A l'origine notre père obscur
de Kaoutar Harchi

critiqué par TRIEB, le 18 août 2015
(BOULOGNE-BILLANCOURT - 73 ans)


La note:  étoiles
CE CORPS PRISONNIER
Beaucoup de romans s’attachent à mettre en évidence la servitude du corps féminin, issu de traditions implacables, des religions monothéistes, peu amicales avec la femme. Celui de Kaoutar Harchi, récit construit comme une voix off, récitant un texte en illustration d'images, entre dans cette catégorie, il a des chances de marquer de son empreinte cette espèce: Il s’agit d’une jeune fille qui est emprisonnée depuis son plus jeune âge dans une « maison de femmes « de laquelle on ne peut guère sortir, entourée de hauts murs de pierre. Les frères, les maris, les pères y mettent à l’isolement les épouses, les sœurs, les filles seulement coupables d’avoir voulu ou tenté, un jour ou l’autre, d’avoir transgressé la loi patriarcale.

Le récit de Kaoutar Harchi décrit la tentative de cette prisonnière de rejoindre ce « père obscur », qu’elle s’est représentée secrètement. Il n’est à séjour qu’une absence, un vide affectif. On vient prestement au vif du sujet: la condition de la femme à travers les âges, minorée par le patriarcat: « Aucun gardien, ici, ne surveille les femmes. Elles vivent sous le poids des règles familiales inculquées depuis l’enfance et sont devenues leurs propres sentinelles. Vous savez, jamais aucune n’osera ramasser ses affaires, pousser la grande porte et partir. Toutes attendent, même s’il arrive à certaines de le nier, le retour de l'époux qui lèvera la sentence les autorisera à se diriger vers la sortie. (…) Tout n’est question que de gestes, de regard, de paroles. De traditions. »
Cette recherche du père obscur, c’est une quête d’amour, un désir vif et conscient de liberté, de reprise de la possession de son destin et de son corps, par la femme. Il y a dans l’écrit toute une série de descriptions évoquant le corps prisonnier de la femme, l’évocation de scènes de cris et de chuchotements secrets, conspirant contre cette liberté, manifestant leur volonté de prolonger la servitude du corps de la femme, de son sexe: « La part masculine qu’il manquait à mon être et à la conquête de laquelle je suis partie, à mains nues, avec sur le dos une simple robe au col piqué de perles blanches. »

Comme pour mieux mettre en évidence le rôle des religions dans la perpétuation de l’image négative de la femme, Kaoutar Harchi fait précéder le début de chaque chapitre par une citation extraite de la Bible. Le style du récit, marqué par l’usage de l’apostrophe fréquent, de phrases dénuées de verbes, nous surprend ; il nous déstabilise, et provoque largement l’empathie vis-à –vis de cette femme en recherche de ce père obscur dans laquelle on reconnaît sans peine une magnifique tentative d’émancipation.