Printemps silencieux
de Rachel Louise Carson

critiqué par Heyrike, le 2 février 2015
(Eure - 57 ans)


La note:  étoiles
Une voix qui rompt le silence
"Il était une fois une ville au cœur de l'Amérique où toute vie semblait vivre en harmonie avec tout ce qui l'entourait." Ainsi débute cet ouvrage qui ouvre une fenêtre intérieure par laquelle on peut, si le désir nous en prend, contempler la beauté de la nature œuvrant inlassablement à perpétuer la vie sur cette terre d'accueil qui a bien voulu laisser une place à l'espèce humaine, lui révélant chaque jour la magnificence et le miracle de son renouvellement infini.

Un jour de printemps, un immense silence se propagea dans le ciel. Les oiseaux avaient cessé d'égayer les oreilles des hommes. Qu'était-il arrivé pour que plus aucun frissonnement, dû aux trilles virevoltants des oiseaux, ne vienne traverser et faire frémir l'âme des amoureux de tout âge?

Au cours des années 1930, l'industrie chimique propose des moyens de pallier les déprédations provoquées par les "nuisibles" qui menacent les productions agricoles. Durant les années 1940 la guerre chimique s'intensifie pour enfin prendre son envol à partir des années 1950 où un véritable tsunami d'extermination s'abat sur plusieurs territoires américains. Dans un premier temps les effets escomptés semblent être au rendez-vous, les insectes, les champignons et les rongeurs qui menaçaient les récoltes sont éradiqués. Effets éphémères. Les années suivantes les phénomènes combattus rejaillissent de plus belle. Jamais à cours d'idées, l'industrie chimique contre-attaque en proposant d'autres produits plus destructifs tout en préconisant d'intensifier l'épandage de ceux-ci grâce notamment à la pulvérisation aérienne tout azimut.

Rachel Carson, une biologiste marine, dénonce à travers ce livre les conséquences désastreuses, aussi bien à cours terme qu'à long terme, de l'utilisation irrationnelle des substances chimiques, car comme elle le dit "à une époque qui est celle de la spécialisation ; chacun ne voit que son petit domaine, et ignore ou méprise l'ensemble plus large où cependant il vit". Reprenant à son compte la phrase de Jean Rostand "l'obligation de subir nous donne le droit de savoir", elle entreprend de rassembler l'ensemble des éléments qui annoncent une catastrophe écologique majeure mettant en péril la faune et la flore, et par conséquent l'avenir de l'espèce humaine. Animée par l'idée qu'elle n'a pas d'autre choix que de rentrer en résistance contre "l'orthodoxie enracinée dans les premiers instants de la révolution scientifique, selon laquelle l'homme est le centre et le maître de toutes choses, l'histoire scientifique n'étant rien d'autre que l'histoire de cette domination – qui espère-t-on, finirait par être totale.". Elle décrit avec une très grande précision les mécanismes destructeurs des produits chimiques qui entraînent une réaction en chaîne non maîtrisée et bien souvent non maîtrisable. Pour cela elle s'appuie sur des faits concrets observés et analysés, durant plusieurs années, dans plusieurs États d'Amérique du Nord, sur des expériences réalisées grandeur nature et des études de chercheurs de différentes spécialités non rattachées à l'industrie chimique. Tous ces faits sont connus et répertoriés par les observateurs de la nature et les autorités compétentes.

Tout cela, bien entendu va à l'encontre des discours des scientifiques acoquinés avec l'industrie chimique qui garantissent pratiquement l'innocuité (et oui plus c'est gros mieux ça passe) de leurs produits issus de leurs cerveaux d'apprentis sorciers. Car si les risques sont soit disant "calculés" avant chaque campagne d'épandage de pesticide, à la finale c'est le citoyen qui les prend.

Les insecticides systémiques furent une grande trouvaille, rendre les semences toxiques pour tous les parasites qui s'en nourrissent, procédé également employé pour le bétail en y injectant un poison mortel pour les parasites qui se repaissent de leur sang entraînant un dérèglement du métabolisme de l'animal susceptible de provoquer la mort. A quand un systémique qui rendrait l'homme vénéneux pour le moustique ?

Dans les années 1950, les ormes majestueux qui ornent bien des villes et villages d'Amérique du Nord succombent les uns après les autres, en cause "la maladie hollandaise" venue d'Europe dans les années 1930 à travers des billes de bois destinées à l'ébénisterie, c'est un champignon qui pénètre dans les vaisseaux de l'arbre, les obstrue, fait sécher les branches et tue l'arbre. Ce champignon se déplace d'arbre en arbre sur le dos des scarabées qui creusent des galeries sous l'écorce des arbres. Un programme d'éradication du scarabée, vecteur de la maladie, est mis en place sous la forme d'épandage d'insecticide à forte dose. L'année suivante, le traitement est renouvelé. Cette année là, les rouges-gorges reviennent de leur long périple migratoire pour s'installer dans les arbres traités. Au bout de quelques temps, il est constaté que les oisillons sont peu nombreux, pire le sol est jonché d'oiseaux agonisants. Quelle pouvait bien être la cause de cette hécatombe ? Des études, menées à l'époque, démontrèrent que l'intoxication des oiseaux résultait d'une suite d'enchaînement de cause à effet dû au pesticide répandu allégrement. Le pluie meurtrière avait recouvert les feuilles des arbres, qui à l'automne étaient tombés. Les vers (seigneurs de la terre), jouant leur rôle de laboureur souterrain, avaient ingéré le poison. Les rouges-gorges adorent les vers. En voulant sauver les arbres, les savants fous avaient enclenché un processus d'extermination des oiseaux, car en plus de les tuer, les pesticides les rendaient stériles, menaçant gravement la pérennité de l'espèce.

