La survivance
de Claudie Hunzinger

critiqué par Frunny, le 11 février 2015
(PARIS - 59 ans)


La note:  étoiles
"Nos vieux jours de jeunes fous !"
Claudie Hunzinger est une artiste et romancière française née en 1940 en Alsace.
Eleveuse de brebis, enseignante, plasticienne et romancière, c'est une touche-à-tout qui par ses multiples expériences nourrit ses oeuvres.
"La Survivance" est publié en 2012 (Grasset)

Jenny et Sils doivent affronter -à 60 ans- la faillite de leur librairie. Ils sont contraints de partir, de s'exiler en montagne.
Rejoindre "une coque crevée qui avait été une goélette 40 ans auparavant."
"Une cabane pourrie", à 1 000 mètres d'altitude, dans le parc des ballons des Vosges.
Il leur faudrait arranger cette grange pour tenir un siège contre la famine, le gel et les loups.
La Survivance comme un phare pour recommencer à vivre violemment.

Claudie Hunzinger signe une oeuvre magistrale, intelligente et sensible.
Un roman sur la perte. De la jeunesse, de son métier, de la civilisation de l'écrit et du livre, d'une planète usée à mort.
Mais surtout un combat pour la vie pour qui veut affirmer sa passion .
C'est en affrontant l'inconnu dans un élan vital que Jenny et Sils tentent de ne pas sombrer.
Sils dans sa quête des pigments constituant les couleurs des peintures de Matthias Grünewald.
Jenny, à la rencontre des cerfs tels "des chefs indiens. Ils se montraient avec tout leur attirail de beauté, de puissance, de pouvoir. Leur parure cosmique. Ils semblaient nous ignorer."

"L'abîme vers lequel nous avancions sans le voir, tous en file dans le noir. Sils en tête, moi derrière lui, puis l'interminable cohorte de nos livres, puis fermant la marche; elle, Avanie."

"La littérature ou la vie ?" s'interroge la narratrice (Jenny) au cours du roman.

Précipitez vous vers cette pure merveille de la littérature qui réunit toutes les qualités. Sobriété, intelligence, sensibilité et érudition. Le tout servi par une qualité narrative indiscutable.
Un très grand roman !
Il a neigé tout février. 5 étoiles

Jenny et Stils ont la soixantaine et suite à des déboires financiers doivent quitter leur librairie (qui était aussi leur logement). Leur situation matérielle est à ce point désespérée qu'isl n'ont d'autre solution que d'aller occuper un cabanon perché dans les montagnes du Jura. Pas d'eau ni d'electricité, pas de voisin... Ils avaient déjà vécu quelques mois à la mode "baba-cool" quand ils avaient vingt ans, mais maintenant c'est du sérieux ; il va falloir affronter l'hiver dans tous les sens du terme.

Un livre qui a reçu beaucoup d'éloges de la critique mais qui m'a laissé un peu tiède. Dans le genre j'avais été ému jusqu'aux larmes par LE CHERCHE BONHEUR de Michael Zadoorian mais ici je n'ai pas réussi à me hisser dans le rythme du roman.

Lu en une nuit d'insomnie.
août 2015

Monocle - tournai - 64 ans - 7 août 2015


Simplicité involontaire 9 étoiles

J’aime beaucoup les romans qui parviennent à me détacher de la course folle du quotidien. Ce fut le cas ici. Pourtant, il ne s’agit pas d’un livre avec une destination. Après 40 ans, un couple est forcé de retourner sur une vieille propriété abandonnée en montagne et littéralement y apprendre à survivre. L’auteure ne dépeint pas un portrait idyllique de la vie à l’extérieur du milieu urbain. Cela n’est pas mieux, seulement différent. Le contraste entre la période hippie effervescente et celle des vieux jours est aussi traité avec nuance et justesse. D’ailleurs toute la narration est d’une belle candeur. Un très beau livre pour faire une pause.

