The Zero Marginal Cost Society: The Internet of Things, the Collaborative Commons, and the Eclipse of Capitalism
de Jeremy Rifkin

critiqué par Romur, le 20 septembre 2015
(Viroflay - 51 ans)


La note:  étoiles
Lorsque l'idéalisme prend le pas sur l'intelligence
Ce livre m’intéressait car il aborde les transformations de la société et du monde économique par les nouvelles technologies et par les nouveaux modes de pensée... Quelle déception !
Rufkin propose pourtant un panorama assez complet des bouleversements en cours mais il en fait un mélange indigeste pour soutenir une vision idéaliste et idéologique, avec de graves fautes de raisonnement et des omissions difficiles à admettre.

RESUME DU LIVRE
Dans la première partie, il présente l’histoire économique occidentale, l’évolution des pratiques et des idées sous-jacentes. Ce genre d’exercice n’est jamais neutre et donc toujours discutable, mais la lecture est intéressante et donne à réfléchir.
Dans la deuxième partie, il expose un certain nombre de grandes tendances actuellement à l’œuvre, extrêmement disruptives pour les acteurs et économies traditionnelles. Gains de productivité croissant, internet des objets (IoT), énergies renouvelables, impression 3D, MOOC, disparition du travail humain au profit de l’automatisation (y compris pour des tâches intellectuelles et à valeur ajoutée), économie du partage ou collaborative.
Dans la troisième partie, il revient sur le concept de commons, en y mêlant des considérations éthiques et philosophiques. Il voit dans de nombreuses structures actuelles le retour de ce type d’organisation basée sur la collaboration et le partage, organisation appelée selon lui à remplacer largement les entreprises centralisées traditionnelles.
La quatrième partie approfondit la notion d’économie de partage qui permet une meilleure utilisation des ressources et des infrastructures, l’usage devenant plus important que la propriété. Toujours dans le domaine des nouvelles organisations, plus décentralisées, il introduit la notion de consommacteur (prosumer).
Dans la dernière partie, Rifkin expose l’avenir radieux qui nous attend dans un monde d’abondance, de collaboration et d’empathie, si nous ne sommes pas victimes du réchauffement climatique ou de cyber-terrorisme.


DE GRAVES FAUTES ET LIMITES
1) Un coût marginal (presque) nul ne veut pas dire un prix d’achat presque nul pour le consommateur.
Autant noter tout de suite que le texte du livre est moins affirmatif que son titre puisqu’il est question de « near zero » marginal cost. Il peut se cacher beaucoup de choses derrière ce « presque »... Dans le cas de l’impression 3D par exemple, il semble oublier qu’il faut acheter la matière qui a été fabriquée, transportée...
D’autre part, il faut toujours raisonner en coût global de possession (acquisition, utilisation, élimination) : il faut tenir compte de la consommation en carburant et du prix de l’assurance quand on achète une voiture, et intégrer le coût du démantèlement des centrales nucléaires dans le prix de l’électricité. Quel sens a alors un coût marginal (presque) nul ? Le client devra toujours payer un prix intégrant le coût d’investissement, qui peut être significatif. Coût marginal presque nul ne veut pas donc dire quasi-gratuité.
Il est d’ailleurs regrettable que Rifkin ne donne aucun chiffre sur les coûts d’investissement et de mise en place des nouvelles infrastructures, se contentant d’affirmer sans preuve qu’ils sont bien moindres que le coût des infrastructures pour les révolutions industrielles précédentes. Il suffit de voir les capitalisations boursières des acteurs des télécoms et de l’Internet pour réaliser que ce sont des activités très capitalistiques !

2) Un coût marginal presque nul n’est aucunement une atteinte au capitalisme
Rifkin écrit par exemple que “Although the fixed costs of solar and wind technology are somewhat pricey, the cost of capturing each unit of energy beyond that is low”. Il admet donc bien un investissement initial en capital pour mettre le système en place, mais peu ou pas de ressource (matériel) ou de travail (humain) pour le faire fonctionner. Si le capital est essentiel pour mettre en place les moyens de production et que le travail est négligeable pour produire on est dans le capitalisme le plus extrême !
A noter aussi que la présence de biens abondants et à coût nul (eau, air, mer...) n’a jamais gêné le capitalisme, ni l’économie de marché qui sont plutôt doués pour rendre payant ce qui ne l’était pas.
Les bouleversements que Rifkin décrit affectent donc plus les mécanismes de marché et les business models traditionnels que le capitalisme lui-même.

3) Un scénario non durable, contrairement à ses affirmations
Au-delà du coût global de possession, le développement durable nous apprend que la notion de coût ne doit pas se limiter au coût financier mais prendre en compte le coût environnemental et humain.
Aussi, quand Rifkin rêve de mettre des objets communicants partout, il semble oublier le coût économique et environnemental des télécommunications et des serveurs de calcul : l’énergie pour une seule requête Google a été évaluée il y a quelques années à celle nécessaire pour une tasse de thé. Il oublie également que l’électronique et les batteries sont de belles sources de pollution lorsque le recyclage est mal fait.
Mais de façon plus fondamentale et plus grave, il ne semble pas voir la contradiction insupportable entre le développement durable et l’économie d’abondance qu’il nous promet. Dans le chapitre 5 il annonce la transposition au monde physique des croissances exponentielles observées dans le numérique. D’où va venir l’abondance alors que les terres agricoles ont une surface limitée, que les ressources en métaux et terres rares pour l’électronique sont limitées ? Comment remplacer la rareté par l’abondance alors que la « rareté » actuelle consomme déjà les ressources d’une planète et demi ?

4) Qui va payer et comment ?
Dans son euphorie à nous annoncer une société où les coûts marginaux seront (presque) nuls Rifkin a oublié les coûts d’investissement. Il ne s’intéresse donc peu à la question de savoir qui va payer les infrastructures alors qu’il évoque le quadruplement des débits Internet. La réponse du financement est d’autant moins évidente qu’il annonce la fin du modèle publicitaire sur Internet, qui nous assurait la quasi-gratuité des services en ligne.
Autre oubli : comment va-t-on payer les biens, les salaires ne pouvant évidemment pas rester au niveau actuel ? Les salaires versés dépendent en effet du chiffre d’affaire de l’entreprise et si les prix (donc le chiffre d’affaire) sont divisés par 100, les salaires le seront aussi. Je ne parle même pas de ceux qui n’auront plus de travail grâce à l’automatisation (chapitre 8).