Ariel
de Sylvia Plath

critiqué par Septularisen, le 8 avril 2015
( - - ans)


La note:  étoiles
Les étoiles peuvent dégringoler à la mauvaise adresse
Je dois être masochiste… Quelque part ! A chaque fois je dis qu’il est malheureusement impossible de critiquer de la poésie, puisqu'il est impossible de faire passer par écrit les émotions que l’on ressent en lisant de la poésie… Et à chaque fois je me surprends à écrire une critique pour justement essayer de faire passer cette émotion, la faire partager au plus grand nombre…

Me voici donc une fois encore, une fois de plus, devant un « monument » de la poésie du XXe Siècle, j’ai nommé Mme. Sylvia PLATH.
Si elle est aujourd’hui surtout connue pour ses quelques romans dont le fameux « La cloche de détresse » (déjà critiqué sur CL), Sylvia PLATH est avant tout un poète de tout premier ordre, écrivant une poésie composée d’images très fortes et très belles. Ses descriptions de la nature, même la plus banale, font preuve d’une intensité poétique comme j’en ai rarement lue.

« Et d’abord ces tulipes sont trop rouges, elle me font mal. (…)
Une douzaine de plombs rouges à mon cou. »

J’ai été très surpris par le style unique de Mme. PLATH, avec notamment des répétitions de certains mots, (parfois carrément des phrases…), dans ses poèmes, un peu comme dans un opéra baroque, ou le chanteur reprends deux fois la même phrase.

« Et je l’aspire en douceur, en douceur
J’emplis mes veines d’invisible, d’un million d’atomes »

C’est une poésie très moderne pour l’époque et l’auteur n’hésite pas à nous parler de la guerre, des camps, de l’atome, d’oxyde de carbone… Très étonnante aussi la versification et les césures dans le texte, ainsi p. ex. très souvent un vers commence dans un premier couplet et se termine dans le suivant.

Une fois ce style « assimilé » la poésie de Mme. Sylvia PLATH se révèle ici à son meilleur avec ces poèmes dont certains ont été écrits quelques jours avant sa mort (*). De son existence tragique l’auteur crée une poésie à l’esthétique troublante. Comme une fenêtre sur son monde intérieur, sa douleur, son mal être, sa maladie, sa profonde détresse… (*)

« Mes os renferment un silence, les champ font
Au loin mon cœur fondre »

Sa poésie est puissante et traversée par les thèmes du suicide, des enfants, de la mort du père, de la maladie, de la séparation d’avec l’être aimé… (*)

Mais, encore une fois, tout ce que je pourrais écrire sur la merveilleuse poésie de Mme. PLATH, serait en dessous de la vérité et je ne pourrais que vous donner une image fausse de celle-ci. Aussi, laissons parler le poète. Il s’agit ici d’un poème à propos du complexe d’Electre, rendu plus compliqué par le fait que son père adoré était un nazi et sa mère d’ascendance juive.
L’auteur "tue" donc ici symboliquement son père et règle une fois pour toutes ses comptes avec lui .

Papa

Tu ne me vas pas, tu ne me vas plus,
Soulier noir dans quoi j'ai vécu
Comme un pied depuis trente ans,
Blanche et démunie, dans la crainte
De respirer et d'éternuer.

Papa, il a fallu que je te tue.
Tu es mort sans m'en laisser le temps -
Marbre plein, tonnes de Dieu,
Statue de malheur à l'orteil gris
Aussi gros qu'un phoque de Frisco

Et la tête dans cet Atlantique d'épouvante
Où se déverse un vert morveux dans le bleu
Des eaux de Nauset, merveilleux.
Je priais que l'on te repêche de ton trou.
Ach, du.

Dans la langue allemande, dans la ville polonaise
Anéantie au laminoir
Des guerres, des guerres, des guerres.
Mais le nom de cette ville est légion.
Mon ami polack

Dit qu'il y en a une douzaine sinon deux.
Alors je n'ai jamais pu savoir
Où tu avais posé le pied, pris racine,
Je n'ai jamais pu te parler.
Les mots restaient coincés dans ma gorge,

Coincés dans un piège de fils barbelés.
Ich, ich, ich, ich,
Je pouvais à peine prononcer.
Je prenais tous les Allemands pour toi
Et je trouvais la langue obscène.

C'était une machine haletante,
Une machine qui m'emportait comme un juif,
Un juif à Dachau, à Auschwitz, à Belsen.
Je me suis mise à parler comme une juive.
Il se peut bien que je sois juive.

