Hymnes à la nuit et cantiques spirituels
de Novalis

critiqué par Eric Eliès, le 27 août 2015
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Les prémices du romantisme, inspirés par l'amour de Novalis pour sa fiancée défunte et par le mysticisme chrétien
La petite collection Orphée de La Différence a publié, en édition de poche, la plupart des poètes majeurs de la poésie mondiale (passée ou contemporaine) et s’est quasiment hissée au niveau de la collection blanche nrf/poésie, qui constitue une référence en matière d’édition poétique. Elle présente ici une édition bilingue des « Hymnes à la nuit » et des « Cantiques spirituels », complétée de notes et d’éléments biographiques très utiles à la compréhension de l’œuvre.

En effet, la poésie de Novalis (1772 - 1801) est datée. Fortement influencée par le mysticisme chrétien, très discursive (les hymnes proposent une explication du monde et de la place de l’homme dans l’univers) et par moments exagérément lyrique avec un usage quasi systématique d’adjectifs laudatifs, elle ressort d’une époque révolue et appartient encore au XVIIIème siècle, même si elle inaugure le romantisme à venir (mélancolie, célébration de l'amour pour l'aimée défunte, culte de la nuit et des ténèbres, etc.). Elle reste pourtant parfaitement lisible et, grâce à la fluidité de l’expression, à la sensualité qui affleure par endroits, à la sincérité des émotions amoureuses qui transparaissent dans les poèmes (à la fois envers Sophie, sa fiancée morte de maladie, et envers le Christ), elle peut s’apprécier au-delà de son intérêt historique. Néanmoins, (et peut-être faute de savoir parler l’allemand pour pleinement apprécier la musicalité de l’écriture), j’avoue avoir préféré de Novalis le roman « Henri d’Ofterdingen », que j’ai lu il y a quelques années, à ces deux minces recueils trop chargés, à mon goût, de foi confiante et d’épanchements de dévotion (je peux apprécier la poésie religieuse, mais j’aime alors qu’elle soit davantage nuancée de mystère et d’interrogations).

Les « Hymnes à la nuit » commencent avec un bref éloge de la lumière, universellement célébrée par toutes les civilisations, mais, très vite, Novalis se détourne de cette beauté flamboyante et de l’agitation diurne pour évoquer les mystères et les splendeurs de la nuit et de la mort, pourtant redoutées depuis toujours.

Quel être doué d’intelligence n’aime avant tout la Lumière, merveille des merveilles de l’espace qui l’entoure ? […] Mais je me tourne vers l’ineffable, vers la sainte et mystérieuse Nuit […] Quelle jouissance, ô Lumière, quelle volupté offre donc ta radieuse vie, capables d’égaler les extases de la mort ?

Car c’est en elles que l’homme trouve son véritable accomplissement et parvient, dans l’éternité, à la sérénité de l’Amour, dans la proximité du divin. Novalis enjoint l’homme à cesser de craindre la nuit et la mort et à recevoir l’amour du Christ.

Hymne 6 (strophe 2) : Loué soit l’éternelle Nuit / Loué l’éternel sommeil. / Le labeur nous a échauffés / Et flétris le long chagrin. / Fini, les équipées lointaines ! / Rentrons à la maison du Père

Les « cantiques spirituels » évoquent le cheminement de Novalis et sa certitude que, par l’amour divin, les angoisses et les souffrances terrestres, même les plus cruelles, cesseront. Néanmoins, au-delà de l'affirmation d'une foi inébranlable ( Puisque Christ à moi s'est révélé / Que j'ancre en lui ma certitude ), s'amorce une véritable réflexion introspective, à la fois philosophique et religieuse.
Le ton est beaucoup plus personnel que celui des hymnes, avec des images à la fois simples et puissantes qui renouvellent les formulations traditionnelles, et devient parfois émouvant, lorsque l’auteur, tout en plaignant celui qui erre en ce monde sans avoir encore reçu la révélation du Christ, avoue ses peines et ses doutes et invoque l’amour de Marie (très présente dans les cantiques), avec une humilité et une simplicité touchantes.

Si seul l’enfant peut voir tes traits / Et peut compter sur ton secours, / Enlève-moi le bandeau de l’âge / Refais de moi ton petit enfant : / La foi et l’amour innocents / De ces temps dorés m’habitent encore.