Le complexe de Di
de Sijie Dai

critiqué par Jules, le 16 janvier 2004
(Bruxelles - 80 ans)


La note:  étoiles
La Chine et Freud
Nous sommes en Chine alors que celle-ci commence à s’ouvrir timidement au régime capitaliste.

Monsieur Muo a, en son temps, reçu une bourse du gouvernement français pour parfaire des études linguistiques à Paris. Là, il a fait la découverte de la psychanalyse, de Freud et de Lacan. Il ne jure plus que par eux et passe sa vie à interpréter des rêves qu’il consigne minutieusement dans ses cahiers.

Au temps de l’université, il était très amoureux de Volcan de la Vieille Lune et son image le poursuit. Celle-ci, restée en Chine, a cependant été arrêtée et emprisonnée pour avoir pris, et diffusé, de nombreuses photos interdites.

Nous le retrouvons alors qu’il est rentré dans son pays et qu’il entend bien, par la psychanalyse, arriver à faire libérer Volcan de la Vieille Lune et à l’épouser.

Arrivé sur place, il découvre que son procès devra bientôt se tenir et qu’il sera présidé par le juge Di. Un de ses amis s’offre comme intermédiaire afin de corrompre Di, ce qui, à première vue ne semble pas difficile. Mais voilà, Di annonce qu’il a déjà trop d’argent et que ce n’est plus cela qu’il veut. A son âge, son vrai souhait serait de planter une dernière fois son bâton faiblissant dans un « le melon rouge qui n’a pas encore été fendu » C’est comme cela que les Chinois appellent le sexe d’une vierge. Là il compte bien retrouver toute sa puissance perdue !…

Et voilà notre brave Muo, don Quichotte moderne avec Freud en mains, qui part à la recherche de cette denrée des plus rares quand on sait que les gamines de treize ans s’y prostituent déjà. Il est touchant notre Muo qui ne rêve que de Volcan de la Vieille Lune, toujours vierge dans sa prison, elle.

Il ira d’aventures en aventures dans ce labyrinthe des habitudes chinoises et Freud ne lui sera pas d’un énorme secours…

Dai Sijie nous décrit ce qu’il estime être la situation en Chine et nous caricature un juge particulièrement répugnant. Il fut, dans sa jeunesse, un des tireurs d’élites qui exécutaient les condamnés à mort par fusillade. Les jours d’exécutions, il en jouissait déjà au réveil et s’empiffrait d’un énorme petit déjeuner pour se mettre en train. Il adorait la sensation du doigt caressant la gâchette juste avant de tirer… Devenu juge, son plaisir lui vient surtout de la sensation de jouer au chat et à la souris avec son futur condamné et de savoir qu’il peut, seul, décider de sa vie ou de sa mort. Pour le reste, il ne pense qu’à s’empiffrer et à jouer au ma-jong parfois deux jours et trois nuits sans s’arrêter.

Un récit très agréable à suivre, même si certains passages sont un peu longs. Il n’empêche que Dai Sijie trouve dans ce livre un souffle plus puissant que dans son précédent ouvrage « Balzac et la petite tailleuse chinoise » Un livre très bien écrit, par ailleurs, et avec des personnages bien campés, mais qui ne reste qu’un récit. Quand l'auteur se lâche, surtout dans ses portraits du juge Di, on se régale ! Une plus grande profondeur dans les idées viendra peut-être dans le suivant.
Un livre à plusieurs strates 8 étoiles

Le livre est à prendre à plusieurs degrés.

Au delà du résumé de l'oeuvre (voir les autres critiques), le livre soulève une grosse question :
Est ce que les théories d'analyses freudiennes et les lectures de Lacan, deux auteurs occidentaux, sont applicables sur un peuple asiatique, avec d'autres croyances et une culture complétement différente ? Les symboles de force, de faiblesse ou sexuels sont complètement autres !

De plus, le psychanalyste est vu par les protagonistes du peuple chinois illettré comme un diseur de bonne aventure. Muo jongle entre le contraste de la bonne aventure, concentrée sur le futur, et celle de la psychanalyse, orientée sur le passé.

Muo arrive souvent à retourner les explications de rêves dans le sens qui veut être entendu par "la patiente" pour atteindre ses propres buts, ce qui correspond à une utilisation charlatanne de ses connaissances et qui rend le livre effectivement très comique. Ici, l'intelligence prend le dessus sur les connaissances.

