Théophile Alexandre Steinlen de Raphaël Gérard, Philippe Kaenel, Carolyne Krummenacker

Théophile Alexandre Steinlen de Raphaël Gérard, Philippe Kaenel, Carolyne Krummenacker

Catégorie(s) : Arts, loisir, vie pratique => Arts (peinture, sculpture, etc...) , Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités

Critiqué par Radetsky, le 3 janvier 2015 (Inscrit le 13 août 2009, 81 ans)
La note : 10 étoiles
Visites : 2 222 

Un peintre loin des beaux quartiers

Théophile Alexandre Steinlen, fils d’un employé des postes, est né à Lausanne (canton de Vaud) en 1859. Il quitte la Suisse en 1881 et va s’installer à Montmartre, qui panse ses plaies dix ans après l’assassinat de la Commune de Paris et courtise encore la campagne que les spéculateurs et autres aménageurs ne sont pas encore parvenus à effacer tout à fait. Montmartre ce ne sont pas uniquement des fleurettes poussant entre les pavés, des cabarets, des refuges pour les artistes ou des « guinches » pour le populo. Le peuple de Paris qui vit encore là-haut endosse, comme d’habitude, les heurts des crises politiques et économiques et vit entassé dans des logements dont les toutous du XVIe arrondissement ne voudraient pas.

Le mouvement impressionniste a pratiquement accaparé à lui seul l’univers symbolique de la peinture à cette époque. Je ne m’étendrai pas sur cet épisode archi-connu et l’un des plus célèbres sur la planète lorsqu’on pense à la France de la fin du XIXe siècle.
Cependant, mis à part Gustave Caillebotte (je classe à part l’autre Gustave : Courbet, de la génération précédente et disparu en 1877) avec ses Raboteurs de parquets, le peuple n’est représenté en général à cette époque que d’une façon assez elliptique, soit dans un métier (Les Repasseuses – Degas), soit dans une scène à connotation plus neutre (Les Joueurs de Cartes – Cézanne), soit dans ses distractions (Le Moulin de la Galette – Renoir), ou bien encore au travers d’une déchéance (L’absinthe – Degas) dont l’objet (l’alcool) fait office d’abcès de fixation sans que la critique sociale ne s’avise de creuser un peu plus. Au fond, la peinture des années 1870 – 1914 est conformiste et gentillette : on y admire beaucoup de jeux de lumière sur les voilettes, les ombrelles, les belles robes sur les belles dames, et un univers géographique composite qui n’oublie rien (ville, campagne, intérieurs, parcs, rivières, etc.) mais cache… tout le reste, c'est-à-dire ce qui permet aux belles dames, aux beaux messieurs, aux locomotives d’exister : les misérables.

Ce catalogue est une rétrospective des travaux de Steinlen, au Musée de Payerne en 2004, puis au Musée de Montmartre en 2004 – 2005, détenus par le Musée du Petit Palais à Genève (fermé de nos jours, à l’avenir incertain). Steilen, "l'anarchiste" si on veut, et surtout attentif à la totalité du monde concret, loin des représentations conformistes et des soucis d'esthètes.

Un touche-à-tout, ce Steinlen, aussi bien illustrateur pour revues ou journaux, décorateur, affichiste, créateur d’enseignes pour la publicité ou le théâtre, il travaille à l’huile, l’aquarelle, le lavis, le fusain, l’encre, le stylet du graveur, etc., mêlant les procédés et les matériaux, mais surtout illustrant beaucoup ce que les autres ne montrent pas : le labeur, la peine, l’expulsion, l’accident de la mine, la famille, les queues pour un peu de pain, le fusillé pour l’exemple, la femme tout aussi belle dans son regard que dans sa nudité, les chats, l’irruption d’un « intrus »(Jésus-Christ) suivi d’une foule de miséreux au milieu d’un aréopage épouvanté d’enrobés hypocrites (bedeaux, évêques, pape, cardinaux), les révoltes de la faim ou de la misère, le spectacle (le Chat Noir), enfin le soldat, la guerre, la blessure, la lassitude.
Tantôt parent de Daumier, de Delacroix, voire de Brueghel, Steinlen ne donne à voir ni lointains éthérés, ni figures mythologiques, ni scènes édifiantes, ni effets savants ; il peint cru, vrai, montre là où ça fait mal lorsqu’il le faut, dans un travail qui rejoint celui du journaliste de combat : une sorte de Vallès du pinceau, publiciste et publicitaire de la critique sociale et de la propagande par l’image.

Ce catalogue raisonné est un travail collectif trilingue (français, allemand, anglais), et présente la naissance et les développements de l’art de Steinlen à Montmartre, ses relations et fréquentations, l’étude de ses techniques de travail, etc. le tout mis au service d’un humanisme et d’une compassion jamais démentis jusqu’à sa mort à Paris en 1923.

Comme on n’est pas certain de retrouver ce type d’ensemble in situ à Genève ou lors d'une improbable exposition, les intéressés peuvent tenter de trouver ce bouquin, morceau d’histoire artistique et aussi d’histoire politique du Paris bouillonnant des années 1880 – 1914.

Connectez vous pour ajouter ce livre dans une liste ou dans votre biblio.

Les éditions

  • Théophile Alexandre Steinlen, 1859-1923 [Texte imprimé], [collection du Musée du Petit Palais, Genève] textes de Carolyne Krummenacker, Philippe Kaenel, Raphaël Gérard préf., Jean-Marc Tarritt, Michel Roulin, Gérald Etter, Pr. Claude Ghez
    de Krummenacker, Carolyne Kaenel, Philippe Gérard, Raphaël
    Fragments éd.
    ISBN : 9782912964816 ; 16,89 € ; 05/05/2004 ; 192 p. ; Broché
»Enregistrez-vous pour ajouter une édition

Les livres liés

Pas de série ou de livres liés.   Enregistrez-vous pour créer ou modifier une série

Forums: Théophile Alexandre Steinlen

Il n'y a pas encore de discussion autour de "Théophile Alexandre Steinlen".