Bête et méchant de François Cavanna

Bête et méchant de François Cavanna

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Minoritaire, le 17 janvier 2015 (Schaerbeek, Inscrit le 28 janvier 2012, 64 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (23 255ème position).
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Mais qui c'est ce Charlie ?

C'est le moment de (re) découvrir « Bête et méchant », le troisième tome des souvenirs de Cavanna. Histoire de comprendre un peu qui est ce Charlie dont tout le monde parle. Après « Les Ritals » qui nous raconte l’enfance du petit François dans la banlieue parisienne (Nogent); après « Les Ruskoffs » qui nous fait vivre ces années exaltantes de la jeunesse (autour de vingt ans !) et les saines distractions de ces années-là : la vie au grand air, l'éducation par le travail, la franche camaraderie des camps, l'amour... Bref, après l'avant-guerre, après la guerre, voici l'après-guerre.

La première partie nous raconte le retour à Paris. François Cavanna, désabusé, et qui a vécu l'horreur et la connerie de près, ne partage pas vraiment l'allégresse qui prévaut autour de lui. Il a perdu Maria, il a tout perdu. Mais comme « il faut bien vivre » paraît-il, il s'y met, sans enthousiasme. Travaillant le jour, dessinant la nuit. Car il veut vivre du dessin de presse. Il cherche son style, tente d'imiter Dubout, ou d'autres grands anciens. Il rencontre et aime Liliane, qui lui dessille les yeux avant de disparaître, parce que « ce sacré François, tout ce qu'il fait, ça part en couille.* »
Il abandonne donc les petits boulots, la respectabilité de l'employé pour devenir dessinateur à plein temps. C'est dans ces moments-là qu'il fait la connaissance de Fred (qui connaîtra plus tard la célébrité avec Philémon, Le petit cirque...). En cherchant à placer leurs dessins, ils découvrent « Zéro », journal vendu au colportage. Cavanna y apprendra le « métier » de rédacteur en chef, et y rencontrera (entre autres) Georges Bernier, alias Professeur Choron, qui se découvre pour sa part vendeur et meneur d'hommes. Un peu à l'étroit dans Zéro, Choron et Cavanna décident de créer le « grand chouette journal » dont ils rêvent : ce sera Hara-Kiri, mensuel puis hebdo.

L’aventure Hara-Kiri, c’est le morceau de bravoure de ce 3ème tome de souvenirs. Fred, Topor, Cabu, Reiser, Wolinski, Gébé, Delfeil de Ton... pour ne citer que les plus connus, y sont passés. Mais c'est un militaire en retraite qui, leur reprochant d'être « bêtes et méchants », leur inspira cet argument de vente supplémentaire.

Car la bande à Hara-Kiri ne respectait rien :
« L’humour ne saurait être anodin. L’humour est féroce, toujours. L’humour met à nu. L’humour juge, critique, condamne et tue. L’humour ne connaît pas la pitié. Ni les demi-mesures [...] Il dépèce et ricane sauvagement. » [...] « Rien n’est tabou, rien n’est respectable. Ceci cadrait à merveille avec mon matérialisme intransigeant. Tout rituel, tout symbole procède d’une attitude magique. Foutons dehors à coups de pied au cul les vieux interdits, à commencer par le bon goût. À continuer par le sacré. »
C’est ainsi que ni l’État, ni l’armée, ni l’Église, ni la pub, ni aucune forme de pouvoir ou d’autorité ne trouvent grâce à leurs yeux. Ni les pleureuses assermentées :

« "Là, vous allez trop loin, il y a quand même des choses auxquelles on n’a pas le droit de toucher !" Combien de fois nous l’a-t-on sortie, celle-là ! Non. Rien n’est sacré. Principe numéro un. Rien. Pas même ta propre mère, pas même les martyrs juifs, pas même ceux qui crèvent de faim... Rire de tout, de tout, férocement, amèrement, pour exorciser les vieux monstres. C’est leur faire trop d’honneur que de ne les aborder qu’avec la mine compassée. C’est justement du pire qu’il faut rire le plus fort. »

Sans doute Liliane qui comme lui (et bien plus miraculeusement) avait survécu aux camps l’aurait approuvé :
« Tu ne crois pas qu’on en a assez bavé comme ça ? Avec leurs conneries de convenances, de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas, ils ont failli avoir ·notre peau, s’ils nous ont ratés, ils ne l’ont pas fait exprès, ils ont salopé notre jeunesse, il y en a marre, François, il y en a marre ! Je me fous de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas, de l’opinion de la concierge ou de la colonelle, dans ce monde de vieux salauds hypocrites et bêtes à crever barbouillés de beaux sentiments, j’ai déjà payé, je suis quitte, je ne me laisserai plus avoir. L’enfant que tu me feras ne croira en rien, ne respectera rien et il rira à s’en péter la figure. »
Cette dernière image me fait étonnamment penser au logo d'Hara-Kiri. Le mensuel naquit en 1960. Un hebdomadaire vint plus tard en parallèle, et c'est des ruines d'une énième censure en 1970 (suite au "Bal tragique à Colombey : un mort) que l'hebdo Hara-Kiri céda la place à Charlie Hebdo avec la même équipe. Mais c'est une autre histoire.