Aaro-Benjamin G. - Montréal - 55 ans - 2 août 2015


J'ai tout aimé dans ce livre ! 10 étoiles

Jenny et Sils se retrouvent dans la situation de chercher un refuge suite au naufrage de leur librairie, et sans ressources leur permettant d’acquitter un loyer. Couple atypique, tous deux passionnés par les livres et la littérature au point de se trouver confrontés aux réalités matérielles sans préparation et même la maturité nécessaire malgré leurs soixante années.
Ce refuge ils vont le trouver dans une ancienne métairie en ruines leur appartenant et située au coeur des Vosges. Tout à refaire, à reconstruire, aussi bien leurs vies déjà bien avancées que le toit crevé. Mais sans oublier leurs livres, livres anciens qu’ils installeront en priorité dans l’étable près de leur ânesse Avanie ; un vrai mur de lecture et d’évasion.
Ils vont se trouver confrontés à une vie rude, difficile, loin de tout, sans électricité, sans aucun confort minimum mais dans un cadre magnifique et sauvage.
Cette expérience ils l’avaient pratiquée dans les années 70, période hippie qui les avait conduit à acheter cette métairie pour se marginaliser, au plus près de la nature alors qu’ils n’avaient pas encore choisi leurs voies. Expérience exotique, abandonnée cependant, dans ce lieu qu’ils avaient nommé “La survivance”, nom qui allait résonner dans toute sa réalité 40 ans plus tard...

“ Dire que cette maison, aujourd’hui échouée, coque crevée, avait été une “goélette” qui nous avait emportés, Sils et moi, à voiles légères, cap sur une fête. Une ânesse nous accompagnait. Nous l’avions appelée Utopie. Oh ! notre art de vivre fait de table rase et d’insouciance ! Nous étions alors neufs, souples, légers, musicaux, et nous allions, c’était sûr, inventer l’Eden. C’était resté une parenthèse étrange. Cette fois, ce serait autre chose.”

Grâce à une belle écriture, riche, érudite mais très naturelle, ce récit nous fait vivre cette plongée au coeur de forêts habitées encore d’animaux sauvages ; plongée qui sera source de réflexions profondes et de questionnements sur leur façon de vivre, leur rapport au confort, au matérialisme , au conditionnement à l’argent, aux biens ; à ce qui serait essentiel à la vie.
Au début ils partent sur un sentiment de défaite et cela ressemble plutôt à une lutte pour une survie ; puis peu à peu les gestes, les efforts trouvent leurs récompenses dans les travaux d’aménagement même sommaires . Ils découvrent qu’ils peuvent s’en sortir et leurs allures de pionniers s’accordent avec les “indiens” qui les entourent, les approchent, sentinelles de la forêt, arborant leurs coiffes en bois torturé : un clan de cerfs majestueux ! Bientôt l’emprise de la “Survivance” s’imposera et la littérature qui les aura nourris passera le relais à la vie, voire à la survie. Mais si, avec les beaux jours, cette nouvelle vie leur apparaît gérable, l’hiver sera une véritable épreuve.
C’est un livre intelligent, truffé de références littéraires liées à la passion des livres et qui s’inscrivent naturellement dans le cheminement personnel de chacun des personnages.
Jenny se réalisera dans l’observation de la nature et la fascination pour les grands cerfs sorte de dieux de la forêt, et les travaux d’un jardin dont ils vont dépendre pour ne pas mourir de faim ; nature dictant ses volontés et souvent cruelle.
Sils, lui, grand enfant de 60 ans encore plus choqué par l’incendie du musée d’Unterlinden à Colmar que par sa propre défaite, cherchera à reconstituer, grâce aux minéraux dans la montagne, les pigments des tableaux ayant disparu dans cet incendie. Terrible et superbe évocation :

“ Il n’avait pas assisté à l”incendie, mais il me décrivait comme s’il y avait été le halo rougeoyant autour du musée, des cercles de couleurs, et les étincelles furieuses éclaboussant d’escarbilles le ciel de la ville, bleu azurite, comme dans la nuit peinte du panneau de la Résurrection.
Et il me parlait du feu qui après avoir englouti le premier étage, puis dévalé les escaliers, s’était approché de “La Mélancolie” en robe rouge de Cranach, mais elle n’était pas là, la place était vide, et qui, de rage, avait alors dévoré le “Portrait de femme” à l’identité inconnue, en noir sur fond vert-noir, au visage aigu, sévère, pâle, de Hans Holbein l’Ancien, qui se trouvait à côté.(...) Et Sils disait que l’haleine géante de l’incendie projetait au loin des fragments de bois de tilleul et de peinture fondue.”

