Le p'tit cheval de retour de Michel Audiard

Le p'tit cheval de retour de Michel Audiard

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Débézed, le 5 août 2015 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans)
La note : 8 étoiles
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La Débâcle

Audiard, j’ai dégusté sans modération aucune les dialogues qu’il a mis dans la bouche de Gabin et de bien d’autres acteurs de la même génération. J’ai couru les salles de cinéma pour me repaître de tous les films dont il en avait écrit les dialogues. Aujourd’hui, enfin, j’ai l’opportunité à me goinfrer de sa prose par la lecture, non plus par la parole des autres, en lisant ce roman qui raconte l’histoire de trois jeunes garçons qui, craignant l’arrivée des Allemands dans leur quartier parisien, ont vite enfourché leur bicyclette pour fuir vers le sud sans savoir réellement où ils allaient, Ils voulaient seulement fuir la guerre. « En somme, cette guerre, on voulait bien la gagner, à la rigueur la perdre, ce qu’on ne voulait surtout pas, c’était la faire. Ca, à aucun prix ! » Ils avaient entendues trop de choses sur cette guerre, « On s’était même fait des idées à propos d’elles, des idées très précises, très mûries. Notamment, que la guerre moderne – donc technique – était une affaire de spécialistes et qu’il ne faut jamais déranger les spécialistes dans leur spécialité ».

Je suis un grand admirateur de sa prose argotique, vernaculaire, rabelaisienne, il invente des formules désopilantes, créé des images hilarantes, emprunte des raccourcis foudroyants dans un langage qu’il a gardé de son enfance dans les rues du XIV° arrondissement de Paris. Il peint un monde de jeunes gens fort démunis qui vivent de la débrouille, de quelques larcins, de petites combines, rien de bien grave, juste de quoi épater les filles du quartier en espérant trousser leurs jupons le plus vite et le moins longtemps possible pour ne pas s’attacher et garder leur liberté. Mais après, les drôleries de la Drôle de Guerre, il faut bien se rendre à l’évidence, les Boches sont aux portes de Paris et il est plus prudent de prendre les devants en quittant la capitale au plus vite. Voilà, juste « Pour expliquer bien clairement pourquoi on s’était retrouvés à vélocipède sur un itinéraire aussi fantasque, peut-être convient-il de replacer la photo de famille dans son cadre : juin 40. Un temps inouï. Un soleil de feu ».

Leur fuite à bicyclette prend des allures de chevauchée fantastique dans le flot de la France en pleine débâcle, sous les bombes des Stukas et la mitraille des Messerschmitt, puis, comme ils avançaient beaucoup moins vite que les panzers, au milieu de l’armée allemande fonçant, elle aussi, vers le sud. Au long de cette épopée picaresque, ils rencontrent des personnages étonnants en essayant de chaparder leur nourritures et de trousser, à chaque occasion, des filles et des femmes souvent très compréhensives mais pas toujours très séduisantes ni très jeunes. Peu importe, ils voulaient surtout devenir des hommes, des vrais, des hommes qui savaient parler aux femmes et les satisfaire. Ils menaient ainsi une existence un peu bohème avec la seule contrainte de trouver leur pain quotidien dans un pays en pleine déliquescence où toutes les règles semblaient abolies. « Elle était marrante la France d’alors !... Inconséquente…. feignasse…. Alcoolique… putassière…. moscoutaire… cagoularde…. mais merveilleusement légère et gaie. Ceux qui ne l’ont pas connue à cet âge-là ne sauront probablement jamais … comme elle a pu être gentille et drôle ».

Avec ce récit drôle, hilarant, Audiard donne sa vision de la France de la Débâcle qui n’était pas encore celle de la collaboration ou de la résistance, la vision d’un jeune homme de vingt ans, il appartient à la première classe qui n’a pas été mobilisée. Cependant sous le la blague, le bon mot, le raccourci, l’image désopilante, la formule colorée, il y a le regard acéré, le regard qui débusque la France qui va mal tourner, les affres de la veulerie, de la trouille, de la cupidité, de la vengeance facile par occupants interposés. L’aigreur perce vite sous la croûte de l’amuseur, il avait compris qu’une époque mourrait et que la suivante serait très différente, que des appétits nouveaux étaient en train de naître. « Ah, on y était vraiment dans la métamorphose des générations ! Le passage de témoins, comme disent les coureurs de relais !... madame Manière était sans doute un des derniers spécimens d’un romantisme décadent, un bel animal aux pulsations lentes, la fin d’une race à laquelle succéderait de petits fauves rudimentaires ». La belle décadente était le symbole de cette France en pleine mutation dans le malheur et la douleur.

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