Quatre soldats
de Hubert Mingarelli

critiqué par CCRIDER, le 2 février 2004
(OTHIS - 76 ans)


La note:  étoiles
Scènes de la vie militaire
1918 . Au sortir d'un hiver passé dans les bois , quatre soldats de l'Armée Rouge se mettent en route avec leur bataillon , vivent un peu sur le pays et s'organisent de bivouacs en campements . Pendant la quasi totalité du livre , Mingarelli s'attache à raconter sur un ton plutôt bucolique cette vie militaire avec ses petits bonheurs : les parties de dés , les baignades , la pêche dans un étang , la montre qu'on embrasse chacun son tour car elle contient une image de jolie femme . Ces quatre bidasses sont de bien modestes moujiks totalement illettrés . Un gamin les rejoint et les épate car il a l'air d'écrire des choses bizarres dans un carnet ...
Et soudain , dans les toutes dernières pages , l'horreur intervient , la guerre , les obus , la mitraille dans un dénouement triste et cruel .
L'auteur ne s'attache aucunement au contexte . On n'apprend strictement rien de la guerre civile russe . On a l'impression que les quatre sont du côté des bolchéviques complètement par hasard . Ils auraient pu tout aussi bien être de l'autre côté s'ils s'étaient trouvés à un autre endroit . Chez eux , aucune conviction idéologique , aucune conscience politique . Ce sont les archétypes de soldats de n'importe quelle armée du monde à n'importe quelle époque . Pauvres simples d'esprit , ils semblent pris dans quelque chose qui les dépasse totalement . On aurait bien aimé la présence , par exemple , d'un commissaire politique .
Mingarelli a fait le choix d'un récit linéaire , neutre , sans fioriture de style . Aucune description de paysages ou d'état d'âme . A part quelques larmes , mais il faut bien faire la part de l'âme slave .
Ce style minimaliste donne sa particularité , son côté un peu étrange à ce livre sans réelle intrigue qui donne même l'impression de contempler une vieille photo en sépia délavé . Méritait-il le Prix Médicis ? Ce n'est pas certain du tout car je ne le vois pas passer à la postérité .
Où sont les chevaux morts? 10 étoiles

Et nous aurions je crois
A l'instant de périr nous poètes nous hommes
Un souci de même ordre à la guerre où nous sommes

Mais ici comme ailleurs je le sais la beauté
N'est la plupart du temps que la simplicité..


Guillaume Apollinaire me pardonnera d'avoir pensé au Poète pour parler de ce livre.

Qu'en si peu de mots ici aussi, tant de choses simples sont dites..
Des choses qui font le bonheur avant qu'il ne s'échappe. Qu'il n'explose. Et ils le savent, les soldats , qu'il va exploser. Et on le sait aussi. Le bonheur explose toujours. A un moment ou à un autre. Encore faut-il avoir su le goûter avant. Il explosera plus vite pour eux parce qu'ils sont soldats, et que c'est la guerre? Peut-être. Et peut-être pas. Qui sait?

Tant de choses? Les rencontres, le bien-être, les petites choses . Un thé " plein de nostalgie" , ce qui est quand même mieux que pas de thé du tout. La beauté d'un étang. Une couverture propre. La fin de la solitude, l'amitié qui se noue, l'attention à l'autre, les regards, le dialogue, l'écoute. Ce qu'on peut faire ou pas. Le rire jusqu'à la fin de la guerre . Le besoin de témoin, de souvenir, d'existence.

Et aussi que le ciel est sans fin, et qu'il n'y a pas les mots.

Oui, mais avant? Avant, on vit.

Magnifique.

Paofaia - Moorea - - ans - 22 novembre 2013


Il n'y a pas que le corps qui souffre, l'âme aussi 8 étoiles

Bon roman racontant le quotidien de quatre soldats de l'Armée rouge, au sortir de l'hiver 1919. Rien de compliqué. Aucune intrigue diplomatique ou guerrière. Pourtant, il s'agit d'un ouvrage saisissant. Il l'est parce qu'il présente le vécu de ces simples soldats, qui se comptent par millions dans l'histoire et dans toutes les armées du monde. Il n'y a pas que le corps qui souffre, l'âme aussi.

Les quatre soldats de Mingarelli partagent une amitié et un désir d'être ailleurs. Leur compagnie est sortie du bois à la fin de l'hiver et attend l'ordre de lever le camp, qui ne saurait tarder. Entre temps, un cinquième militaire, presque encore adolescent, se joint à eux. Ils passent leurs journées à jouer aux dés, à fumer des cigarettes et surtout à se baigner dans leur étang, ce petit bout de paradis qu'ils sont les seuls à connaître. Là, ils sont à l'abri de tout.