Jenny, celle qui raconte, est forte, cachant ses peurs, combative.
“ Si nous voulions nous en sortir, il fallait sortir de nous. Plonger direct dans les sensations, dans la peur,dans la joie, être aux aguets, se transformer en une boule de présence au monde prête à jaillir. Il y a quelque chose d’excitant, de suffocant dans la lutte pour la vie : plus d’écran entre elle et nous. On devient la vie. Tous les hommes descendent de Darwin, me soufflait Sils qui avait lu Jules Renard”.

Sils, lui, est fragile, la tête dans les étoiles ou plutôt dans les minéraux. Il supporte moins les rudesses de l’hiver et plonge dans le mur de lecture pour tenir.

C’est un couple d’intellectuels étonnants, soudés mais profondément libres, s’étant toujours refusés de rentrer dans le moule de la société et qui se retrouvent dans la situation de tout recommencer à l’automne de leur vie. Du sentiment de naufrage ressenti lors de l’abandon de leur librairie qui avait été leur unique raison de vivre, ils vont passer à celui d’une réussite, celle de la résistance, de la “survivance”, obtenue d’une façon totalement différente de celle par la passion des livres. L’une ne s’opposant pas à l’autre, ne lui faisant pas concurrence mais d’une complémentarité absolue. Secret de vie ? Combat de vie ?

La curiosité première au commencement de cette lecture s’est vite transformée en un plaisir total grâce à une écriture subtile et aux réflexions profondes , invitant à partager cette “aventure” originale, à la découvrir en même temps que le couple et à en tirer des conclusions propres.
J’ai aimé les descriptions des animaux , de la nature , des éléments, des rencontres fortuites ; des échecs, des réussites, des références aux livres souvent intimement liées avec les découvertes ou épreuves.
J’ai aimé la démarche de Sils et ses recherches de pigments dans les minéraux ; le combat courageux de Jenny et sa relation fusionnelle avec la nature et les animaux. J’ai tout aimé dans ce livre !

Pieronnelle - Dans le nord et le sud...Belgique/France - 77 ans - 1 mai 2015


quand l'utopie tombe... 8 étoiles

Jenny et Sils ont 60 ans. Leur librairie dans les vignes est en faillite et leur compte en banque à sec. Il ne leur reste rien, que les livres dont ils ne peuvent se séparer, et une propriété inconstructible dans la montagne vosgienne, une ruine sans eau ni électricité à 1000 mètres d'altitude. Sils part en voiture, avec ses cartons, tandis que Jenny s'y rend à pied, en compagnie de l'ânesse Avanie et de Betty, leur chienne. Cette propriété, c'est Survivance. C'est le mois de mai, le temps pour ces libraires de réparer la toiture de la grange, de planter le potager, de faire des réserves pour l'hiver rigoureux.
Jenny et Sils font, en sens inverse, le chemin qu'ils avaient parcouru quarante ans auparavant, quand jeunes et pleins de projets, ils avaient vécu un été sans contrainte avant de réaliser leur rêve. A l'époque, déjà, une autre ânesse, Utopie, les accompagnait.