À travers des flashbacks et ses pensées qui divaguent, ainsi que ses propres rêves, on assiste à un début de propre analyse de Muo sur lui même, malheureusement pas conduite jusqu'au bout. (Il a été sur le divan à Paris pendant 2 ans et n'a peut-être pas besoin de répéter pour les lecteurs ?)

Les patientes de Muo sont des femmes qu'il rencontre en chemin. Elles sont souvent représentées comme simplettes et niaises, les hommes sont décrits comme brutaux et feignant. Est ce l'image que l'auteur veut nous donner des campagnes chinoises ?

Finalement, à travers l'épopée de Muo et par petits détails, on reconnait une critique aiguë pour le système chinois : corruption, arrestations d'homosexuels et de photographes, interdictions, pauvreté et prostitution, camps de redressement "moraux", les maladies encore existantes comme la vérole...

Yotoga - - - ans - 14 février 2013


Les tribulations d'un psychanaliste chinois en Chine. 8 étoiles

Dai Sijie est un écrivain débordant d'humour et d'imagination. Encore une fois, il m'a fait passer un moment délicieux avec ce livre absolument hilarant. Il écrit d'une façon tellement vivante et colorée que c'est un régal de le lire. Je me suis tellement amusée à suivre le pauvre Muo dans toutes ses aventures et mésaventures. Je le voyais enfourcher sa bicyclette, étendard annoncant sa profession claquant au vent, aller de village en village afin d'interprèter les rêves pour une somme modique. Plusieurs passages du livre sont tout simplement tordants. Dai Sijie excelle dans l'art de décrire les moindres petits détails, on dirait un cinéaste qui abuse des gros plans. Il n'épargne pas son lecteur et les descriptions macabres ne manquent pas. "Sa mère n'était pas belle à voir, je t'assure. J'ai eu un choc en m'approchant d'elle. Ce n'est pas l'absence de couleur qui m'a choquée, ça, j'en avais l'habitude, mais ses traits étaient si déformés qu'on l'aurait dite morte dans les convulsions d'une haine féroce, les muscles de son visage étaient figés dans un hurlement de colère ou de je ne sais quoi, c'était vraiment étrange ! Les yeux écarquillés, la bouche tordue, les gencives découvertes comme un cheval atteint par un éclat d'obus, hennissant dans un monde gris, noir et blanc."

Dai Sijie aime prodondément son pays, et par le biais de l'humour et de la dérision, il réussit presque à nous le faire aimer également. Ses descriptions de la campagne chinoise sont de toute beauté et très poétiques. C'est un écrivain qui possède de multiples facettes : l'humour, la poésie, la fraîcheur, la naïveté et aussi la compassion. Il pose un regard plein de tendresse sur la Chine et ses habitants. Il ne les jugent pas mais j'ai l'impression qu'il a une immense pitié pour les plus pauvres d'entre eux et leur condition de vie misérable. Le personnage de Muo est extrêment attachant. Quel bonheur de lire cet écrivain. J'attends avec impatience son troisième livre.

Dirlandaise - Québec - 69 ans - 25 octobre 2005


Freud dans l'Empire du Milieu 7 étoiles

Tout à fait d'accord avec l'excellente critique de Jules .
Au premier abord , ce livre semble assez étrange , un peu plat . L'intrigue tourne en boucle et la chute ramène au début de l'histoire : Muo n'a toujours pas trouvé sa vierge !
Il me semble qu'il faut prendre tout cela au second degré . En effet , le thème étant , au delà du freudisme ou du lacanisme , le rêve lui-même , la plupart des situations me semblent oniriques ou en limite de l'imaginaire . On ne sait pas trop si on se trouve dans le rêve , la réalité ou entre les deux , dans une sorte de rêve éveillé . Il y a même une scène complètement surréaliste où Muo prépare ses bagages pour partir au Lao-Gai ( le goulag chinois) en se disant que s'il y emmène suffisamment de livres son séjour en sera supportable et peut-être même presque agréable !
Toujours cette suprématie , chez Dai-Sijie , de la littérature sur la réalité vulgaire , du rêve sur la dictature et de l'intelligence sur la barbarie , ce qui est bien sympathique et plait à tous les profs de français ...
Un roman agréable et qui donne à réfléchir si on va un peu au delà du récit lui-même . Le style est facile , un peu journalistique et la dénonciation du communisme des plus discrète . Méritait-il le Prix Fémina 2003 ? Je n'en suis pas persuadé .

CCRIDER - OTHIS - 76 ans - 6 avril 2004