À part cela, Cavanna nous parle toujours de son papa. Pour la dernière fois. Qu’il s’agisse de Liliane ou de Vidgeon, Cavanna sait exprimer sa détresse de façon poignante. Il nous parle de son aventure avec Tita, la mère de ses enfants, de son goût (héréditaire) pour la brique, sujets qu’il développera dans « Les yeux plus gros que le ventre » ; de ses expériences « philosophiques » (le parti communiste, la franc-maçonnerie). Cavanna nous parle de sa vie avec humour et tendresse. Il nous dresse surtout le portrait d’une époque, de 1945 à 1967.

* Je ne suis pas sûr que cette citation ne vienne pas du tome suivant...

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La fabuleuse histoire de Hara-Kiri

9 étoiles

Critique de Catinus (Liège, Inscrit le 28 février 2003, 73 ans) - 17 janvier 2015

Paris 1945. François Cavanna est de retour d’Allemagne où il avait été réquisitionné par le STO ( service du travail obligatoire). Il y a laissé son amie Maria, une prisonnière ukrainienne. Il a vingt ans, vit chez ses parents rue Ste-Anne à Nogent. Il rencontre Liliane Soja, une jeune femme d’origine polonaise, 20 ans, qui a subi la vivisection, une des spécialités des nazis. Après de petits boulots (chauffagiste, maçon), Cavanna décide de ne plus se consacrer qu’au dessin. Dessiner des guignols, comme dit son père Louis.
Voici la fabuleuse histoire du mensuel « Hari Kiri », le journal bête et méchant.

Les chapitres :

- Liliane : rencontre de Liliane Soja. Les premiers dessins de Cavanna dans des journaux comme « Kim ».
- 1949, la guerre ne joue pas le jeu : mort de Liliane
- 1950, les petits mickeys : Cavanna se déclare professionnel du dessin. Rencontre avec Bosc, Fred, …
- 1954, vous n’avez rien contre les jeunes : Cavanna rédacteur en chef-adjoint au journal « Zéro » qui se vend en rue. Il rencontre Georges Bernier (Choron) et Reiser
- 1953-1954, le décès du père de Cavanna. Le voyage en Italie, en vélo, en 1950 où il rejoint son père en vacances
- 1960, la grande aventure : Hara Kiri est né avec Cavanna, Choron, Cabu, Wolinski, Fred, Reiser, Topor, Melvin, etc…
- 1961, il n’y pas de censure en France : Hara Kiri est interdit
- 1963, interlude : le service après-vente d’Hara Kiri
- 1945 – 1956, expérience : avec le communisme, la franc-maçonnerie
- 1951, Tita : et les cinq enfants : Anne, Catherine, Sylvie, Jérôme et Laurent et la maison
- 1967, le coup de grâce



Extraits :

- Une heureuse nature, Cabu. Son rire est toujours là, pas bien loin, prêt à fuser dans des effarements de pucelle chatouillée. Ses yeux de faïence à décor bleu, ses yeux de petit enfant à fossettes. Ils ne guettent que ça : l’occasion d’un fou rire. Il a vingt-trois ans, en paraît quinze, n’en aura jamais davantage. Il trimballe une dégaine d’escogriffe qui use les fringues du grand frère, superpose les pull-overs tricotés par la tante restée demoiselle. Une tignasse de chien briard taillée au bol lui tombe aussi épais sur les yeux que sur la nuque, va savoir où est le côté de la queue, où est celui de la truffe. Cabu est resté le môme qui traîne son cartable sur le chemin de la communale, n’évitant aucune flaque, fendu jusqu’aux oreilles aux cochonneries que lui débite un copain. Cabu raffole des obscénités, bien énormes et bien grasses. Nous aussi, tiens donc mais Cabu s’en ferait mourir.

- Wolinski, à son bout de table, gribouille, la tête penchée de côté, bouche serrée, un bout de langue sortant par un coin. Il a devant lui une pile de feuilles de papier dactylo, une grosse pile, il prend une feuille sur la pile et il gribouille. N’importe quoi. De ces choses qu’on gribouille. Par exemple quand on téléphone. Des dames à poil. Surtout des dames à poil. Qui courent, souvent. De la droite vers la gauche, toujours. Elles tendent les bras en courant, elles tendent le cul, elles rient.

- Foutons dehors à coups de pieds au cul les vieux interdits, à commencer par le bon goût. A continuer par le sacré. (…) Rien n’est sacré, pas même ta mère, pas même les martyrs juifs, pas même ceux qui crèvent de faim… Rire de tout, de tout, férocement, amèrement pour exorciser les vieux monstres. C’est leur faire trop d’honneur que de ne les aborder qu’avec la mine compassée.

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