Epicure en Corrèze de Marcel Conche

Epicure en Corrèze de Marcel Conche

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Philosophie

Critiqué par Grandgousier, le 17 mai 2015 (Inscrit le 28 décembre 2014, 59 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 720ème position).
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le hasard nous libère!

Orphelin de mère, élevé, materné, chéri par sa grand-mère et ses deux tantes, Marcel Conche s'est éveillé très tôt à l'amour des arbres, des vergers, de la nature et "des filles un peu sauvages". Il admirait aussi énormément son père, partisan de la civilisation et artisan du désenclavement des villages, d'une sensibilité opposée à la sienne (pour son père un arbre était avant tout un obstacle au tracé d'une route).
En achetant la collection des classiques Hatier avec l'argent de sa première communion, le petit Marcel s'ouvrira au monde dont il soupçonnait l'existence dès ses six ans lorsqu'il s'aventurait jusqu'au grand tournant de la route près de sa maison.
Marcel Conche prend conscience très tôt du rôle du hasard, la fortune (tyché) des Grecs: "J'ai passé le concours de l'école normale primaire de Tulle en 1939, âgé de 17 ans, et j'ai échoué lamentablement avec une note éliminatoire en gymnastique. Je me suis retrouvé devant des agrès que je n'avais jamais vus, en l’occurrence une barre fixe, dont je n'ai pas su quoi faire. J'ai imaginé que, sans doute, il fallait monter d'un côté, passer sur la barre et descendre de l'autre. Les Normaliens entrés l'année précédente, qui étaient là comme spectateurs, ont beaucoup ri et se sont, paraît-il, moqué de moi pendant des années." L'année suivante, Marcel Conche a été reçu major au concours, mais le ministre de l'éducation de Pétain a supprimé juste après les écoles normales primaires. C'est là l'occasion de la première rencontre avec l’enseignement d’Épicure, compagnon au long cours de Marcel Conche: la "déviation de l'atome" lors de sa chute dans le vide, rend tout imprévisible et aléatoire, et nous libère de la fatalité telle que la concevait les stoïciens.
A travers le fil conducteur de sa longue vie, Marcel Conche nous conte dans ce court opuscule (150 pages), avec simplicité, humour et érudition, comment la philosophie guide la vie, éclair fugace au sein de l'immensité sans borne de l'espace et de l'infinité du temps.

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Les éditions

  • Épicure en Corrèze [Texte imprimé] Marcel Conche
    de Conche, Marcel
    Stock
    ISBN : 9782234078154 ; 20,50 € ; 29/10/2014 ; 160 p. ; Broché
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Philosopher, rien que philosopher

