Dingley l'illustre écrivain de Jérôme Tharaud, Jean Tharaud
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Malaise
Les frères Tharaud n’ont plus les faveurs des lecteurs, ni même des critiques. Pourtant, leur plume alerte, leur verve intarissable, mise au service d’une œuvre abondante, peut encore séduire de nos jours. Prix Goncourt 1906, Dingley l’illustre romancier évoque de manière à peine déguisée l’écrivain anglais Rudyard Kipling.
Ce qui sert de toile de fond à ce roman est la guerre des Boers, au cours de laquelle les troupes anglaises ont chassé les colons néerlandais présents depuis deux siècles, et qui a vu naître les premiers camps de concentration pour la population résistante.
Dingley est honoré dans tout l’Empire britannique pour son œuvre incomparable. De son domicile londonien, il suit fébrilement les manœuvres de l’armée anglaise en Afrique du sud, ce qui finit par lui donner l’idée de son prochain roman : montrer comment un jeune homme issu des bas-fonds de Londres va trouver son salut et sa grandeur en s’engageant dans ces combats.
Pour donner plus de vie à son écriture, il décide d’embarquer avec femme et enfant sur un paquebot pour se rendre sur les lieux même du conflit et vivre les événements à la manière d’un reporter. Là, la vie rude et l’héroïsme des soldats l’enchantent, jusqu’à ce qu’un événement imprévu vienne doucher son enthousiasme : son enfant a contracté une grave maladie et perd la vie. Écœuré par la guerre, il enterre son enfant sur place et renonce à son projet. Arrivé à Londres, il publie un article critique sur l’armée anglaise, qui suscite la réprobation publique. Une grave crise de conscience donc, mais qui s’effacera par la poursuite, envers et contre tout, de son œuvre commencée.
Le roman suscite un certain malaise. Les Tharaud prêtent à Dingley un esprit profondément impérialiste et belliciste, à un point qui choquerait bon nombre de nos contemporains - je ne suis pas sûr que ce soit le roman que l’Académie Goncourt exhumerait le plus volontiers -. Ses certitudes sont certes ébranlées avec la mort de son enfant, mais in fine, le romancier ne perd pas la foi en ses valeurs fondamentales.
La question essentielle est celle du point de vue : les Tharaud présentent-ils ces idées pour nous en détourner, et faut-il dès lors tout lire au second degré, avec ironie ? Le problème est qu’à aucun moment, un indice ne nous est donné pour y croire. Comment comprendre de tels passages : « Dingley avait l’idée que sa race était la race élue, choisie par Dieu pour administrer le monde, et qu’elle avait reçu du Seigneur, le Lord de la Race Impériale, la grâce de distinguer parmi les signes et les voix, ce qui était sa volonté. Dans Cecil Rhodes (NDLR : le colonisateur de l’Afrique du Sud), il honorait un des plus actifs contremaîtres de sa volonté divine" ? Faut-il voir de la part d’un écrivain français une charge contre les délires impérialistes anglais ? Ou un constat neutre voire complaisant d’une mentalité propre à l’époque ? Il en va de même pour ces camps de concentration, dont Dingley a connaissance, pour le mépris dans lequel les Anglais tiennent les Boers, « paysans incultes et bigots, à peine moins sauvages que les troupeaux au milieu desquels ils vivent », pour les Noirs « toujours voleurs » etc. L’ambiguïté dessert assurément l’œuvre, par ailleurs pleine de couleurs, de rebondissements, d’atmosphères exotiques et de charme désuet.
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