Le nouveau venu, le jeune Evdokim, affirme qu'il sait écrire. Il tient un carnet. Les quatre autres, illettrés, lui demanderont de raconter sur papier ce que sont leur vie, question, en quelque sorte, d'immortaliser ces moments qu'ils vivent ensemble. Comme semble vouloir le faire Evdokim, Hubert Mingarelli honore en quelque sorte le vécu de tout ces soldats inconnus. Il s'agit d'un roman qu'on ne veut pas déposer une fois sa lecture entamée.

Leroymarko - Toronto - 51 ans - 20 septembre 2009


Presque tout sur presque rien, sur des déserts intérieurs 8 étoiles

Ces soldats errent, presque apeurés, solidaires forcés, à défaut d'autre chose de plus fort et dense à se mettre sous la main et sous la dent, presque au sens propre du terme. L'évolution sans intrigue offre un rythme languide, comme un long soupir triste.
La vacuité de ce monde enfermé à ciel ouvert est formidablement bien retranscrit, et presque même trop, tant j'ai pu le ressentir, m'en sentir extérieur, et parfois en ressentir de l'ennui.
La morale en est belle : la guerre frappe souvent par hasard, par des blessures loin d'être seulement physiques.

Veneziano - Paris - 47 ans - 4 avril 2009


Mingarelli : une honnêteté esthétique rare 10 étoiles

Si dire ce qui n'est pas, ou ce qui n'est qu'à peine, est un projet essentiellement littéraire - ou poétique -, alors "Quatre soldats" est vraiment une grande oeuvre littéraire. Comme dans "La beauté des loutres", comme plus récemment dans "Hommes sans mères", Mingarelli s'attache à tenter de dire le bonheur de ceux qui n'en ont pas - et qui grâce à lui le trouvent. C'est pour cela qu'on sent cet accompagnement discret du narrateur, qui va jusqu'à épouser l'apparente maladresse de langage de ses personnages ; incontestablement, ces personnages existent : l'auteur les respecte, leur rend hommage, avec une honnêteté esthétique rare. On ne peut pas reprocher à Mingarelli de ne pas traiter le contexte historique ou politique, ce n'est pas son propos, l'ancrage apparent n'est qu'un prétexte, l'auteur lui-même s'en explique dans l'interview qu'il accorde au Matricule des Anges. Que ce roman soit digne du Médicis, c'est une question qu'on peut poser. Qu'un de ces prix littéraires qui nous ont tellement habitués au consensus mou soit digne de ce roman, c'en est une autre, que j'ose à peine poser.

Feint - - 61 ans - 21 mars 2006


Nouvelles de 4 soldats de l’armée rouge 7 étoiles

Ils stationnent, durant l’hiver 1919, dans une forêt. Le froid, la peur du lendemain, .., nous vivons leur quotidien, leur amitié, leur douleur mais aussi leur joie, ils ont trouvé un petit coin de paradis, un étang, seuls eux s’y rendent. Un jeune soldat leur est imposé dans leur tente, ne lâchant pas son carnet où il écrit sans cesse.
Mais le départ est inévitable dès que les jours s’embellissent pour aller se battre et …
Une écriture épurée et belle.

Ichampas - Saint-Gille - 60 ans - 28 septembre 2005


Que dire d'autre qui n'a déjà été dit ? 8 étoiles

Sacrée surprise, ma foi !

Primé par le Médicis en 2003, le roman d'Hubert Mingarelli en impose largement. C'est une histoire simple, vraiment toute simple. Où il ne faut pas s'attendre à des rebondissements, à de l'intrigue guerrière, à des révélations sur l'Armée Rouge, non. "Quatre soldats" se concentrent sur quatre hommes de l'armée russe. Leur bataillon se réfugie dans une forêt où ils vont camper pendant des mois, dans l'attente de partir, d'essuyer d'autres coups de feux, de tirs d'obus. Bref, en attendant des jours plus sombres, nos quatre soldats vont vivre en toute simplicité, contruisant cabane ou tente, jouant aux dés, pariant des cigarettes, se baladant près d'un lac, pêchant des poissons. Et puis, survient dans leur quatuor, un jeune fils de paysan qui rejoint l'armée. Les quatre soldats vont apprendre qu'il "sait" écrire et confine tout ce qu'il voit dans un carnet, donc ils vont lui raconter les menus détails de leur expérience dans cette forêt où ils viennent de passer de bons moments, des moments exceptionnels qu'ils vont tous garder en mémoire. Car, en fin de roman, l'heure de partir sonne et la peur les gagne. La peur combinée à la peine teintée de nostalgie.