La survivance est un livre assez atypique, de par son contenu et son traitement. On y suit Jenny et Sils, soixantenaires "intellectuels", tenter de se préparer à l'hiver rigoureux qui s'annonce. Ils n'ont plus d'argent, plus de maison, plus de jeunesse, pas de but autre que celui de tenir contre l'hiver qui s'annonce. Pour le printemps qui suivra, on verra bien. Ce qui leur reste, ce sont des livres, et des rêves brisés. Chacun d'entre eux tentera de s'acclimater à sa nouvelle vie, avec plus ou moins de bonheur, en en tirant plus ou moins de satisfaction. Ils devront s'acclimater aussi bien au climat qu'à la solitude, se réhabituer à vivre à deux, de peu.
Mais au-delà de ce côté "pourront-ils survivre à leur nouvelle vie", ce livre évoque avant tout, pour moi, l'impossibilité de notre société d'accueillir ceux qui sont un peu différents, dont les normes ne sont pas celles du tout-venant, qui vivent pour et de leur passion, jusqu'à en oublier les prérequis terre-à-terre de notre vie. C'est Jenny qui le dit : "En fait, nous étions façonnés de lectures et de rêves (et d'expériences plus poétiques que stratégiques), ce qui pouvait ne pas sembler malin alors que les temps nous demandaient de nous montrer dynamiques, électroniques, immédiats et vifs, hypermodernes, ne sachant même plus ce qu'était un roman." La survivance est pour moi la réponse de Claudie Huntziger, "artiste et écrivain français, qui place l’écriture au centre de son travail, explorant le concept du livre, construisant des Bibliothèques en cendre, tout en publiant chroniques et récits." selon sa biographie, à cette question, un constat plutôt déprimant, tout comme le nom de l'ânesse, Avanie…
J'ai apprécié les rencontres de Jenny avec ses voisins "peaux-rouges", je me suis sentie moins concernée par les discussions initiées par Sils autour des pigments utilisés par le peintre Grünewald.
La survivance est un roman sensitif, différent, libre, un peu triste et nostalgique. Une nouvelle vie, ce sont de belles conquêtes, mais aussi des abandons, des pertes. Ce livre fait écho à "Bambois, la vie verte" qui raconte l'histoire d'un couple de citadins qui font le choix de s'exiler dans la montagne, pour y vivre une autre vie. La mise en parallèle de ces deux livres (je n'ai pas lu Bambois) donnerait certainement plus de profondeur à leur lecture, et peut-être permettrait de relativiser le constat assez sombre que l'on fait, en tournant la dernière page de La survivance.

J'avais rapporté pour Avanie une brassée de foin qui datait du temps d'Utopie. Jamais je n'aurais pensé nourrir un jour la mélancolie avec la dinguerie d'autrefois.

Nous étions le 7 décembre. Quarante ans plus tard, nous étions arrivés au point où nous autrefois avions renoncé. Il y avait quelque chose d'inquiétant à dépasser ce point. Quelque chose de joyeux à se demander si la vieillesse avait en elle d'autres ressources que la jeunesse.

Ellane92 - Boulogne-Billancourt - 49 ans - 13 mars 2015


Du métier de libraires au statut de « Robinson Crusoé » 8 étoiles

Jenny et Sils sont contraints de laisser leur librairie, en pays alsacien, dès le début du roman. Manifestement ils n’étaient pas faits pour les affaires et, en ces temps de moindre consommation de la chose écrite, ça peut conduire à la faillite. C’est ce qui leur arrive.
Jenny et Sils sont à l’automne bien sonné de leur vie et il leur va pourtant falloir faire un grand saut dans l’inconnu. Un saut vers la « survivance », dans un rôle de « Robinson Crusoé » dans la montagne alsacienne. Plus de librairie, plus de revenus, plus de maison … Il leur revient en mémoire cette ruine, dans la montagne, sans électricité ni eau (sinon une source), ni toit en état d’ailleurs, une vraie ruine, celle dans laquelle ils vont déménager leur quotidien.

« Il fallut d’abord rendre l’accès du chemin praticable. Je ne sais pas combien de brouettes de grosses pierres extirpées des moraines nous avons déversées dans ses fondrières. Et de brouettes de moyennes pierres. Et de brouettes de petites pierres. Ce fut fait le lendemain matin qui avait débuté à 6 heures.
L’après-midi, nous avons dégagé les entrées de la ruine. Des bouleaux avaient poussé. Sils les a abattus puis débités, froidement. Ils ruisselaient de sève. Je ramassais les branchages pour les transporter à pleins bras, sous la pluie, et les jeter encore vivants sur le feu où leurs bourgeons éclataient en dégageant un violent parfum balsamique. »

Ca vous a un côté conte, conte écologique genre retour à la nature. Comme pour faire davantage conte d’ailleurs, Jenny et Sils emmènent avec eux Betty, la chienne, et Avanie, l’ânesse. Il va être question de potager créé en altitude pour aménager la survie, question de cerfs qui, comme des bons génies, viennent veiller au bien-être des déracinés. Il y a beaucoup de références littéraires aussi –ils étaient tous deux libraires et ont emmené des cartons de livres …
C’est un récit à part, à la fois désabusé et optimiste (un peu). Un récit clairement de notre temps avec des problématiques bien actuelles. Robinson Crusoé dans la montagne alsacienne.

Tistou - - 68 ans - 3 mars 2015