Henri d'Ofterdingen
de Novalis

critiqué par Eric Eliès, le 11 août 2019
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Une fable romantique sur la Poésie et l'Amour
Plus que tout autre écrivain, Novalis incarne la ferveur du romantisme allemand qui, au début du dix-neuvième siècle, se voua, avec un optimisme euphorique proche d’une foi messianique, à l’avènement d’un monde meilleur dont la parole poétique aurait été le Verbe créateur. Novalis mourut jeune et ne fut pas témoin de la déliquescence du mouvement qu’il avait contribué à créer et qui, trop angélique pour avoir une existence durable, se désagrégea rapidement dans le nationalisme allemand et la religion.

J’ai déjà présenté sur CL les « Hymnes à la nuit » mais son œuvre maîtresse aurait sans doute été, si Novalis avait eu le temps de l’achever, ce récit à mi-chemin du roman d’aventure et de la fable. Le texte est plaisant par son architecture subtile (mêlant le rêve, le souvenir, et les moments vécus dans la plénitude l’instant présent), son optimisme et sa foi dans les vertus de l’homme, la sensualité libre et joyeuse qui nimbe les épisodes romanesques, son culte de la Poésie (dont la vocation est révéler l’univers indicible au-delà des limites du langage) mais il est daté et risque de décontenancer, par sa religiosité et une innocence qui confine parfois à la naïveté, un lecteur qui s’y aventurerait par hasard. Par ailleurs, le style est parfois excessivement littéraire, avec des longueurs narratives et des dialogues qui s’apparentent souvent à des successions de monologues ou à de grands discours imbriqués.

L’histoire, même si la trame est simple, est assez complexe à résumer car elle comporte de nombreux récits dans le récit. Le héros, Henri d’Ofterdingen, fait le rêve, après avoir écouté les récits d’un étranger de passage, qu’il meurt au terme d’une vie mouvementée et pénètre dans un jardin merveilleux où pousse une Fleur bleue. Il entreprend alors, à l’instigation de sa mère qui profite du passage d’une caravane de marchands, un long voyage en Souabe, où les gens savent se consacrer à leur travail tout en trouvant le temps de profiter, avec une gaieté aimable, des plaisirs de la vie. En fait, sa mère espère que la liberté des mœurs en Souabe égayera son fils et lui permettra de trouver une épouse. En chemin, Henri d’Ofterdingen fait des rencontres qui le marquent et le troublent, notamment celle de Zulima (une belle mauresque ramenée de force par un seigneur ayant fait la guerre en Terre Sainte et qui a la nostalgie de l’Arabie et de ses gens, tolérants et hospitaliers, injustement massacrés par les croisés) et celle du comte de Hohenzollern, qui vit en ermite dans un dédale de grottes isolées où il se consacre à la méditation et à la lecture. L’ermite possède notamment un livre inachevé, écrit dans une langue inconnue, dont les enluminures représentent Henri d’Ofterdingen et annoncent qu’il sera un poète célèbre ! A la fin du voyage, Henri d’Ofterdingen rencontre et épouse Mathilde, la fille du grand poète Klingsohr qui lui révèle peu à peu les arcanes de son savoir philosophique fondé sur la Poésie, conçue comme une force cosmique de même nature que l’Amour.