Notes d'un veilleur de nuit
de Alexandre Zinoviev

critiqué par Dirlandaise, le 19 mars 2015
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
Une vie de cafard
Né en 1922, Alexandre Zinoviev est considéré dans le monde entier comme un des grands logiciens contemporains mais il est surtout connu pour ses livres dans lesquels il fait une critique acerbe de la société russe sous l’emprise du régime communiste. Ce livre fut écrit en 1978. La date de publication est importante pour bien situer l’époque où évolue le Veilleur de nuit.

Celui-ci est un homme exclu de la société et forcé de se contenter d’un travail médiocre soit veilleur de nuit dans un bureau tout aussi médiocre. Afin de boucler les fins de mois et payer son loyer, notre homme effectue du travail au noir avec d’autres exclus comme lui : le Physicien et le Docteur. Lorsqu’il dispose de temps libres, le Veilleur s’attable à un bouiboui en compagnie de sa Relève (second veilleur qui le remplace) et discute avec des gens rencontrés dans cet endroit sordide. Il entretient une relation avec Elle, secrétaire à la compagnie où il travaille. Son travail au noir consiste à rénover un appartement détenu par Le Gradé et son épouse La Gradée. Et tous les personnages sont affublés de surnoms en rapport avec leur position dans la société ou leur caractère : le Neurasthénique, le Génie etc. car cet aspect de la vie sous le régime communiste est excessivement important pour ne pas dire crucial. Les dirigeants bénéficient de faveurs dont les exclus se contentent de rêver tout en étant certains de ne jamais pouvoir les obtenir : appartements de luxe, vêtements et nourriture haut de gamme, voyages à l’étranger, automobiles confortables et ainsi de suite. Les Exclus sont des râleurs, ils discutent tout en travaillant des injustices dont ils sont victimes mais aussi des cas connus de délations, dénonciations et affaires bidon visant à détruire des vies. Bref, c’est toute la société russe de l’époque qui défile tout au long des pages. Le communisme est remplacé par l’ibanisme, Moscou par Ibansk afin d’atténuer la portée du récit. Mais est-ce la raison de cette invention. Dans la postface Alexandre Zinoviev explique qu’il n’a pas inventé Ibansk et ses composantes pour parler par allusions et s’assurer des garde-fous mais pour obtenir un effet littéraire. Bon c’est une explication...

Le fait d’identifier les gens par leur surnom me plaît énormément. Ceci transforme un récit qui aurait pu être aride et ennuyeux en une sorte de conte fantastique. Le message passe en douceur et jamais je ne me suis ennuyée malgré l’aridité des thèmes. Ceci constitue tout l’intérêt du livre. Les personnages sont sympathiques en particulier le Veilleur et pourtant, le fait qu’il ne cesse de s’apitoyer sur son sort aurait pu me le rendre rebutant ce qui ne fut pas le cas.

Un livre intéressant et instructif qui met en lumière les difficultés quotidiennes que rencontrent ces gens exclus de la société abandonnés par leur famille et amis qui doivent survivre grâce à leur débrouillardise sans compter sur rien d’autre en essayant de repousser ce désespoir qui les poursuit constamment et menace de les engloutir définitivement. Triste…

Ah j’oubliais de mentionner les petits poèmes qui parsèment le récit. Ils sont édifiants.

« J’attendais nuit et jour une chose
Et rien d’autre ne pouvais espérer :
Que la chère, l’unique me trompe,
Qu’un collègue aille me dénoncer,
Qu’on m’oblige à calomnier un juste,
A faire passer un crétin pour un génie,
Qu’on me coffre ou qu’on me tarabuste
Pour une anecdote, un on-dit.
(…) »