Chroniques pour une femme
de Lise Vekeman

critiqué par Libris québécis, le 14 septembre 2015
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
L'Appel de la sirène
Le suicide est un thème délicat à aborder. Lise Vekeman s'en tire élégamment en indiquant avec pudeur le sentier qui a conduit à cette décision fatale. Elle ne juge pas son héroïne. Elle se contente de présenter les circonstances qui ont entouré sa mort. Une mort rattachée à une psychologie que la mythologie grecque a déjà illustré à travers le personnage de Poséidon. Comme Gaston Bachelard, l'auteure développe la thématique en l'intégrant à un univers aquatique libérateur.

Le roman ne résulte pas d'une pensée occulte même s'il baigne dans les eaux troubles de l'inconscient. Le titre précise bien qu'il s'agit d'une chronique, donc du quotidien d'une femme, en l'occurrence une journaliste d'art, Gabrielle Varin mariée à Jérôme Collard. Sa vie est intimement liée au Lac-aux-Sables, situé tout près de Saint-Tite, renommé pour son festival western. C'est l'environnement qui préside au destin tragique de l'héroïne. Pendant l'enfance, ses parents y louaient un chalet pour la saison estivale. Adulte, elle achète une maison construite sur une falaise qui surplombe l'endroit. C'est dans un décor de carte postale que « la petite sirène », comme l'appelait sa mère, évolue au rythme des événements qui forgent son caractère.

Tout semble conçu pour procurer la sérénité aux âmes qui hantent un tel havre de paix. Il faut se méfier de l'eau qui dort. Les circonstances de la vie déséquilibrent souvent les plus invulnérables. Surtout quand il s'agit de la mort de sa mère que Gabrielle a perdue à l'âge de douze ans. Tel un bourgeon, elle survit difficilement détachée de la source qui assure sa croissance. Comme elle ne parvient pas à tourner cette page sombre de sa vie, l'attrait de l'au-delà se présente comme une solution salvatrice. À l'instar du héros de Denis Thériault dans L'Iguane, elle résiste difficilement aux appels du lac qui s'offre à partager son deuil.

Lise Vekeman raconte la vie d'une femme obsédée par l'abandon de ceux qu'elle aime. Devenue adulte, elle préfère elle-même mettre fin à ses liaisons pour ne pas subir les avatars de la rupture. Ainsi laisse-t-elle tomber son amante, une artiste japonaise qui habite New York ainsi que son mari qu'elle aime beaucoup. Il faut comprendre que les aléas de la vie l'ont rendue bisexuelle. C'est à travers les personnages secondaires que l'on découvre la vraie nature de Gabrielle. Les quatre chapitres du roman sont confiés à autant de narrateurs qui tentent de fournir un éclairage suffisant pour pénétrer le mystère de l'héroïne. Le témoignage de son amante et celui de son frère sont particulièrement révélateurs de la personnalité de cette femme emportée par les carences familiales.

Ce recours à des voix multiples exige du doigté pour sauvegarder l'homogénéité de l’œuvre. Lise Vekeman y arrive en créant une atmosphère feutrée qui contribue aussi à la réussite de cette mise en abîme. Tout se déroule en douceur dans un contexte lacustre, intégré magnifiquement à l'intrigue comme un personnage qui prend les traits autant d'un ennemi que d'un ami. Et l'écriture limpide sert de guide pour parcourir ce labyrinthe d'un destin fatidique.