Chiens enragés
de Marc Charuel

critiqué par Ellane92, le 8 décembre 2014
(Boulogne-Billancourt - 48 ans)


La note:  étoiles
ultra réaliste !
Sébastien Verdier vient de sortir de prison. Il y a passé dix ans, pour trafic de stupéfiants et participation à des activités terroristes. Dix ans plus tôt, en 2001, il était de mèche avec certains des islamistes qui préparaient les attentats du 11 septembre. Converti à l'Islam, tout le monde l'appelait (et l'appelle toujours d'ailleurs) Abdelaziz. Aujourd'hui, il a bien du mal à trouver une place auprès de son épouse et de ses enfants, qui ont grandi sans lui, et rejettent son mode de vie comme ses croyances.
A peine le temps de sortir de taule qu'il est contacté par ses "frères de religion", qui lui confient une mission de la plus haute importance : recueillir le dépositaire du testament de Ben Laden, une action d'éclat pour fêter comme il se doit les 10 ans du 11 septembre. Sébastien/Abdelaziz panique : sa conversion n'est qu'une couverture, car il agissait en tant qu'agent d'un officier de la DGSE, dont il n'a plus aucune nouvelle depuis son entrée en prison et qu'il ne sait comment contacter directement.
Bien loin de la France, en Afghanistan, trois djihadistes guidés par des moudjahidines font route vers l'Europe ; l'un d'entre eux est le dépositaire du testament de Ben Laden, un autre est un agent double, qui agit lui aussi pour le compte du même officier des renseignements que Verdier. Sauf qu'une frappe américaine vient bousiller sa mission en même temps que son matériel de secours : il n'a plus aucun moyen de contacter Paris et d'informer son officier des déplacements et de l'identité du terroriste. L'officier en question, un certain colonel Rateau, aimerait récolter les lauriers de la gloire en arrêtant à lui tout seul le porteur du testament de Ben Laden. Pour cela, il n'hésite pas à envoyer ses pions au casse-pipe et à cacher un certain nombre d'informations à son homologue de la CIA, provoquant des "cafouillages" comme le bombardement des djihadistes qui a coûté son équipement à l'agent double.
Georges Chesniers, lui, est journaliste de guerre. De retour d'Afghanistan où son reportage s'est terminé plus tôt que prévu suite aux frappes américaines, il décide de faire un reportage sur Sébastien Verdier, qui vient de sortir de prison.


J'en ai encore froid dans le dos !
Chiens enragés est un livre ultra documenté, ultra réaliste et incroyablement impitoyable. L'auteur nous invite avec brio à naviguer dans les eaux troubles et les méandres cachés de l'islamisme radical, de l'espionnage et de la raison d'état.
Charuel partage sa connaissance du terrain, de l'Afghanistan et de l'entrainement des "barbouzes", de l'islamisme radical dans les cités, et si l'on a l'impression que c'est extrêmement réaliste, c'est sans doute parce qu'il parle d'expérience, cette expérience qu'il a acquise lors de ses reportages (il est reporter de guerre en plus d'écrivain).
L'Islamisme radical est décrit comme le rejet des valeurs et du mode de vie occidentaux ; dans les cités décrites par l'auteur règnent la haine du pays accueillant, une volonté de destruction et d'annihilation, et ce quel qu'en soit le prix, même si ça implique "le martyre". Le lien entre trafic de drogue et financement du jihad est particulièrement bien explicité.

Le récit, porté par une écriture à la fois fluide et "clinique", factuelle, est construit par les différents personnages de l'histoire. Les allers-retours dans le temps, entre 2001 et 2011, rythment également la lecture. Petit à petit, le lecteur est amené à mettre dans le bon ordre personnages et époques, mobiles et objectifs, et pressent assez rapidement que toutes les pièces du puzzle finiront par s’emboîter très exactement, jusqu'à ce que le drame puisse se jouer. Car si "Chiens enragés" est un thriller extrêmement efficace, c'est aussi, et peut-être surtout, un roman noir, très noir, dans lequel la violence est très présente, et heurte par sa brutalité inattendue.

Chez Charuel, il n'y a pas de morale, et au jeu du chat et de la souris, chacun est tour à tour victime et bourreau, et les méthodes des services français et américains n'ont pas grand-chose à envier à celles des intégristes !
Un thriller effrayant, et diablement efficace, qui prend son lecteur aux tripes, ne le lâchant que 500 pages plus loin, abasourdi, et regardant ses gentils voisins avec un peu plus de méfiance.



Il n'entendait plus que les battements désordonnés de son cœur. Il pensa à une chose que lui avait dite, avant d'entreprise la mission, son officier traitant à Paris : "Tu ne trouveras jamais de repos, tu seras constamment pris entre deux feux. Tes amis seront tes ennemis. Ne t'expose pas. Prends le minimum de risques. Un agent mort est un con. Rarement un héros. Dans ton cas, tu n'en seras un pour personne".

- Deux kilos par unité, dit Rachid. Y a le compte. Au gramme près. Tu peux avoir confiance, mon frère.
- Il faut que je teste.
Rachid se rembrunit.
- Tu veux fumer ?
- Il faut que je teste.
- Fumer, c'est haram, mon frère. Pas chez moi.
- Et pourquoi donc ?
- Le Prophète, la paix soit sur Lui, a dit que c'était illicite. On doit pas consommer.
Verdier eut du mal à réprimer le sourire qui lui montait aux lèvres.
- Tu ne fumes pas, mais tu en vends ?
- J'en fournis aux frères qui en vendent aux kafirs.
- Aux quoi ?
- Aux infidèles. A ceux qui connaissent pas encore l'islam. La miséricorde soit sur eux.

- Le mariage, continua Abou, c'est l'obligation de tout homme. Mais il doit se marier et se marier encore. Pas avoir des maîtresses. Pas faire la khalwa. Dieu a fait les choses pour lui. Il suffit de les connaitre et de les appliquer, et tu vivras dans le bonheur.
- Sauf qu'en France, rien de tout ça n'est permis…
- La France, c'est un mot sur le papier, mon garçon. Dont l'encre se ternit au fil du temps. Il n'y a de vrai pays que la communauté des croyants.
- Reste qu'on se marie à la mairie. Et une seule fois.
- Je sais bien. Mais la mairie, c'est la république qui fait la guerre à Dieu depuis un siècle. Ce n'est rien. Seule compte la Oumma et ses règles édictées par Dieu.