Moi, assassin
de Antonio Altarriba (Scénario), Keko (Dessin)

critiqué par Blue Boy, le 27 avril 2015
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
De l’art ou du boudin
« Moi, assassin » est un one-shot audacieux qui commence très fort en rentrant dès la troisième case dans le vif du sujet, si je puis dire… Le scénariste espagnol Antonio Altarriba nous fournit une réflexion intéressante et extrêmement dérangeante sur l’assassinat en tant que matière artistique. « Expression d’une radicalité absolue, [l’assassin] crée en donnant la mort… Tuer est l’acte transcendant par excellence ». le personnage du professeur Ramirez donne ainsi des conférences, arguant que nombre de religions, le christianisme en particulier, sont à l’origine d’une longue tradition d’art et d’horreur. Sous des dehors respectables, Ramirez est en réalité un dangereux tueur qui frappe ses victimes sans aucun motif et hors de son cercle de connaissances. Toujours est-il qu’on ne peut guère lui reprocher de ne pas savoir de quoi il cause !

De facture soignée, le trait épais d’un dessin où les à-plats de noir semblent en permanence vouloir engloutir le blanc, où la seule vraie couleur est le rouge, apparaissant par moments pour souligner sang, meurtre et pulsions, contribue à créer une atmosphère menaçante. Graphiquement, le style de Keko est proche de celui de Marc-Antoine Mathieu sans le côté absurde. De nombreuses représentations de peintures célèbres jalonnent le récit, et de peinture en effet il est beaucoup question, avec notamment un grand moment d’humour noir avec le passage de la « boucherie à la Pollock », période projections.

Doublement couronné par le prix BD Polar 2015 et le Grand Prix de la Critique ACBD 2015, « Moi, assassin » est une œuvre plutôt captivante et d’une grande érudition propre à stimuler l’intellect. L’histoire pourra toutefois diviser. D’une élégance sulfureuse pour les uns ou d’un cynisme abject pour les autres, elle nous met il est vrai dans la position dérangeante du voyeur, avec des meurtres odieux commis par un personnage particulièrement antipathique. Au final, une œuvre dense avec une incursion politique de la question basque qui tend peut-être à relâcher le fil narratif plus qu’il ne devrait. A l’évidence, le spectre de la dictature semble encore imprégner bon nombre d’auteurs hispaniques, alors que la plupart des régimes funestes d’Espagne et d’Amérique du Sud étaient encore en place dans la seconde moitié du XXème siècle. Quoi qu’on en pense, l’ouvrage ne peut être destiné qu’à un public averti
Une oeuvre fascinante, violente et artistique. 10 étoiles

Je ne reviens pas sur le résumé fait par Blue Boy. Je partage aussi complètement son point de vue.

Ce roman graphique, finement mené, possède de grandes qualités, tant dans le scénario que dans le dessin. Le texte est très bien écrit et riche. Le lecteur suit les pensées du meurtrier. On entre ainsi dans son intimité et l'on découvre comment il légitime de tels actes, qui sont des œuvres d'art ( hum à ses yeux ... ), des interventions qui permettent de flirter avec la mort. Il y a quelque chose de glaçant dans les propos d'un tel personnage qui permettent aussi une réflexion sur l'art. Quelles sont ses limites ? Qu'est-ce qui est artistique ?
De plus, nous côtoyons ce personnage qui ressent des pulsions meurtrières, un désir irrépressible sans connotation sexuelle. Oui, ces meurtres sont prémédités, pas pour autant liés à une vengeance. Ils sont initialement des crimes gratuits, comme le crime commis par Lafcadio dans "Les Caves du Vatican" de Gide.
La violence et la sexualité sont très présentes dans ce roman graphique, car elles sont rattachées au désir, moteur de ce personnage.

Les dessins possèdent aussi une grande force. Le choix du noir et du blanc sont en parfait accord avec le contenu et les apparitions du rouge dans le roman graphique créent une tension palpable. On sent qu'il y a eu un vrai travail sur les plans, sur l'enchaînement des vignettes. Cette lecture est presque cinématographique. On est vraiment sous l'emprise de cette histoire assez monstrueuse.

Il y a aussi une toile de fond historique comme l'a déjà évoquée Blue Boy et des réflexions sur l'art, sur le body art qui enrichissent cette oeuvre dense.

Un roman graphique constitué comme un roman noir qui peut à la fois captiver et déranger.

Pucksimberg - Toulon - 45 ans - 25 août 2015