Les réputations
de Juan Gabriel Vásquez

critiqué par Tanneguy, le 21 janvier 2015
(Paris - 85 ans)


La note:  étoiles
Les caricatures ont parfois des conséquences dramatiques...
Javier Mallarino est un caricaturiste renommé en Bolivie et reçoit un hommage remarquable à l'occasion des quarante années pendant lesquelles il exercé son art dans un des quotidiens célèbre à Bogota (Colombie). Il se penche avec fierté, et avec quelque indulgence sur les résultats de certaines de ses caricatures.

Mais il est rattrapé par les conséquences dramatiques de l'une d'entre elles en rencontrant une jeune femme qui y a survécu. Doit-il se repentir ? Il ne semble pas y être prêt, mais...

L'auteur expose les faits avec élégance et finesse et c'est un plaisir que de le suivre dans toute la première partie de ce livre. Il est dommage qu'il patauge un peu vers la fin avec des digressions sur le passé et l'avenir (une de ses marottes semble-t-il )que le lecteur a du mal à suivre, d'autant que cela se fait au détriment du dénouement qui reste obscur.

J'ai eu l'occasion de lire (assez rapidement, je l'avoue) un essai récemment publié de David Lodge (des vies à écrire), dans lequel il analyse l'œuvre des romanciers britanniques les plus connus. Il remarque notamment que ceux-ci, manquant parfois d'inspiration, utilisaient de manière systématique des biographies ou des faits divers pour les "romancer" avec des résultats "divers".

A l'évidence Vasquez n'a pas besoin de recourir à ces expédients. Son inspiration est intacte et il faut l'en féliciter : son intrigue est originale et plaisante et je me suis régalé à en prendre connaissance, les petits défauts signalés plus haut mis à part.
un roman sobre aux résonances multiples. 9 étoiles

Ce récit de 180 pages est très bien mené : on assiste à une cérémonie de consécration officielle d’un caricaturiste politique, Javier Mallarino, dont le trait incisif et les légendes caustiques ont marqué l’actualité sociale et politique, lui assurant un pouvoir redouté.

Pourtant une rencontre inattendue amène l’intéressé à se rappeler une aventure personnelle, et par suite un cruel dessin - qui eut des répercussions politiques et humaines importantes. Vient alors dans l’esprit du caricaturiste le temps du doute :

« Les certitudes acquises à un moment donné du passé pouvaient avec le temps cesser d’être des certitudes : un évènement survenait, un fait fortuit ou volontaire et , brusquement, son évidence était invalidée, les choses avérées cessaient d’être vraies, les choses vues et celles qui étaient survenues n’avaient jamais été vues et celles qui étaient survenues n’avaient jamais eu lieu : toutes ces réalités perdaient leurs place dans le temps et dans l’espace pour être englouties, pénétrer dans un autre monde ou une dimension différente et inconnues. »

J’ai bien aimé l’écriture à la 3e personne, distante du protagoniste, mais aussi parfois proche de lui et de ses pensées intimes. Pendant la cérémonie officielle, le caricaturiste joue son personnage, tout en suivant ses propres réflexions, le regard sur sa femme dont il est séparé.

Pour autant, l’auteur ne prend pas le parti de Javier Mallarino, il laisse le lecteur deviner ses doutes, réfléchir sur son rôle dans cette triste histoire - - dont on ne saura pas le fin mot. Il est vraisemblable qu’à une nouvelle lecture on jetterait un regard nouveau sur l’intrigue et sur la fin du récit.

En filigrane on s’interroge sur le pouvoir de la plume capable de sceller un destin, par un dessin ou une phrase lapidaire. «  La caricature[est] un aiguillon enrobé de miel », dit Mollarino, c’est-à-dire qu’on vise le plaisir des lecteurs aux dépens d’une victime, sacrifiée sur l’autel public.

Le titre « les réputations », concerne autant la vérité de l’artiste glorifié que l’homme politique sacrifié. Nous en sommes réduits, comme dans le monde contemporain des medias, à nous demander si le masque/réputation correspond à la personne, s’il l’étoffe ou s’il l’étouffe.

Les entourages respectifs sont aussi impliqués, y compris la fille du caricaturiste dont on parle peu dans le récit, mais qui, in fine, revient sur la scène.

J’ai donc apprécié ce roman sobre aux résonances multiples, car, comme le dessinateur satirique, le romancier décape les apparences pour mettre au jour une société, souvent très rapide dans ses jugements comme dans ses condamnations, qu’il s’agisse du quotidien ou de la vie officielle.

Rotko - Avrillé - 50 ans - 12 janvier 2016