Notre-Dame-des-Fleurs
de Jean Genet

critiqué par Pucksimberg, le 7 avril 2025
(Toulon - 45 ans)


La note:  étoiles
"Le livre est là, terrible, obscène, impubliable, inévitable." Jean Cocteau
Jean Genet est à la Prison de Fresnes lorsqu'il écrit ce roman. L'image du prisonnier exerce une certaine fascination sur l'écrivain et certains criminels attirent son attention s'ils sont beaux comme Maurice Pilorge à qui il dédie son roman. Il ne fait pas pour autant l'apologie de la violence. Dans ce roman, il évoque parfois ses habitudes en prison et surtout les moments sexuels avec d'autres prisonniers. Ces points n'occupent absolument pas la majorité du roman, car il va se focaliser sur le personnage de Divine, alias Culafroy, qui vit dans un grenier de Montmartre et qui se prostitue. L'écrivain alternera les pronoms "il" et "elle" pour définir son personnage. Par le biais de Divine, ce sont des macs qui seront évoqués, des travestis, des homosexuels mais qui trainent tous dans des univers interlopes où la violence et les vols sont monnaie courante. Sans doute, l'expérience de la prison de Jean Genet ressurgit dans la création de ce roman. Le lecteur découvre donc les hommes qui ont partagé le quotidien de Divine comme Alberto, Notre-Dames-des-Fleurs, Mignon, Seck ... Certains noms semblent inoffensifs, pourtant ces hommes sont loin d'être des anges.

La langue de Genet est magnifique, elle s'apparente souvent à de la prose poétique. Le regard de l'écrivain transfigure cet univers et nous donne à voir sa sensibilité face à ces hommes. De nombreuses métaphores végétales sont utilisées pour définir cet univers et les personnages. L'écrivain joue même avec son nom en le rapprochant des genêts. Le tour de force de l'auteur est d'avoir su inventer une langue riche et flamboyante alors même qu'il parle souvent de sexualité et attire l'attention sur des éléments qui pourront sembler abjects au lecteur. Cette association entre éléments qui pourraient sembler antagonistes donne une force incroyable à ce roman. De plus, Jean Genet intervient parfois dans sa narration en tant qu'écrivain. Il évoque le fait qu'il met un peu de lui-même dans certains personnages, rappelle la liberté qu'il a à engendrer des individus de papier ... On a le sentiment d'entrer dans les secrets de l'écriture de l'écrivain, comme si on assistait en direct à la naissance de son roman. Le style de l'auteur est vraiment ce qui m'a séduit et qui m'a permis d'entrer dans un univers pas toujours confortable.

L'univers décrit semble d'une certains modernité et pourrait alimenter les thèses sur le genre. L'auteur parle essentiellement de travestis et de personnages masculins souvent définis par des prénoms féminins. Le mot "tante" est souvent utilisé par l'auteur pour définir ces personnages homosexuels. On sent que Culafroy / Divine est séduit par la beauté et se dévoue aux hommes qu'il / elle aime. A partir de 30 ans, Divine se sent déjà âgé, comme en dehors des relations humaines homosexuelles. Ce roman photographie sans doute le comportement d'une certaine partie de la population gay dans une époque et un cadre donnés. Le ton est presque hagiographique dans certaines pages comme si ces individus avaient quelques chose de sacré et d'admirable. Le maquereau prénommé Notre-Dame-des-Fleurs possède un surnom qui le rendrait respectable malgré ce qu'il est et représente. Jean Genet, grâce à son écriture remarquable, s'autorise à décrire parfois les bas-fonds du désir, aborde l'abjection en la transfigurant, comme s'il héritait de l'esthétique baudelairienne. Il y a sans doute aussi un peu de Rimbaud dans son écriture, mais il ne nous épargne pas. Certaines allusions risquent fort de déranger le lecteur. Certains passages m'ont donné mal au cœur, mais nous passons vite à autre chose et l'écriture est séduisante

Ce roman de Jean Genet est peuplé de voyous, de désir et de poésie. Il n'est pas de facture classique mais donne à voir une littérature qui s'émancipe de la morale et de la tradition.