Bad Girl : Classes de littérature
de Nancy Huston

critiqué par Alma, le 11 juin 2015
( - - ans)


La note:  étoiles
Echapper au destin d’enfant mal-aimée .
Etrange récit de souvenirs que celui de Nancy Huston dans BAD GIRL CLASSES DE LITTERATURE, qui dans un discours adressé au fœtus qu’elle fut , déroule pour elle, par vagues successives, le fil de ce que sera son enfance de créature non désirée au sein d’un couple fragile . « Accroche-toi, petite Dorrit » prévient-elle l’embryon auquel elle a donné ce nom , ( allusion au personnage d’orpheline de Charles Dickens ?) , annonçant par là la vie difficile qui l’attend, racontée sans pathos ni gémissements .

BAD GIRL c’est ainsi qu’elle s’est sentie , quand sa mère a quitté le foyer en délaissant ses deux enfants, une expression déchirante qui traduit le sentiment de culpabilité de la petite fille qui , ne connaissant pas les motifs intérieurs du départ de sa mère, pense qu’elle l’a tellement déçue que celle-ci a fini par l’abandonner . « Bad girl, comment ne pas se sentir nulle quand votre mère vous quitte ?»

CLASSES DE LITTERATURE, parce que Nancy Huston y analyse les activités et des attitudes qui la sauvèrent , qui l’aidèrent à échapper à son destin d’enfant mal aimée, à transcender sa solitude intérieure, à se construire un univers de substitution, des activités qui deviendront le creuset d’où sortiront ses romans .

Ce sont d’abord, l’habitude , prise très jeune de se raconter des histoires, de se bâtir des scénarios, « tu te parleras à la troisième personne, transformant chacun de tes gestes en une scène et ta vie quotidienne en roman » puis celle de la lecture, « en silence et en secret, grâce à la lecture, des histoires se tissent dans ta tête » ; Il y aura aussi la pratique du piano, «ta classe de piano te sera classe de littérature… tu y acquerras le goût du travail minutieux, patient, maniaque » .

Elle tirera matière de sa beauté de petite fille jolie , puis de jeune femme libérée « ta joliesse sera pour toi une classe de littérature », les attitudes et les propos des hommes qu’elle séduira alimenteront sa création littéraire « tu enregistres leur comportement, certaine de prendre un jour ta revanche en les transformant en personnages . Ecrivant , c’est toi qui auras le dessus, toi qui les manipuleras comme des marionnettes, toi qui décideras quand ils doivent l’ouvrir et la fermer »

Cet ouvrage plein d’émotion , qui traduit les angoisses secrètes de l’enfance, peut paraître au début déroutant par son procédé narratif et par son organisation, car la remontée des souvenirs, par fragments, s’accorde mal avec la rigueur du plan chronologique , mais il mérite qu’on le poursuive tant il est riche par la réflexion qui y est menée sur la famille, sur le rôle de la mère ou de ses substituts, et sur l’écriture comme moyen de résilience.

C’est aussi un ouvrage indispensable à la compréhension de la genèse et des thèmes récurrents de l’œuvre abondante de Nancy Huston
"Nous ne tombons pas du ciel, mais poussons sur un arbre généalogique". 8 étoiles

Ce dernier livre de Nancy Huston en est un difficile à classer. Ce n'est pas un roman, ni une autobiographie. Ce n'est pas non plus un essai. En fait, ce sont des fragments d'écriture rassemblés autour de thèmes chers à l'auteure et adressés directement à Dorrit, le fœtus qu'elle a été. Par petites touches, Nancy Huston nous livre ainsi des éléments autobiographiques, des réflexions sur des thèmes qui lui sont chers (la famille, la transmission, la création, la littérature, le féminisme) et en fait une analyse expliquant en quelque sorte l'écrivaine qu'elle est devenue.

Jonché de petites perles de réflexion et de littérature, ce livre a été pour moi un véritable bonheur de lecture tranquille. Nancy Huston est brillante, inspirante, son univers est toujours aussi riche et elle a un don pour le transmettre. Je suis fan.

Gabri - - 38 ans - 5 novembre 2015


Lettre à un fœtus 8 étoiles

Nancy Huston, en s'adressant à Dorrit, son "nom de fœtus", écrit le récit d'une gestation non voulue. Enfant non désirée, à une époque où l'avortement était interdit, l'auteure commence par le récit d'avortements de femmes célèbres y ayant laissé leur vie, leur santé, leur équilibre mental.

Puis elle s'interroge sur la probabilité de réussite d'un amour entre deux personnes d'origines différentes, que ce soit par la religion, la culture, le milieu social en racontant la rencontre de ses parents, issus de familles si dissemblables.
"L'amour est-il libre, pose la question, un arabe et un juif peuvent-ils s'aimer ?"
Le poids des familles, des arbres généalogiques est difficilement surpassable.
"Le désir sexuel ne relève pas du simple plaisir individuel mais convoque, que nous le voulions ou non, notre lignée."
Elle cherche à comprendre, à travers le passé de ses parents, comment et pourquoi sa mère a abandonné ses tout jeunes enfants.

Pour comprendre une vie, les choix que l'on fait, les chemins que l'on prend, il faut explorer les "différentes branches et brindilles de ton arbre généalogique".
Manifestement intéressée par ce que l'on nomme psychologie transgénérationnelle (comme moi), elle nous livre un récit impudique et touchant avec toujours autant de talent ; le récit d'une longue (psych?) analyse pour comprendre et expliquer qui elle est et d'où elle vient.

"Les gens te demanderont souvent pourquoi la famille est ton thème romanesque de prédilection, et tu les regarderas perplexe. Y en a-t-il d'autres ?"

Marvic - Normandie - 66 ans - 8 août 2015


Rencontre avec l'intime. 9 étoiles

Dans cet écrit, Nancy Huston s'adresse au foetus qu'elle fut et analyse les facteurs qui l'ont conduite, enfant et adulte, à écrire et à développer certains thèmes de prédilection.

C'est tout un travail introspectif, une recherche transgénérationnelle ; cet écrit vaut travail thérapeutique sans doute. C'est un riche et beau cadeau que l'auteur nous offre car, ce voyage au plus intime d'elle nous renvoie à notre propre construction, à nos émotions, à notre histoire familiale, en un mot nous invite à la rencontre avec l'intime.

Cette lecture aura des prolongements, en puisant dans les nombreuses références présentes dans le texte et en continuant à découvrir l'oeuvre de Nancy Huston, c'est le départ d'un voyage.

Bafie - - 63 ans - 7 août 2015