Secrets d'alcôve
de Jean Klépal, Serge Plagnol

critiqué par Eric Eliès, le 13 juin 2015
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Un témoignage d'admiration et d'amitié passionnée
Ce livre de Jean Klépal, éditeur et amateur d’art, est consacré à l’œuvre du peintre Serge Plagnol. Très éloigné du concept habituel de monographie, il contient peu de détails biographiques et s’attache avant tout, avec une subjectivité assumée qui en souligne le caractère passionnel, à la relation particulière, tissée d’amitié et d’estime, qui s’est établie progressivement entre le peintre et son collectionneur. Jean Klépal récuse d’ailleurs ce dernier terme (qui renvoie à une accumulation matérielle et à un désir d’appropriation) et insiste sur les valeurs de l’« amateur », qui est motivé par le plaisir, à la fois intellectuel et sensoriel, (« les tableaux sont mes maîtresses ») et cherche à le partager (par des expositions, des éditions, etc.) au-delà de la fréquentation quotidienne que permet la possession égoïste, à domicile, d’une toile aimée. Jean Klépal évoque (en les personnifiant presque) les tableaux pour lesquels il a ressenti un coup de foudre, pour leur beauté intrinsèque et /ou par la place singulière qu’ils occupent dans l’œuvre du peintre, voire dans l’histoire de la peinture par le dialogue qui se noue, par-delà les siècles, entre les sensibilités des peintres contemporains et les maîtres du passé. Pour cette raison, l’amateur d’art ne peut se contenter d’être collectionneur : sa passion incurable ne peut s’assouvir pleinement, outre la fréquentation des musées et des galeries, que dans une relation d’intimité privilégiée avec les peintres qu’il aime, via des échanges, des rencontres et, par-dessus tout, des visites à l’atelier, qui est le creuset où l’œuvre s’élabore.

Serge Plagnol, qui est un peintre résolument moderne par sa technique à la limite de l’abstraction figurative, inscrit sa peinture dans une perspective historique. Il se nourrit d’influences revendiquées, notamment dans le choix des thèmes intrinsèquement liés au monde méditerranéen (même si la mer Méditerranée elle-même en est curieusement absente), et à l’intégration, depuis peu, de silhouettes humaines qui sont à la fois des échos et des hommages. A la fin de son livre, Jean Klépal dénonce, avec des mots très durs, le mépris actuel du passé et la volonté généralisée de « tabula rasa », au nom du « tout est art » énoncé par Duchamp, dont l'affirmation mal comprise est devenue une justification de la facilité et une excuse à la médiocrité. Klépal s’inquiète, avec un pessimisme manifeste, des risques qui pèsent sur l’Art, menacé de dissolution, et sur l’œuvre d'art, remplacée par le geste artistique adossé à un discours (installation, happening, manifestation artistique de masse, etc.). Pour Jean Klépal, comme l'art et la vie ne font qu'un, la crise de l'Art est une crise majeure.

L’impression, élégante sur papier glacé, met en valeur les toiles de Serge Plagnol, dont les nuances de couleurs sont parfaitement restituées. Le lecteur perçoit, comme s’il était face au tableau, les effets de matière et la granularité de la peinture due aux accumulations et à la vivacité des gestes du peintre, qui peut tout aussi bien peindre en atelier qu’en extérieur sur de grandes toiles posées à plat. Plusieurs reproductions surprennent par le choix du champ élargi, qui intègre à la photographie le support du tableau, parfois des éléments de mobilier, comme si le photographe avait voulu révéler la densité de présence du tableau, dans son cadre « de vie » plus que dans son cadre « d’encadrement », ainsi qu’il l’eût fait pour le portrait d’une personne vivante. Ce procédé est très représentatif de la volonté de Jean Klépal de susciter et de renforcer, par l’art, des liens humains d’intimité et de partage qui sont aux antipodes d’une froide admiration purement intellectuelle ou de la spéculation qui ronge le marché de l’art (même si Jean Klépal souligne l’importance pour le peintre de pouvoir vendre ses tableaux, avec d’ailleurs, une fois l’œuvre achevée, le dilemme de la conservation ou de la séparation…).

Nota : j’ai eu la chance et le privilège de visiter, il y a un peu plus d’un an, l’atelier toulonnais de Serge Plagnol, en profitant de l’invitation d’un ami commun (le poète Marcel Migozzi) avec qui il a collaboré à plusieurs reprises. Je vous invite, si vous ne connaissez pas la peinture de Serge Plagnol, à taper son nom dans un moteur de recherches : « google/image » contient de nombreuses reproductions.