Thérèse de Lisieux au carmel
de Jean-François Six

critiqué par Saule, le 16 mars 2015
(Bruxelles - 59 ans)


La note:  étoiles
Thérèse au Carmel
Dans un premier tome dédié à l'enfance de Sainte Thérèse (par ailleurs critiqué sur ce site) Jean-François Six avait fait un travail super intéressant de dépoussiérer l'image de Sainte Thérèse en la remettant dans son contexte familial et historique. Ainsi, à l'opposé par exemple de JP 2 qui voulait canoniser les époux Martin, le portrait de la famille et des pratiques religieuses était beaucoup moins "moralisant" et "édifiant" mais bien plus intéressant pour comprendre Thérèse. Dans ce second tome l'auteur poursuit son énorme travail d'analyse en se consacrant aux années que Sainte Thérèse a passées dans le Carmel de Lisieux. Le principe est le même : les textes de Thérèse sont "décapés" en repartant de l'original, c'est à dire que l'auteur enlève la couche d'affadissement qui avait été rajoutée par sa soeur Pauline (soeur Agnès). L'auteur insiste sur le fait que la spiritualité de Thérèse n'a pas été comprise de son vivant, d'où les nombreuses "corrections" apportées à ses écrits et qu'il reproche chaque fois vivement (à soeur Agnès, la soeur aînée de Thérèse, qui était le plus souvent coupable de ré-écriture). La spiritualité de Thérèse était révolutionnaire pour son époque et il est clair que très peu de gens ont pu la comprendre de son vivant. En particulier dans son propre Carmel.

L'intérêt du livre est donc historique, social et bien sûr spirituel. Spirituel d'abord car la manière dont sont présentés les écrits de Sainte Thérèse permet de s'approcher un peu plus de la Sainte, même si on est et on reste dans le domaine de l'indicible (à tel point qu'on ne peut jamais être sûr de bien la comprendre). Ce qui n'est pas si grave, chacun peut appréhender la spiritualité de Thérèse selon où il en est. Intérêt historique et théologique aussi, l'auteur montrant comment la spiritualité en vogue à l'époque et principalement dans les carmels était doloriste et expiatoire : il y avait une surenchère dans le volontarisme et la dolorisation, les religieux cherchaient à se valoriser en s'immolant comme victime expiatoire, en s'offrant comme para-tonnerre à la justice Divine. Ce que Thérèse va complètement retourner, en choisissant de se faire toute petite, la voie de l'abandon : puisqu'elle se sait incapable de monter vers Dieu par ses propres forces, elle choisit de se laisser porter.

Chez Thérèse il n'y a donc pas eu de souffrances infligées de manière expiatoire, il n'y a pas eu non plus de grandes extases (à l'inverse de l'autre Thérèse, Sainte Thérèse d'Avila). Il y a une jeune fille profondément amoureuse qui s'est consumée d'amour et qui nous dit que chaque petit acte fait avec amour vaut plus que n'importe quelle extase ou exploit spirituel. Bien sûr elle a souffert, ne fusse que dans sa longue agonie d'une maladie mal soignée et bien sûr elle parle beaucoup de la souffrance : ça fait partie des choses indicibles et qui résonnent en nous longtemps et dont ce livre pourra peut-être nous aider à mieux comprendre ce qu'elle a à nous dire.

L'environnement dans lequel vit cloîtrée Thérèse n'était pas facile : un couvent froid et humide, avec des relations humaines compliquées dues en particulier à une rivalité entre le "clan" Martin et la mère supérieure. Mais cette jeune Normande, vivante et enjouée, aura vécu pleinement toutes les dimensions de sa vie humaine à l'abri de ces murs. L'auteur aborde aussi la maladie de Thérèse, ainsi que les composantes psychologiques de cette maladie. Thérèse est morte de la tuberculose, une maladie qui ne sera pas soignée (en fait très mal et bien trop tard), surtout car elle ne fut pas diagnostiquée. Il faut dire que la tuberculose était une maladie honteuse et sociale (la maladie des pauvres et des artistes, ainsi Chopin et la dame au camélia sont aussi morts de ce qu'on appelait "consomption"). Même si personnellement je ne crois pas trop à la composante psychologique des maladies, l'auteur fait état des recherches sur le sujet et c'est bien intéressant.

En résumé, c'est une étude extrêmement détaillée et précieuse que l'auteur a réalisée, qui donne l'occasion de revoir les textes de Sainte Thérèse dans leur contexte et certainement d'y découvrir plein de nouvelles choses. Cela donne aussi un bel aperçu de la vie spirituelle et de l'Eglise de la fin du 19ème siècle. A lire sans hésiter, tout comme le premier tome, pour tout ceux qui aiment Thérèse et qui aiment de s'en approcher par d'autres angles.