Une mélancolie arabe
de Abdellah Taïa

critiqué par Tistou, le 9 juin 2015
( - 68 ans)


La note:  étoiles
L’homosexualité pour seul viatique
J’ai le souvenir d’avoir lu plusieurs ouvrages de l’auteur américain Gore Vidal, qui ne fait pas mystère de son homosexualité, qui l’évoque ouvertement au moins dans certains de ses ouvrages, mais qui n’en fait pas le principal – que dis-je ? – l’unique moteur de son existence. Abdellah Taïa semble ne considérer que ce trait spécifique et faire tourner son existence et ses préoccupations autour de cela. Ca intéressera peut-être un certain public ( ?) ? Personnellement, ça m’a très vite fatigué. Déjà dans l’ouvrage précédent « Le jour du Roi », mais là c’est carrément l’overdose dans cette « mélancolie arabe ». Un peu la même sensation qu’avec « En finir avec Eddy Bellegueule » d’Edouard Louis …
S’agit-il d’autobiographie, limite romancée ? Il semblerait, il semblerait …
Le sordide (il échappe à 12 ans à un viol collectif à Salé) le dispute au mièvre le plus abêtissant, que même Danielle Steel hésiterait à produire. Ce qui est terrible, c’est qu’il n’est question que de cette homosexualité, comme si l’existence d’Abdellah Taïa se résumait à cet état de fait, comme s’il n’y avait rien d’autre dans sa vie ? Il écrit pourtant.
Son style ? Il existe indéniablement. Je n’en suis pas fan outrageusement, il est clairement de la filiation maghrébine pour laquelle il est difficile de s’en tenir au factuel et pour laquelle une emphase ampoulée, un clin d’œil vers l’onirisme, sont quasiment inévitables. Mais je conçois que cela plaise. Je lui reconnais volontiers un style. Mais sur le fond ? Ici. Dans cette « mélancolie arabe » ?
Ca me donne l’impression d’un membre d’un « clan », homosexuel en l’occurrence, qui écrit pour les membres de son « clan », utilisant les codes et symboles en vigueur dans le « clan ». Triste chose …
L’errance sexuelle qui y est décrite me remonte en mémoire mon incompréhension de ce « mariage pour tous ». Un mariage que j’ai bien du mal à faire cadrer avec ce dont il est question dans « une mélancolie arabe ».
Non, dans le genre, lisez plutôt Gore Vidal. Plus fort, plus universel, pas autocentré …
Un texte fort 9 étoiles

Ce court roman d'Abdellah Taïa se découpe en 4 parties :"Je me souviens", "J'y vais", "Fuir" et "écrire". Elles résument le cheminement d'Abdellah ( même prénom que l'auteur ) du Maroc jusqu'à Paris, ainsi que des rencontres amoureuses qui ont eu une importance à ses yeux, qu'elles aient été positives ou négatives. Le roman s'ouvre sur une scène forte et stressante même pour le lecteur dans laquelle le jeune Abdellah se retrouve pris dans un piège où 4 assaillants tentent de le violer. Mais cet acte sera interrompu. Le jeune Abdellah est efféminé et ces 4 garçons ont estimé être autorisés à le violer à cause de son orientation sexuelle ... On le découvre aussi sur le tournage d'un film. Puis ce sont ses histoires d'amour qu'il nous conte, celle avec Javier, celle avec Slimane ...

Les chapitres sont courts et sont comme des instantanés de la vie d'Abdellah. On suit ses errances et sa quête identitaire, à la fois marocaine, mais aussi occidentale quand il est à Paris, ville qui symbolise le monde de la culture et de la réussite. L'amour ne le rend pas toujours heureux et le lecteur suit ses apprentissages amoureux qu'il évoque sans filtres. Tout est évoqué naturellement avec simplicité et avec clarté. Cette mise à nu peut être touchante car elle est une forme de courage, surtout pour un écrivain né au Maroc, dans un pays qui condamne cette orientation sexuelle. L'écriture aura eu ce pouvoir libérateur et thérapeutique pour permettre à l'auteur de mieux se comprendre par le biais de ses personnages.

Ce roman se lit rapidement et contient des passages très marquants. Il pourrait être vu comme un roman d'apprentissage de nos jours, dans lequel le personnage apprend dans le domaine amoureux et sur son identité. L'écriture d'Abdellah Taïa est moderne et possède un rythme qui lui est propre. Il y a une dynamique qui invite à lire rapidement le texte. Le roman est construit comme les titres des parties le soulignent avec une évolution qui fait sens, ainsi qu'avec trois épisodes marquants qui relient le personnage à la mort. Autant de morts symboliques que de résurrections sans doute. Ces épisodes semblent être des jalons ( électrocution, défaillance d'un avion, crise de panique violente dans la Vallée des Morts ). Je n'explique pas ses épisodes pour ne pas divulguer la portée de ceux-ci.

Ce roman souligne qu'Abdellah Taïa est vraiment un écrivain sur lequel nous pouvons compter.

Pucksimberg - Toulon - 45 ans - 20 juin 2024