Les neiges du Tyrol, la bière d'or pâle de Vienne
Ne sont ni si pures ni si vraies.
Avec mon aïeule tzigane et ma chance un peu louche,
Avec mes tarots, avec mes tarots,
Oui je suis peut-être un brin juive.

Et j'ai toujours eu peur de toi,
Toi et la Luftwaffe, ta fureur, ton charabia,
Toi et ta moustache impeccable,
Ton œil aryen et ton panzer, ton œil
Bleu qui brille, ton panzer, Ô Toi -

Non pas Dieu mais un svastika
Si noir qu'aucun ciel ne le verrait sans hurler.
Toutes les femmes adorent un Fasciste,
Les coups de botte dans la figure, le cœur
De brute brutale d'une brute comme toi.

Debout devant le tableau noir, papa,
Sur la photo que j'ai de toi,
Tu as le menton fendu au lieu du pied
Mais tu n'en es pas moins le démon pour autant,
Pas moins celui qui a déchiré de ses dents,

Tranché en deux mon petit cœur d'enfant.
J'avais dix ans quand ils t'ont enterré.
A vingt ans j'ai voulu mourir
Pour te rejoindre joindre joindre.
Je croyais que mes os sauraient t'atteindre.

Mais ils m'ont sortie de force du sac,
Et ils ont recollé les morceaux
Et j'ai vu ce que j'avais à faire.
J'ai fabriqué sur mesure un modèle de toi,
Un homme en noir aux yeux Meinkampf,

Un expert passionnée de la roue et du fouet.
Et j'ai marché.
Mais aujourd'hui tout ça papa c'est terminé.
Le téléphone noir est décroché,
Les voix ne grouilleront plus à travers le combiné.

Si j'ai tué un homme alors j'en ai tué deux -
Deux avec le vampire qui disait être toi
Et s'abreuvait de mon sang. Ça a duré un an,
Sept ans, si tu veux le savoir.
Maintenant papa tu peux te rallonger.

Il y a un pieu planté dans ton gros cœur tout noir
Et les gens du village ne t'ont jamais aimé.
Ils te dansent dessus et tapent, tapent du pied.
Ils ont toujours su que c'était toi, oui, toi,
Papa, papa, fumier, c'est terminé.

Ecoutez Sylvia PLATH elle-même lire ce poème en version originale ici : https://www.youtube.com/watch?v=6hHjctqSBwM

Voilà, si vous ne lisez qu’un seul livre de poésie en cette année 2015…

(*) : Voir la biographie de Sylvia PLATH sur l’encyclopédie libre « Wikipédia » ici : http://fr.wikipedia.org/wiki/Sylvia_Plath
Un recueil d'une grande densité et aux images puissantes, hanté par la tentation du suicide 10 étoiles

"Ariel" de Sylvia Plath, qui fut publié à titre posthume par Ted Hugues (son époux et exécuteur testamentaire), est d’une densité extraordinaire et je partage l'enthousiasme que Septularisen manifeste dans sa critique principale. Je l'ai lu dans une autre édition : il est d'ailleurs important de noter que l'édition publié chez « des femmes » est la version expurgée par Ted Hugues, qui avait retiré du recueil quelques poèmes qu’il jugeait redondants ou de plus faible valeur. Le travail de Ted Hugues (qui est lui-même un poète très célèbre dans le monde ango-saxon) est controversé. Les époux, qui s’étaient très rapidement mariés, s’étaient séparés après avoir eu des enfants : il a été dit que Ted Hugues avait souhaité effacer les traces de son influence dans le suicide de Sylvia Plath. Ne disposant pas de la version intégrale du recueil et l'édition "des femmes" étant dépourvue de tout appareil bibliographique, je ne sais si c’est vrai. C'est d'ailleurs une lacune importante de cette édition (qui ne s'applique peut-être pas à l'édition "nrf" critiquée par Septularisen). En tout cas, l’article « Sylvia Plath » sur Wikipédia (cf lien dans la critique principale) est très intéressant car il présente objectivement sa biographie en évitant de prendre parti.

Même dans sa version non intégrale, « Ariel » est sans conteste un chef d’œuvre. Je l’ai lu d’un trait, sans jamais me lasser de l’abondance des images métaphoriques ou des comparaisons, qui sont saisissantes par leur puissance d’impact. On a coutume de dire que l’usage répété du « comme » affadit la poésie ; ici, il s’insère naturellement dans le texte et ne brise jamais l’écoulement du flux poétique, qui submerge et emporte le lecteur.

