La nuit indochinoise - T1
de Jean Hougron

critiqué par Tistou, le 2 septembre 2015
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Une suite de 6 romans et un recueil de nouvelles
« La nuit indochinoise » est un ensemble qui regroupe 7 romans ou nouvelles, parus entre 1950 et 1958 :
- Tu récolteras la tempête (1950), roman
- Rage blanche (1951), roman
- Soleil au ventre (1952), roman
- Mort en fraude (1953), roman
- Les portes de l’aventure (1954), nouvelles
- Les Asiates (1954), roman
- La terre du barbare (1958), roman
(cf critiques individuelles)
Jean Hougron passa quelques années de sa jeune vie en Indochine, entre 1947 et 1951 semble-t-il, à une époque où l’ère des colonies se délitait, où la guerre contre le Vietminh était amorcée. Indochine : Vietnam actuel, Laos actuel, Cambodge aussi. Il en acquiert une connaissance passionnée de cette partie de l’Asie du Sud-Est et s’avère un observateur avisé de ce que fut la vie des colons français, et leur fin.
Dans sa préface :

« C’est par hasard que je suis allé en Indochine. Rien ne m’y préparait, ni mes goûts, ni ma formation.
En 1947, j’avais vingt-trois ans et de l’enthousiasme à revendre. Depuis des années, je n’avais qu’un désir : partir, quitter cette France qui m’ennuyait.
…/…
Je ne reçus une réponse qu’à ma cent soixante-troisième lettre (je les avais comptées) : une maison d’import – export acceptait de me prendre en stage pendant un an à Marseille avant de m’envoyer en Afrique, à Dakar ou Casablanca.
On voit donc que rien ne me prédisposait à partir en Extrême – Orient. Ce n’est qu’au dernier moment, parce qu’un employé refusa de partir, je ne sais pour quelle raison, que je pris sa place. A peine si on me demanda mon avis. On m’installa sur le « Pasteur », magnifique paquebot transformé en transport de troupes, et en route pour Saigon à quinze mille kilomètres de là.
…/…
Il y a dans la vie coloniale à ce niveau un ennui soporifique qui tient à ses rites, à ses manières empesées, au code minutieux de ce qui se fait et ne se fait pas. On se croirait sous Jules Ferry. Rien n’y manquait, pas même la promenade du dimanche dans des lieux consacrés, feuillus et branchus, pour y faire parade et respirer le bon air en famille. J’étais sensible à cet anachronisme, ce recul dans le temps – jeune fille à longs gants sous une ombrelle – qui n’est pas sans charme et que j’ai retrouvé un peu partout en Indochine, comme si on avait voulu immobiliser le temps afin de mieux lutter contre l’envahissement sournois de l’Asie, par nostalgie aussi d’exilés.
…/…
Un jour, l’occasion se présente : un ami qui part vers le nord au volant d’un camion chargé de cotonnades et de petite quincaillerie me propose de l’accompagner. Je démissionne. Je dois dire que la perpétuelle fête saïgonnaise commence elle aussi à me peser. Il doit y avoir dans ma nature quelque chose que l’excès et le divertissement sans limite offensent.
Je pars donc au volant d’un camion sur la route coloniale n°5. Elle monte droit jusqu’à Thakkek au Laos, à la frontière de la Thaïlande, à mille kilomètres de là. Une route qui en fait est une piste terreuse, large de trois mètres, avec sa crête d’herbe centrale, ravinée, effondrée, ses ponts à demi – détruits ou très branlants. »

Une connaissance de l’intérieur des deux mondes qui cohabitent, celui des colons français ; commerçants, fonctionnaires et militaires et celui des indigènes ; laotiens, vietnamiens, chinois, … Cette connaissance, aussi bien des hommes que de cette souveraine nature le long du Mékong irradie de chaque ligne de ses romans.
Cinq années passées là-bas, à brûler la vie par les deux bouts (tiens, elle a deux bouts la vie ?!), lui donneront une matière conséquente. Sa sincérité lui vaudra rapidement d’être déclaré indésirable :

« A la publication, par un treizième éditeur, de « Tu récolteras la tempête », je devins l’un de ces indésirables et fus successivement interdit de séjour au Laos puis au Vietnam. Dès son arrivée à Saigon, le roman fut pratiquement retiré de la vente. Le terrain devenait brûlant : convocations policières, fouilles de mon domicile – une chambre dans un hôtel chinois – et, pour finir, une entrevue avec un chef de cabinet, du reste compréhensif, qui me parut beaucoup plus embêté que moi.
…/…
Ce n’est que dix mois plus tard, mon second roman achevé, que je rentrai en France. J’étais resté plus de quatre ans dans ce pays. J’y avais passé les meilleurs moments de ma vie et j’allais consacrer quelque quatre mille pages à la vie qu’on menait là-bas. »