Car c'est bien là une des plus graves conséquences de ce genre de procédé mortifère, usant d'arguments fallacieux, l'industrie chimique affirme que ces traitements sont ciblés et n'ont aucune répercussion sur les autres formes de vie. Voilà un exemple, parmi tant d'autres, des conséquences de la guerre chimique (véritable acte de terrorisme commis contre la nature) exposé par l'auteur dans son ouvrage.

Mais cela ne s'arrête pas à ça, l'auteur aborde les répercussions de ce carnage sur la santé des hommes. Ces produits chimiques ne disparaissent pas par enchantement après avoir été pulvérisés, ils s'immiscent partout, polluant la terre et les cours d'eau. Ils perdurent et même s'associent entre eux pour se transformer parfois en un cocktail chimique encore plus dangereux. Ils provoquent des modifications radicales dans l'écosystème. Un écosystème qui nourrit l'homme ! Ces produits contaminent l'organisme humain, modifient les cellules qui perdent leur pouvoir constructif et régénérateur, s'atrophient et dégénèrent inéluctablement, ouvrant une voie royale aux cancers, entre autres.

Pourtant il existe des alternatives à ces traitements de chocs mortifères. Des solutions qui prennent soin de respecter l'interaction entre les différentes formes de vie existent et l'auteur cite plusieurs exemples qui ont permis de contrecarrer certaines formes de "nuisances" tout en préservant l'harmonie essentielle à la continuité de la symphonie de la terre nourricière. Des solutions qui, comme l'explique clairement l'auteur, sont nettement moins coûteuses pour la communauté. Des solutions qui s'opposent radicalement à la stratégie mercantile de l'industrie chimique (ajoutez à cela l’aveuglement des pouvoirs publics volontaire ou non) peu soucieuse de la santé publique et encore moins de la préservation de l’environnement. La terre étant devenue un vaste champ d'expérimentation pour ces mégalomanes se croyant investis d'une mission divine et lucrative de surcroît.

L'auteur interpelle l'ensemble de la société, conspuant ceux qui ont décrété, au nom de millions de personnes (qui n'ont jamais été consultées à ce sujet), qu'il fallait anéantir sans scrupule ni discernement tout ce qu'ils ont répertorié comme étant "nuisible" au risque de rendre le monde stérile en le privant de sa diversité et de sa beauté. Elle pointe du doigt le pouvoir autoritaire, mais temporaire, qui se joue du peuple, dont il est censé défendre les intérêts pourtant, en misant sur son inattention et sa méconnaissance des enjeux cruciaux sur de tels choix qui impactent durablement l’écosystème qui gouverne l'équilibre et l'interaction inextricable de toutes les formes de vie dans un immense dessein qui nous échappe tant sa force est plus grande que notre capacité à la percevoir (et aucun Dieu n'y changera quoi que ce soit). Cela l'amène à dire que : "Dans les circonstances présentes, notre sort n'est guère plus enviable que celui des invités des Borgia." L'irrationnel atteint le summum lorsque sont mises en place des études afin de trouver des remèdes capables de soigner les cancers (études nécessaires bien sûr), tandis que parallèlement rien n'est fait pour stopper la pluie meurtrière déversée aveuglément par monts et par vaux.

Cet ouvrage, publié en 1962, a aussitôt provoqué une levée de boucliers, l'auteur fut vilipendé par nombre de chercheurs et autres spécialistes de tout poil (apparatchiks de l'industrie chimique), poursuivie en justice par les industriels, attaquée sur sa vie privée, accusée d'être communiste, et par dessus tout, comble de l'infamie, être traitée d'hystérique en raison de son sexe. Mais elle résista malgré tout. Loin d'appeler pourtant à l'interdiction totale des pesticides, elle prônait une utilisation pondérée et réfléchie de ces poisons, mettant en garde contre ces pratiques qui poussaient les hommes a se rendre maître d'une nature bien plus complexe que leurs cerveaux primitifs. En 1972, l'utilisation du DDT sera interdite aux États-Unis (sans pour autant que la production destinée à l'exportation en soit interrompue).

L'auteur, que l'on peut considérer comme une lanceuse d'alerte, meurt en 1964 d'un cancer du sein. Une femme courageuse qui est aujourd'hui célébrée un peu partout dans le monde. Une étude de 1993 a démontré une corrélation significative entre la présence de DDT dans le sang et le risque du cancer du sein. Une autre étude Américaine a permis d'établir que l'organisme des personnes atteintes d'Alzheimer présentait un taux de contamination par le DDT quatre fois plus important que les personnes en bonne santé.

Un ouvrage de référence sur la défense de l'environnement, considéré depuis comme étant à l'origine de l’avènement du mouvement écologiste.

Dichlorodiphényltrichloroéthane, Aldrine, Heptachlore, Dieldrine, Dinitrophénol, Parathion, Toxaphéne, Hexachlorure de benzène, Lindane, Malathion, Aminotriazole, Méthoxychlore, Paradichlorobenzène ..."tout ce qui est dégueulasse porte un joli nom" Allain Leprest