Attends
de Jason

critiqué par Tophiv, le 12 janvier 2004
(Reignier (Fr) - 49 ans)


La note:  étoiles
N'attends pas !
Question BD, je m’étais arrêté après Tintin, Astérix et Gaston Lagaffe ! Très loin donc de cette BD en noir et blanc, créée par un norvégien de 38 ans (de son vrai nom John Arne Saeteroy), publiée en France par l’éditeur suisse Atrabile : éthymologiquement, bile noire et dans le dictionnaire : « substance hypothétique qui passait pour causer la mélancolie et l’hypocondrie». Tout un programme, donc ! Et effectivement, l’auteur correspond bien à son éditeur.

Très rapidement, le lecteur plonge dans un univers décalé, un peu surréaliste où les humains ont des têtes d’animaux et les adultes se déplacent sur des échasses en guise de voiture. Décomposé en deux parties, ce recueil aux 6 immuables vignettes par page et au rythme lent installe une ambiance sombre, le lecteur pressent l’arrivée d’un drame.

Jon et Björn, deux gamins aux occupations de leur âge, semblent heureux jusqu’à l’accident causant la mort de Björn. Le temps d’un éternuement et Jon passe à l’âge adulte, l’innocence perdue, la culpabilité ancrée pour toujours à son âme : fin de la première partie.

Puis vient la vie d’adulte, les grands immeubles froids ont remplacé les jolies maisons provinciales, les amis ont disparus. Les jeux font place au travail répétitif, la forêt transformée en usine noire et les échasses en métro surpeuplé. Seul, oubliant ses rêves, Jon s’enfonce dans une existence ratée, rongée par le souvenir.

Peu de dialogue dans cette BD et pourtant, il m’a semblé que ces images créaient une ambiance sonore omniprésente, souvent lourde et pesante : un grand fracas rauque avec ces six images noires, synonymes de mort, le long silence des six images blanches, le bruit lancinant de la pluie, la conversation des autres ou la télévision remplissant si peu le vide de la solitude…

Avec pas mal d’idées dans la narration, Jason réussit avec peu d’effets à transmettre au lecteur une noirceur désabusée, comme un électrochoc cherchant peut être à nous dire justement de ne pas attendre, de ne pas oublier nos rêves d’enfance, de ne pas attendre que nos peines et nos doutes s’érodent au fil des jours, de ne pas attendre un jour meilleur pour réaliser ces rêves car le temps passe bien vite.

Une œuvre forte et originale au format inhabituel, ce qui ajoute à son mystère et à son caractère unique.