parle beaucoup, fait la fête, fume et boit… Il n’écrit pas encore, il n’est pas encore scénariste et poète. Juste à la fin de ce premier volume, le cinéma entre dans sa vie, mais doucement, sans faire de bruit… Ce n’est que le début ! On voit Jacques Prévert se lancer dans le cinéma avec son frère, Duhamel, Man Ray… Le film Paris Express sera l’ébauche de celui qu’ils réaliseront et achèveront dans les années cinquante, Paris la Belle…

J’ai lu cet album d’un bout à l’autre sans prendre le temps de faire une pause, j’ai adoré, je me suis laissé porter et je pense que ces deux auteurs peuvent ainsi ouvrir la curiosité des lecteurs sur d’autres ouvrages, d’autres supports culturels comme le cinéma et la peinture… Indispensable pour tous les amateurs de cette période, pour les nostalgiques du Montparnasse des années vingt, les fans de la poésie de Jacques Prévert, les amoureux des salles noires et des vieux films, pour ceux qui aiment tout simplement les bonnes bandes dessinées, celles qui respectent en tout premier lieu les lecteurs… Bref, l’album qu’il faut lire !!!