Quel métier étrange, de "Rien Nasser de courir"à "Plus beau que moi tu meurs"
de Philippe Clair

critiqué par Incertitudes, le 24 avril 2015
( - 40 ans)


La note:  étoiles
Quel homme étrange !
Oui, quel homme étrange ce Philippe Clair. Pape de la comédie franchouillarde dans les années 70/80, Philippe Clair se rappelle à notre bon souvenir en sortant son autobiographie intitulée : "Quel métier étrange !"

Dans son petit village de Sidi Kacem au Maroc, celui qui ne s'appelle pas encore Philippe Clair mais Prosper Bensoussan subit l'antisémitisme de la part de ses camarades. Il décide alors de les faire rire pour se faire accepter d'eux. Une révélation ! Son goût pour le spectacle l'emporte et il décide de venir sur Paris pour devenir comédien et faire des films avec Jean Marais.

Nous sommes au début des années 50. Il entre au conservatoire de René Simon où ce dernier le compare à Raimu. Notre ami n'est d'ailleurs pas étouffé par la modestie puisqu'il parle tout au long du livre des rencontres qu'il a pu faire avec Jacques Tati, Francis Blanche, Louis de Funès tous soi-disant fou de son univers. Il aurait même rencontré Sergio Leone partant pour produire un de ses films et même Steven Spielberg et George Lucas sur le tournage des Aventuriers de l'arche perdue. Comme beaucoup sont morts, je parle évidemment de Blanche, De Funès, Tati, Jacques Brel, Annie Girardot ou Dargaud, difficile de démêler le vrai du faux.

Mais bon, il faut visiblement lui reconnaître des qualités d'acteur dramatique puisqu'il entre au conservatoire d'art dramatique de Paris où il y côtoie Jean-Paul Belmondo. Il y reste trois ans et gagne en 1956 le prix Bernstein du meilleur jeune comédien. Si l'on excepte quelques rôles dramatiques à la télévision, il se tournera alors vers le music-hall où il introduit en France l'humour juif-pied noir bien avant La vérité si je mens. Certains de ses sketchs sont même censurés par le général De Gaulle. Ce qui ne les empêche pas de s'arracher en vinyle.

Fort logiquement, le cinéma lui tend les bras. Il écrit et réalise son premier long "Déclic et des claques" où il retrouve Annie Girardot croisée au conservatoire. Mais le film, largement autobiographique, narrant les mésaventures de pieds noirs, est un échec obligeant Philippe Clair à retourner sur les planches. Il y monte la pièce "De Bab El Oued à l'Elysée" qui est un triomphe de même que plusieurs disques tel que Rien Nasser de courir inspiré de la guerre de Six jours en Israël.

En 1970, il réalise La Grande Java qui sera cette fois-ci un succès. Il lance du même coup Les Charlots, groupe de chanteurs comiques, avec qui néanmoins le tournage se passera mal. Ils s'en iront tourner avec son assistant, un certain Claude Zidi, Les Bidasses en folie. Néanmoins, ce premier succès permettra à Philippe Clair d'enchaîner dans les années 70 nombre de films du samedi soir se caractérisant par leur petit budget et le cabotinage de leurs acteurs. Citons La Grande Maffia (1971), La Brigade en folie (1972), Le Führer en folie (1973), Le Grand Fanfaron (1975), Comment se faire réformer (1977).

A la fin des années 70, il fait la connaissance du producteur tunisien Tarak Ben Ammar, dont il ne citera jamais le nom dans le livre, qui lui permet d'accéder à des budgets plus importants. Ses films deviennent de véritables blockbusters. Il réalise "Tais-toi quand tu parles" en 1981 et "Plus beau que moi tu meurs" en 1982, deux films qu'il tourne en compagnie d'Aldo Maccione dont il va populariser la célèbre démarche "la classe". Mais Philippe Clair parle de relations exécrables avec Maccione le poussant en 1984 à choisir ni plus ni moins que Jerry Lewis pour "Par où t'es rentré ? On t'a pas vu sortir".

Mais le cinéma français est en train de changer. L'arrivée de la vidéo, la fin des petits cinémas de quartier, la disparition des gros producteurs au profit des chaînes de télé et aussi celle de la comédie populaire le rendent has-been. De plus, dans la tête du public, on le met dans le même sac que Max Pecas et Christian Gion qui ne cessaient de plagier ses films jusque dans leurs titres. Ainsi, Christian Gion tourne "Le Bourreau des cœurs" avec Aldo Maccione en 1983 qualifié de suite de Plus beau que moi tu meurs. Le litige se réglera au tribunal au bénéfice de Philippe Clair.

Ses films suivants seront tous des échecs. En 1986, "Si t'as besoin de rien, fais-moi signe" où Clair tente de régler ses comptes avec la critique qui ne cesse de le lyncher est un flop. En 1987, "Si tu vas à Rio, tu meurs" tourné en plein carnaval de Rio, où il se rabiboche pour l'occasion avec Aldo Maccione qui rencontre de son côté les mêmes difficultés, est également un bide. Enfin son dernier film "L'aventure extraordinaire d'un papa peu ordinaire" (l'histoire d'un acteur raté qui rentre chez lui, voit son appartement vide et décide de partir chercher sa femme et son fils à l'autre bout du monde), inspiré de sa vie réelle et à la tonalité plus grave, est selon lui son plus beau film et son plus bel échec.

Échec qui enterra définitivement sa carrière et celle d'Aldo Maccione par la même occasion. Clair a bien encore quelques projets qu'il tente de concrétiser avec Claude Lelouch et Vera Belmont qui n'aboutissent pas faute d'accord avec les chaînes de télé qui ont peur de son nom.

Pire, un conflit apparemment toujours en cours avec son ancien producteur Tarak Ben Ammar empêche la diffusion et la sortie en DVD de ses films. Blessure qui semble toujours vivace et je peux le comprendre : on empêche un artiste de faire son travail. En l’occurrence pour lui de faire rire.

Si sa vie cinématographique semble bien remplie, il en est de même avec sa vie personnelle. Il raconte ses déboires avec l'argent, sa peur du lendemain et ses conflits avec sa femme, ses ex-femmes, ses enfants, etc.

On peut ne pas adhérer à sa filmographie tant il est vrai que la qualité de certains de ses films semble discutable. Pour en avoir visionné la plupart, il faut avoir une bonne résistance à l'humour tarte à la crème et à la bêtise des personnages. Bien que sans doute un peu mythomane sur les bords, l'homme m'a séduit par sa jovialité dans ses films, la passion qui l'anime et son absence de cynisme. C'est de plus un auteur complet (acteur, scénariste, réalisateur, monteur, auteur de sketchs, pièces de théâtre et chansons) qui sur seize films réalisés a remporté dix triomphes.

Il ne méritait pas de tomber dans un tel oubli et je peux comprendre son besoin de reconnaissance d'où la volonté de publier son autobiographie. Il est aussi le reflet d'une époque. Il représente un cinéma comique qui n'existe plus aujourd'hui, fortement dénigré par les critiques de cinéma, mais qui remplissait les salles. J'espère qu'un jour ce bulldozer nonagénaire qui semble avoir encore des choses à raconter sera réhabilité.