8 étoiles

Critique de Poet75 (Paris, Inscrit le 13 janvier 2006, 68 ans) - 22 mars 2022

Marcel Conche est né le 27 mars 1922 à Altillac (Corrèze) et est mort le 27 février 2022 à Treffort (Isère) à presque 100 ans. Et il a consacré sa vie entière à la philosophie. On peut le dire sans exagération puisqu’il prend soin de nous expliquer lui-même qu’il s’est voué à ce domaine dès l’âge de six ans lorsqu’il s’aventura jusqu’au grand tournant d’une route pour savoir si le monde continuait après.
Rien de tel que de lire, en guise de porte d’entrée vers l’œuvre philosophique de Marcel Conche, ce petit livre où l’auteur, se comparant à Épicure, se livre au lecteur en évoquant quelques-uns de ses souvenirs et quelques-unes de ses convictions. « Ma philosophie est différente de celle d’Épicure, explique-t-il d’emblée, mais ma manière de vivre est semblable à celle des disciples qui entouraient Épicure en son « jardin » ».
Pas de crainte à avoir quant à la compréhension d’un tel ouvrage, même pour les lectrices et lecteurs peu familiers de la philosophie. L’auteur s’en explique lui-même au début d’un autre ouvrage (Vivre et philosopher) en se situant clairement comme un philosophe français du pays d’Oc, c’est-à-dire peu enclin à se complaire dans un jargon qui ne serait réservé qu’à quelques initiés, à la manière d’un grand nombre d’auteurs de langue germanique. Avec Marcel Conche, rien de tel, à fortiori dans un livre comme Épicure en Corrèze où l’auteur se plaît à se raconter sur le mode de la conversation, ce qui n’empêche nullement la rigueur du style.
Ce livre est donc accessible au tout-venant, pourrait-on dire, tout en abordant, au fil des souvenirs égrenés par l’auteur, des questions de philosophie qui ne sont pas des moindres. Pour Marcel Conche, si, comme je l’ai déjà indiqué, la philosophie est entrée très tôt dans sa vie, ce ne fut pas cependant une mince affaire que d’en faire son métier, que de vivre exclusivement d’elle. Enfant puis adolescent, il dut passer beaucoup de temps aux travaux des champs ou à garder les vaches. « Je suis peut-être le seul philosophe qui ait arraché les pommes de terre… ou du moins le seul encore vivant ! », se plaît-il à dire. Quant à l’éducation reçue à l’école, il estime qu’elle était nulle ! Et ne parlons pas du catéchisme de cette époque, qui consistait à apprendre par cœur des formules, ce qui ne convenait pas au philosophe en herbe qu’était le jeune Marcel : « [Il] pose des questions ! », se plaignait le curé. Vous vous rendez compte, oser poser des questions pendant les leçons de catéchisme ! En voilà une audace !
Des questions, il ne cesse pourtant d’en poser, ou de s’en poser, tout au long de son parcours de vie, les ressassant et les affinant sans cesse, tout en recourant à des auteurs, comme Montaigne, qui sont comme de fidèles amis qui l’accompagnent toujours. Avec, au cœur de son système de pensée, la Nature. Le mot revient toujours sous sa plume, alors qu’il prétend s’être, très tôt, débarrassé de Dieu. À 16 ans, alors que son auteur de chevet était Pascal, il décida de cesser d’aller à la messe. Il préférait se promener avec l’une de ses professeurs, Marie-Thérèse Tronchon, de 15 ans son aînée, qui devint sa femme (leur mariage dura 50 ans, jusqu’au décès de cette dernière). Elle était catholique pratiquante, tandis que lui s’était persuadé qu’il n’y a pas de « dieu » (il préférait les dieux païens de certains philosophes grecs). Ce sujet, affirme-t-il, ils ne l’abordaient jamais ensemble, sauf peut-être quand il fallut décider du baptême de leur enfant (qu’accepta Marcel Conche) !
La question religieuse, dont Marcel Conche prétendait s’être, en quelque sorte, débarrassée, semble pourtant, à la lecture de son ouvrage, l’obséder encore beaucoup. En tout cas, il éprouve la nécessité de s’en expliquer longuement, arguant, par exemple, que la notion de Providence, qu’on lui a enseignée dans son enfance, est une absurdité. Comment la concilier avec la liberté ?, argumente-t-il. Quant à la non-existence de « dieu », il la déduit, entre autres, de cette réalité terrible de notre monde qui est la souffrance des enfants martyrisés. Vous affirmez que rien n’arrive sans une manifestation de la volonté de Dieu, dit-il aux croyants. Comment expliquez-vous, dans ce cas, les tortures que subissent, parfois, des enfants ? L’argument, me semble-t-il, est sérieux et ne peut être rejeté d’une simple chiquenaude et je me garderais bien, pour ma part, de me contenter de lui apporter une réponse de catéchisme.
On peut, bien évidemment, contester certaines affirmations ou déclarations de Marcel Conche. Certaines d’entre elles pourraient même déchaîner des débats très passionnés. Ainsi du pacifisme de l’auteur, de son refus de s’engager dans la Résistance pendant la guerre. De son plaidoyer pour un minimum de correction physique des enfants. De son refus de toute discussion avec les croyants, tant cela lui paraît impossible et inutile. De son rejet du mot même de « dieu » en philosophie (il n’y a pas sa place, affirme-t-il). Ou encore de son adhésion au processus de suicide assisté pour ceux qui le souhaitent. Autant de questions qui risquent de soulever les passions, mais auxquelles Marcel Conche invite à réfléchir de manière dédramatisée.
Tout cela pour finir par nous exposer les plus sûrs moyens d’atteindre le bonheur, selon Épicure. Il y en a quatre, quatre « remèdes », que je me garde d’énoncer, pour les laisser découvrir par d’éventuels lecteurs !

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