Ici
de Richard McGuire

critiqué par Blue Boy, le 27 avril 2015
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Ici c'est ailleurs aussi
Comment écrire une histoire à partir d’une image fixe, celle d’un lieu quelconque, une simple pièce avec une fenêtre et une cheminée ? C’est le pari fou de Richard McGuire, qui parvient à nous surprendre au-delà de nos attentes dans cette formidable évocation de la fugacité des choses et des êtres.

L’auteur, Richard McGuire n’est pas à proprement parler un auteur de BD, mais plutôt un artiste touche-à-tout dans des domaines allant du design aux livres pour enfants, en passant par la musique ou le cinéma d’animation.

Avec « Ici », c’est un ballet époustouflant des habitants et des objets de ce lieu à travers les âges qui nous est proposé, nous renvoyant à notre propre insignifiance, et posant avec acuité la question de la mémoire, à l’échelle de l’individu ou de l’humanité entière. A travers les 300 pages de cet OVNI, passé, présent et futur se rejoignent et tapent la discute dans ce salon, personnage principal de cette histoire élaborée comme une symphonie ou une suite de collages dadaïstes. Les dialogues sont secondaires, se diluant tel un étrange bruit de fond dépourvu de logique, comme dans un rêve éveillé, mais font pourtant sens, interrogeant les clichés d’un passé lointain voire antédiluvien, d’un présent terre à terre ou d’un futur hypothétique. Par une superposition des temporalités, les images les plus inattendues virevoltent et s’entrechoquent, entre elles ou avec les textes, provoquant chez le lecteur un tournis métaphysique jubilatoire qui agit à la manière d’une drogue et fait qu’on ne peut plus lâcher l’objet. Parfois, on se surprend même, comme à la fête foraine, à s’esclaffer comme si l’on était à bord d’une machine à remonter le temps hors de contrôle, ou d’un bateau à bascule dont les freins auraient lâché.

A l’évidence, Richard McGuire est davantage un graphiste qu’un dessinateur. Personnages, objets et autres éléments du décor sont représentés avec des styles disparates, dépersonnalisés, comme pour en souligner le caractère évanescent. A certains moments, on est plus dans le crayonné, à d’autres carrément dans l’impressionnisme. Parfois, les dessins ressemblent à des photos retravaillées aux contours à peine visibles. Mais l’ensemble reste cohérent et agréable visuellement, le choix des couleurs pastels apporte une touche apaisante à cette frénésie narrative. Très clairement, si l’ouvrage a un pied dans la BD, l’autre se situe dans la pure création artistique.

« Ici » ne se lit pas. « Ici » se vit, telle une expérience sensorielle, et malgré l’immobilisme suggéré par le titre, nous emmène vraiment ailleurs, très très loin de notre ici rétréci. Avec cette production expérimentale, Gallimard a déniché rien de moins qu’un chef d’œuvre. A bon entendeur !
Un OVNI de la bd. 8 étoiles

L'intérêt du Festival d’Angoulême est de donner un éclairage sur des œuvres que je n'aurais sans nul doute jamais lues. Par le passé, j'avais découvert "5000 kilomètres par seconde" de Manuele Fior ou encore "Pinocchio" de Winshluss,que j'avais adoré.
Malgré mes nombreuses lectures, je n'avais pas encore entendu parler de Ici de Richard McGuire,qui a obtenu le fauve d'Or cette année.
Je me suis donc précipité chez mon libraire pour découvrir ce véritable OVNI. Est-ce une bande dessinée ou un exercice de style qui s'étend sur près de 300 pages ? Au lecteur de juger.
Dans cet ouvrage, pas de personnage principal mais un lieu (un séjour), pas d'intrigue mais le temps, le temps qui passe, de la création de la terre à l'an 2200, ce qui n'est pas pour rappeler un livre comme "Alpha... directions".
En découvrant au fil des pages, l'évolution de cette pièce à travers les âges, je ne me suis pas ennuyé une seconde. C'est habilement amené, et en n'optant pas justement pour un ordre chronologique, Richard McGuire joue avec le lecteur.
Les dessins sont certes tirés au cordeau et rappellent un peu celui de Chris Ware.
Un album très original, qui peut se relire à l'infini tant les détails changent presque à chaque page (un tableau, le papier peint, le mobilier etc.)
J'avoue que cet ouvrage ne trouvera pas un large public, mais je vous invite à le découvrir tant il tranche avec la production actuelle.

Hervé28 - Chartres - 55 ans - 5 février 2016