Itinéraire céleste
de Jean-Pierre Luminet

critiqué par Eric Eliès, le 15 juillet 2015
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Extase cosmologique
Le titre de ce recueil, composé de trois parties d'inégales longueurs, évoque irrésistiblement les ouvrages scientifiques de Jean-Pierre Luminet qui est, outre un poète reconnu, un astrophysicien de haut niveau et l’auteur d’ouvrages de vulgarisation sur notre connaissance du cosmos (son livre le plus célèbre en cette matière étant consacré aux trous noirs).

Néanmoins, la première partie, intitulée « Enfer » est profondément enracinée en terre, sans aucune élévation vers le ciel étoilé. En des poèmes parfois étrangement précis (notamment le premier évoquant « le vide de son regard c’est la fin le 29/04/1990 à 16h32 »), Luminet semble y décrire la déchéance d’un homme abandonné qui, après une rupture, ne parvient pas à reprendre goût à la vie « la vie c’est une boue qui suinte comme une sueur froide », mûrit au printemps l’idée d’un suicide « les bourgeons sont maintenant gonflés / l’heure du rituel approche » puis le commets « je respecte le rituel du couteau / du couteau dans un gros morceau de chair / blanche qui tient contre la résistance et / je reste enfermé dans le noir à regarder / le liquide et les gouttes qui s’écrasent / sourdement ». Mais la mort n’est pas la fin, ce qui permet au narrateur d’évoquer sa propre mort : après le constat du décès et l’enterrement du corps « le jour de ma mort fut semblable à la gelée empoisonnée / par le sel du désert […] Coups de marteau / Le couvercle est fermé / La bête est bridée », la nuit ténébreuse et l’écorce terrestre semblent s’écrouler tandis que l’homme renaissant subit l’attraction d’une « étoile brasillante / pleur de flamme qui coule / sur les pentes de la nuit / j’aspire à toi espace ». Le monde se métamorphose tandis que le voyageur s’engloutit comme en rêve dans l’espace sidéral.

Seules les deux dernières parties, respectivement intitulées « Purgatoire » et « Ciel trompeur » comme un écho à la Divine comédie, se situent pleinement au carrefour des deux vocations de l’auteur en évoquant les objets et phénomènes célestes avec des mots soigneusement choisis, souvent emprunté à la nature car, comme l’annonce le poème VIII « Les étoiles ont toujours été des fleurs / Une nova c’est une corolle qui s’ouvre », ou à l’architecture (lierne, strigile, septénaire, etc.). Jean-Pierre Luminet y célèbre la splendeur de l’univers, que permet d’effleurer la connaissance des lois mathématiques ("nous tissons les objets réels à partir du fil de / l'étoffe dont sont faits les rêves / mathématiques). Mais il y a surtout une volonté de personnification du cosmos, présenté comme un corps immense en mouvement, couronné de soleils « gemmes de lumière vivante », qui se laisse étreindre (les poèmes de Luminet mêlent alors la contemplation, la fusion et l’extase sexuelle) et que baigne une mer agitée d’une houle ample aux ténèbres fécondes…Tout est plein (même le vide, qui est un "germe impérissable") et lié :

L'unité du monde est cet impalpable réseau
de lumière
perceptible aux seuls anges
il tisse l'espace cosmique véritable

et rien ne meurt vraiment puisque tout est éternel recommencement dans un univers gravide, qui ne cesse de s’engendrer par embrasement tempétueux et de se régénérer en inventant des formes nouvelles :

Univers précaire
Où poudroient les brouillards mystérieux
De lointaines galaxies
Où partout des astres agonisent
Rôdent les invisibles soleils noircis
De leur choc jaillit une jeune nébuleuse
C’est un vent d’orage qui pousse les soleils


Il y a, notamment dans les derniers poèmes au souffle grandiose, une ferveur panthéiste qui irrigue le recueil et transcende une écriture dont le seul défaut est d’être parfois trop minutieuse.