Résumé grossièrement, ce roman possède avant tout une patte d'écriture époustouflante. Car ce n'est pas tant l'histoire limpide qui nous accroche, c'est le style de Mingarelli : épuré, net, élégant, précis. Un ton aux apparences simples mais bougrement travaillé et fascinant. Ce roman se lit à vitesse affolante et on s'attache à ces quatre soldats, à leur franche camaderie. C'est, honnêtement, un excellent roman qui mérite d'être lu et vaut bien le Prix Médicis attribué !

Clarabel - - 48 ans - 2 décembre 2004


Toute la beauté du vide 9 étoiles

Je ne connais pas Mingarelli du tout, je ne saurais situer ce texte dans son oeuvre, et j'ai presque peur d'être déçu à la lecture d'un autre de ses livres tellement celui-ci m'a semblé contenir tout ce qu'il fallait. L'auteur a su faire apparaître tout l'essentiel de la beauté des relations humaines en ne disant presque rien, avec une concision efficace qui n'a d'égal - à ma connaissance - que Carver. Sauf que Carver ne faisait pas de romans.

Cette histoire met en scène quatre hommes qui n'ont rien et qui mettent tout en oeuvre pour la survie de leur lien. Difficile de ne pas s'attendrir devant le gros bêta de Kyabine dont on se paie la gueule sans pour autant lui manquer de respect, sa naïveté étant le nivelleur de toutes leurs différentes attitudes, le scellant de leur amitié. Difficile de rester indifférent à Bénia qui s'émerveille devant son amitié grandissante avec Pavel. Difficile d'ignorer le bien que fait au groupe le gosse Evdokine qui traduit en écrit leurs journées, donnant ainsi tout un sens à leurs actes, leurs répliques, leurs qualités respectives. Et il est IMPOSSIBLE de ne pas sentir que ces restes de cigarettes (leur monnaie d'échange) qu'ils fument sont à chaque fois la meilleure chose qui puisse leur arriver.

C'est un récit sur l'amitié et le respect d'une beauté pure et simple, et - avec tout mon respect à CCRIDER - l'ajout d'un commissaire politique dans cette histoire n'aurait fait que démontrer que Mingarelli n'aurait vraiment, mais vraiment rien compris.

Grass - montréal - 47 ans - 1 septembre 2004


Errance constructive 8 étoiles

Comment décrire cet ouvrage… Un ensemble de phrases, d’impressions, de notes orales éparses assemblées les unes aux autres, témoignages de soldats de l’Armée rouge errant lors de la retraite sur le front roumain. Avec des mots, des silences, des blancs, des épisodes anodins comme une séance de pêche, Mingarelli nous offre la beauté de la solitude et de l’errance. Sans parler du sentiment d’être perdu et désoeuvré, une angoisse qui ronge, qui bouffe littéralement ces soldats qui savent que leur vie ne tient qu’à un fil. Et la vie, quelle qu’elle soit, on ne peut qu’y tenir face à la beauté de cette nature. Il y a de beaux instants de bonheur dans ce récit, petits riens qui deviennent grands, satisfactions éphémères d’avoir trouvé un peu de nourriture ou d’avoir dompté un cheval volé. Dans cet épisode, la sensation de paix qui envahit les quatre compères est palpable, perceptible : "Alors moi à ce moment-là, écoutez, j’ai contemplé le sourire plein de confiance de Sifra, parce qu’à présent Kyabine menait le cheval comme il faut. Et j’ai contemplé la démarche lente et rassurante de Kyabine, et Pavel était là aussi qui marchait à côté de moi, alors j’ai été tout à coup plein d’émotion parce que chacun était à sa place, et parce qu’il m’a semblé aussi qu’à cet instant chacun de nous était très loin de l’hiver dans la forêt."
L’arrivée d’Evdokim, un cinquième soldat, qui affirme savoir écrire, ajoute une dimension émotionnelle supplémentaire à l’aventure de nos quatre soldats. Tous les faits de la journée doivent être consignés, l’errance prend une autre tournure, elle devient récit et chemin de vie, il y a quelque chose à en dire, cela devient important.
Un texte plein de fraîcheur et de poésie malgré le caractère dramatique de l’épopée des héros.

Sahkti - Genève - 50 ans - 11 mai 2004


Intrigue? Quelle intrigue? 8 étoiles

C'est justement tout l'intérêt de Quatre Soldats de nous tremper dans ce qui pourrait être le quotidien de soldats plongés dans une guerre, une drôle de guerre comme de bien entendu, et de faire passer le souffle de la Russie, d'une certaine comédie humaine, sans avoir l'air d'y toucher. Au passage toutefois, un petit coup de narcissisme de l'écrivain. C'est peut être exagéré mais en le lisant, j'ai pensé à "Sur le fleuve Amour" de Joseph DELTEIL et "le testament français" d'Andrei MAKINE. A recommander

Tistou - - 68 ans - 10 mai 2004