Le recueil, écrit en vers libres le plus souvent disposés en strophes, est d’inspiration autobiographique et contient de nombreux poèmes à la 1ère personne. Il y a bien sûr les très célèbres poèmes au père, homme autoritaire qui semble avoir servi l’Allemagne nazie (cf le poème reproduit dans la critique principale), et ceux qui font écho aux moments importants de la vie de l'auteur (sa grossesse, son mariage ou un séjour en maison de repos à Berck). Mais d’autres poèmes évoquent la vie quotidienne, qui prennent des reflets d’inquiétante étrangeté (une coupure au doigt en faisant la cuisine, la récolte du miel dans une ruche et même les ballons des fêtes Noel : « Depuis Noël ils vivent chez nous / Candides et clairs, / Ames animales, âmes ovales, / Prenant la moitié de l’espace, / Bougeant, se frottant à la soie / D’invisibles courants d’air » ). La tension est en permanence très forte : dans les poèmes qui décrivent une vie en apparence banale, un sentiment de révolte affleure çà et là, notamment sur la condition féminine :


(…)
Voulez-vous l’épouser ?
C’est garanti :
Elle vous fermera les yeux quand viendra la fin
Et dissipera toute douleur
(…)
Allons mignonne sors de l’armoire.
Qu’est-ce que vous en dîtes, hein ?
Nue comme du papier mais patience

Dans vingt cinq ans, elle sera d’argent
Dans cinquante ans, elle sera d’or.
Une poupée vivante en tous points.
Ca coud, ça fait la cuisine,
Ca parle, ça parle et parle encore.
(…)
Mon garçon c’est votre dernière chance
Alors marions-nous, marions-nous, marions-nous.


Néanmoins, ce que le lecteur ressent avant tout, c'est la souffrance physique et la détresse morale, presque désespérée, d’une femme épuisée au bord de la rupture et qui aspire à la mort ( « La femme est accomplie. / Son corps / Mort porte le sourire de la perfection, / L’illusion d’une nécessité grecque » ). Les signes annonciateurs du suicide sont très présents, dans ces répétitions comme des bégaiements de fatigue ( « Ce sont ces lentes défaillances, isolées/ Qui tuent, et tuent, et tuent » ) et, surtout, dans l’obsession du sang et de l’étouffement. Les choses et les êtres ont des crochets ou des ventouses pour s’agripper ; le monoxyde de carbone est évoqué à de multiples reprises (ex : « tes déceptions blanches et vides, expansives comme du carbone monoxyde » ou « Mais mon Dieu, les nuages sont comme du coton. / Des armées de nuages. Du carbone monoxyde » ), or Sylvia Plath s’est suicidée au gaz dans sa cuisine. La mort et le meurtre sont des leitmotivs du recueil, hanté par une violence sauvage qui sourd de toutes choses, y compris de la nature qui est un théâtre de souffrances et d’agonies cruelles :

« si la lune souriait, elle te ressemblerait. / Tu laisses la même impression de quelque chose / de beau, mais de mortel. / … / sa bouche béante souffre pour le monde »

« les tulipes sont trop vivantes »

« petits coquelicots, petites flammes d’enfer / (…) / Et je m’épuise à vous regarder / Frémir ainsi, ridés et vermeils, comme la peau d’une bouche. / Une bouche fraîchement saignante. / Petites jupes sanglantes ! »

(
évoquant la reine des abeilles d’une ruche qu’elle a achetée et s'apprête à installer ) : « Elle doit être bien vieille / Ses ailes, des châles déchirés, son long corps / D’un lustre tout effacé »

« Le train tue le rail, le rail d’argent, / Qui se perd dans le lointain. Il sera dévoré quand même. »

« Je sors de mes cendres / Avec mes cheveux rouges / Et je dévore les hommes comme l’air »

« Aucune pitié dans l’éclat des couperets / Dans la guillotine du boucher qui murmure « ca va ?, ça va ? » / Dans le bol où l’on avorte le lièvre, / Son crâne de bébé à part, tout embaumé d’épices / Ecorché de sa fourrure et de son humanité / Mangeons-le comme le placenta de Platon. / Mangeons-le comme le Christ. »


Dans ce monde déserté par l’amour ( « L’amour est une ombre. / Comme vous le poursuivez de vos mensonges et de vos larmes / Entendez-vous ses sabots ? il a fui comme un cheval » ), la tentation du suicide est omniprésente et est finalement assimilée à la poésie même :

« Alors viendrait la noblesse, l’anniversaire / Et le couteau qui ne découpe pas mais pénètre / Pur et propre comme le cri d’un enfant, / Et l’univers s’échapperait de moi »

« Le jet de sang est poésie / On ne peut l’arrêter »

Eric Eliès - - 50 ans - 29 octobre 2015