L'école de la chair de Yukio Mishima

L'école de la chair de Yukio Mishima
( Nikutai no gakko)

Catégorie(s) : Littérature => Asiatique

Critiqué par Jules, le 18 novembre 2003 (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 80 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (2 007ème position).
Visites : 6 230  (depuis Novembre 2007)

La rage d'aimer

Trois femmes divorcées se lient d'une amitié profonde. Nous sommes aux lendemains de la défaite japonaise. Elles vivent libres alors que Taeko tient une boutique de haute couture, Suzuko un restaurant et Matsui est critique cinématographique.
Mishima ne met pas bien longtemps à nous faire comprendre à quel point la défaite a changé son pays et l’avènement de la démocratie ne semble pas pour lui une grande victoire. Quant aux étrangers, écoutez l’avis de Taéko : « En plus, Taéko détestait la peau des hommes étrangers, cette peau de poulet qui laisse voir par transparence la couleur du sang, cette peau qui vieillit horriblement vite et qui paraît si sale. »
Les trois femmes se réunissent une fois par mois dans un restaurant pour se confier et rire. Cette soirée là, elles iront prendre un dernier verre dans un bar d’homosexuels et de travestis.
Soudain Taéko est subjuguée à la vue de la beauté du visage du barman qui ne doit pas avoir beaucoup plus de vingt ans. Il devient une véritable obsession pour elle et elle n'aura de cesse que de le séduire. Le fait d’apprendre qu'il accepte, à l'occasion, de rentrer avec certaines clientes, ou même des clients, ne changera rien à sa décision d'avoir cet homme.
Il lui semble sauvage, dur, parfois même méprisant et arrogant, mais elle n'en a cure. Senkitchi lui cède et leur relation devient très vite brûlante. Sans que le jeune homme n’accepte d’être apprivoisé, il n’en demeure pas moins que leurs corps parlent pour eux et Taéko semble avoir dix ans de moins en un mois.
Senkitchi garde cependant beaucoup de taches d’ombre et Taéko envisage toujours le pire. Aussi, pour tenter de le garder, elle utilisera tous les moyens possibles, tout en ne se reconnaissant plus. Senkitchi est un jeune loup qui veut réussir, c’est à dire devenir riche, et elle le sait. Taéko observe Senkitchi affalé dans son canapé et se dit : « Un jeune homme sans passion, sans autre ambition que l'argent, l'oisiveté, une réussite gagnée sur un coup de chance et une femme sans amour ! … Une élégance insensée. Et cet orgueil de la chair, de son sexe, cette fatuité monotone… rien n’avait vraiment changé depuis leur première rencontre. »
Oui, Senkitchi s’était prostitué et était prêt à le faire une dernière fois en se mariant, mais, pour lui, il est convaincu qu’en ne faisant rien en s’impliquant vraiment, il ne fait pas le mal. Il ne fait qu’effleurer les choses et les êtres et n'est donc pas coupable.
Mishima nous donne ici le récit d'une histoire d’amour hors du commun. Senkitchi n’est ni Valmont, ni Julien Sorel. Il est un gamin des rues de Tokyo qui veut réussir. Il est sauvage, cruel parfois, mais ne semble jamais le vouloir. Quand il fait le mal, ce n'est pas par calcul et son orgueil est démesuré. Il n’a pas séduit Taéko, c’est elle qui a voulu de lui et il s’est donné tout en prenant. Sexuellement leur relation est une réussite totale, il en profite, mais n'en oublie pas son but pour autant.
Mishima excelle dans les études psychologiques de ses personnages. Il est tout aussi bon d’ailleurs quand il décrit les personnages secondaires. En outre, on sent chez lui cette terrible nostalgie du temps passé, celui où l'honneur comptait ainsi que le nom et la famille. L’époque où tout n'était pas géré par l’argent.
Taéko a beau tout faire pour tenter d’oublier son milieu et son nom, toujours prestigieux, celui-ci lui reviendra avec force.
Il était difficile de s'imaginer comment l’auteur mettrait fin à cette histoire, mais je peux vous garantir que si vous tentiez d'imaginer mille solutions, ce serait en vain !
Un merveilleux roman d’un très grand écrivain.

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Un sommet

10 étoiles

Critique de Ciceron (Toulouse, Inscrit le 21 août 2007, 76 ans) - 29 mars 2009

Assez osé pour 1963. Erotisme, passion, sexe, frivolité, caprice, arrivisme, abjection, distinction, raffinement, perfidie et grandeur, le cocktail est très relevé. Sans aucun temps mort, Mishima conduit son récit avec une précision psychologique captivante.

Jusqu’à la fin, il maintient le lecteur sur le fil entre la comédie sociale et la tragédie, sans illusion sur l’issue de la passion à sens unique d’une grande bourgeoise pour un jeune étalon vénal, barman dans un bar gay.

Dans la scène cuisante des photos, une phrase électrise le rapport entre la haute société et la honte du scandale.“…elle glissa un de ses ongles laqués dans un coin de l’enveloppe“.

Elégance

9 étoiles

Critique de Saint-Germain-des-Prés (Liernu, Inscrite le 1 avril 2001, 56 ans) - 2 mai 2005

Dans cette histoire, Taéko, jeune femme de trente ans, tient de l’équilibriste qui, sur une corde tendue au-dessus du vide, tente de rejoindre l’autre versant de la colline. Sur l’autre versant, il y a l’amour incarné par Senkitchi. Pour le rejoindre, une dextérité et un pied sûr seront indispensables. Mais ce n’est pas facile, un peu comme si Senkitchi faisait vaciller la mince corde qui retient encore Taéko de tomber. Il est son but et son écueil. Son espoir et son angoisse. J’ai trouvé Takéo splendide, tant dans sa dignité que dans l’énergie qu’elle met à ne pas voir la réalité. Puis finissant par la voir quand même, la regardant bien droit dans les yeux. Quelle élégance dans tout cela…

Superbe !

9 étoiles

Critique de Duncan (Liège, Inscrit le 21 février 2004, 43 ans) - 2 août 2004

J'ai adoré ce roman de ce très très grand de la littérature nippone... La relation d'amour-haîne entre Taeko et Senkitchi (qui incarne toutes ces valeurs modernes d'opportunisme et d'avidité) est absolument passionnante et décrite avec une maestria peu commune ! Je n'ai pas grand chose à ajouter à l'excellente critique de Jules...

Des pages d'anthologie à dévorer de toute urgence !

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