De père français
de Michel Del Castillo

critiqué par Pieronnelle, le 19 novembre 2014
(Dans le nord et le sud...Belgique/France - 77 ans)


La note:  étoiles
"J'ai rendez-vous avec mon assassin"
Livre coup de poing ! Est-il possible d’accepter, de « digérer » un père ignoble ? Comment admettre qu’il ait pu être votre "géniteur» ?
Ce récit totalement autobiographique de Michel del Castillo ne peut laisser indemne. « J’ai rendez-vous avec mon assassin » fait froid dans le dos ; on dirait un titre de polar et pourtant il n’en n’est rien. Le fils a été « assassiné » alors qu’il était enfant, c’est-à-dire qu’il a été abandonné dans un camp de réfugiés espagnols en France suite à la guerre civile d’Espagne ; avec sa mère qui elle aussi bientôt l’abandonnera ; cerise sur le gâteau ils auront été dénoncés (la mère ayant sympathisé avec les communistes) par ce père pressé de s’en « débarrasser » pour qu’ils ne portent pas préjudice à sa carrière dans une grande entreprise, en l’occurrence celle de Michelin à Clermont-Ferrand.
Difficile de faire une critique de ce cri ; en se renseignant sur la biographie de Michel del Castillo on découvre que non seulement il a survécu à cette enfance plus que dramatique et traumatisante mais il en est devenu un grand écrivain.
Après s’être évadé de ce camp à 8 ans il se retrouvera errant, puis dans une maison de correction d’où il s’échappera également pour enfin être recueilli dans une institution religieuse où des gens simples et bons lui sauveront ses vies ; vie physique et vie intellectuelle.
A 18 ans le besoin de retrouver ce père s’imposera pour comprendre ; ce dernier l’acceptera mais le ressentiment trop fort, le caractère de cet homme odieux le poussera à fuir de nouveau. Heureusement pour lui il trouvera refuge auprès de son oncle et sa tante qui seront pour lui un père et une mère et qui lui permettront d’être ce qu’il est devenu et envers lesquels il aura un amour et une reconnaissance absolus.
Mais à 60 ans, 40 ans après , on l’informe que son père vieux et malade réclame de l’aide.

"J'ai rendez-vous avec mon assassin. C'est mon père et il s'appelle Michel. J'aurais mis près de quarante ans à le retrouver. Une fois encore je reprends la route. je ne vais pas bien loin, de Chevaleret à l'Etoile. Une vingtaine de stations. je connais la partition : la mort du père, une figure de rhétorique, avec ses morceaux d'émotion rude. mais quelle mort du père entonner, quand le père n'a jamais existé ?"...

Et c’est là où ce récit prend une forme particulière . Car il va rester auprès de ce père, l’aider, mais son œil et son esprit qui n’ont rien oublié le disséqueront tel qu’il est . Il y a cependant comme une sorte de détachement nécessaire pour qu’il puisse se tenir hors de la malfaisance de ce père. On se pose aussi, moi en tout cas, la question de comprendre pourquoi il persiste à rester près de lui ; et peu à peu on se rend compte de cette énorme difficulté à admettre d’avoir pu être engendré par une ordure pareille ; d’ailleurs il n’écrira pratiquement jamais « père » mais «géniteur». La souffrance est immense mais toujours pudique, la révolte contenue mais toujours sur le bord d’éclater.
Je suppose que Michel del Castillo avait besoin d’écrire ce livre pour se libérer enfin de ce « père français » ; ses précédents livres ont fait référence à de nombreux évènements largement autobiographiques mais là il a « craché » ce père qu’il a voulu voir vivre jusqu’au bout, guettant une parcelle de bonté et de beauté; en vain !
Règlement de comptes ? 8 étoiles

Michel del Castillo est un auteur de ma jeunesse. J’avais commencé par « Le colleur d’affiches » puis j’avais continué avec « Tanguy » et tous les autres titres. Cela faisait longtemps que je n’étais plus entré dans son univers avec sa générosité, sa sexualité assumée, sa jeunesse perturbée par les évènements douloureux des guerres d’Espagne puis de la guerre mondiale, ses prises de position « à gauche », sa générosité et son militantisme.

Ici, il assume encore plus car après avoir parlé de sa mère très souvent, il « s’attaque » à son père. Peut-être pas pour régler des comptes comme je le dis dans mon titre mais pour exorciser cette présence, pour panser les plaies que lui a infligé ce « géniteur » qui l’a abandonné, dédaigné, sapé, utilisé, haï même. De la haine, Michel/Miguel en a vis-à-vis du « pauvre Michel » et l’auteur se devait certainement de la décrire et de la justifier pour être en paix avec lui-même et « passer à autre chose » (le récit a été écrit en 1998 et la carrière de MdC se poursuit toujours aujourd’hui). Pour le lecteur, au-delà des personnes proches de l’auteur, le livre est aussi une somme de toutes les turpitudes, des méchancetés, des lâchetés, de l’égoïsme dont sont capables les êtres humains vis-à-vis de leurs semblables y compris quand il y a une filiation.
Le style est simple, précis, accrochant, sans concession.

Ardeo - Flémalle - 77 ans - 4 mars 2021


"Je suis né d'une erreur de calcul" 8 étoiles

Après une enfance dramatique, Miguel retrouve son père Michel et reconstruit son passé. Auprès de cet inconnu dont il méprise la lâcheté, le sens de l'apparence, il va d'abord essayer d'aimer ce père. Aimer, avoir un père, serait confortable et rassurant; savoir qu'on peut compter sur son géniteur, comprendre les raisons qui l'ont fait abandonné mère et fils;
"Je me sentais coupable de ne pas aimer mon père. J'avais beau me répéter que père, il ne l'avait jamais été, je butais contre le mot. Un père n'est pas une personne réelle, du moins pas seulement: contre ce mythe, mon cœur cognait."

Mais la vérité sera pire encore que ce qu'il savait; et même les avertissements de ses meilleurs amis ne le sauveront pas du mal dont son propre père est capable et des atrocités dont il a été responsable .
"Tout dans son esprit racorni, se résume à l'apparence. Comment devinerait-il qu'on puisse souffrir de n'être pas aimé?"

Heureusement, il aura eu la chance d'avoir des gens "bien" pour se construire, pour accepter sa personnalité, pour envisager son avenir : Rita et Stéphane, frère de Michel, couple sans enfant, qui avait souhaité au moment de la séparation garder l'enfant, mais celui-ci était une monnaie d'échange pour sa mère.
"Ce couple sans histoire était à première vue le moins préparé à recueillir un jeune homme de vingt ans meurtri par le guerre."

A la recherche d'un père, le héros, fils de Candida, journaliste républicaine exilée en 1940, fuyant le régime franquiste, découvrira comment il a servi de monnaie d'échange, découvrira la répugnante personnalité de son père, et de sa belle-mère Anoff, remplie de faux sentiments.
Jusqu'au bout, il sera à la recherche d'une étincelle d'humanité, jusqu'au bout, il ne découvrira que fausses apparences, manipulations et calculs sordides.

Michel Del Castillo nous emmène avec talent dans cette recherche acharnée d'un père, levant doucement le voile sur son passé, sans concession, nous obligeant à admettre l'inadmissible jusque dans les dernières pages.

Marvic - Normandie - 66 ans - 8 février 2015