Cale sèche de Jean-François Merle

Cale sèche de Jean-François Merle

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Eric Eliès, le 24 septembre 2015 (Inscrit le 22 décembre 2011, 50 ans)
La note : 4 étoiles
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Un court roman sur l'inanité d'une vie d'errances et de fuites, au souffle hélas également court

Ce roman, d’une centaine de pages, conte l’errance d’un jeune homme solitaire qui, perdu, alcoolique et malade dans un lointain pays d’Afrique (à peine évoqué), tente de reprendre le contrôle de sa vie. Renonçant à l’alcool, il embarque sur un cargo et parvient à Marseille, peu avant les fêtes de Noel, où il survit dans les rues en se liant à un groupe de SDF, aussi paumés que lui. Témoin passif d’une bagarre, il les quitte et est recueilli par un prêtre qui l’héberge quelques jours. Il fuit à nouveau en prenant le train pour Paris, où il retrouve une ancienne connaissance. Profitant d’un repos forcé dû à la grippe, il se met à écrire le récit de sa vie, comme s’il cherchait à lui donner rétrospectivement un sens, mais au terme de ce travail d’écriture autobiographique qui constitue en fait la trame du roman, il constate qu’il a toujours été seul et que sa vie est vaine. Sa carapace, faite de silence et d’indifférence, se fissure sur ce bilan qui consacre son échec et l'inanité de ses efforts : « Alors, j’ai connu le malheur » est la phrase qui achève le récit, comme un effondrement…

Le héros de ce drame est un jeune homme taciturne au caractère renfermé, qui ne fait que réagir aux épreuves de la vie. Ses seules initiatives sont des fuites et il finit par abandonner, en silence et en cachette, ne sachant que leur dire, tous ceux dont ils croisent le chemin et dont il refuse le secours. Il tente de se protéger par l’indifférence aux êtres et par l’acceptation passive des évènements, en se retranchant du monde dont il est un simple témoin passif, parfois contemplatif. Acceptant la misère, il prend seulement soin d’éviter de sombrer dans le délabrement physique… Néanmoins, il a pleinement conscience du caractère sordide de cette vie et, au fur et à mesure qu’il écrit, il avoue ses regrets et ses remords…

« Cale sèche » a valu à Jean-François Merle d’obtenir le prix du premier roman en 1987. Très sincèrement, j’ai du mal à comprendre les raisons du jury car le récit est bancal : on peine à croire aux personnages, qui n’ont pas d’épaisseur, et aux lieux très sommairement décrits. Il m’a été très pénible de ne pas comprendre l’identité du narrateur, dont on ne sait pas, jusqu’à mi-roman, s’il est un émigré africain ou un français expatrié, un jeune homme ou un vieillard usé par la vie, etc. L'Afrique est évoqué par quelques clichés. Marseille est également méconnaissable. Qu’on l’apprécie ou non, cette ville possède une identité forte, avec une géographie et une atmosphère particulières qui sont ici totalement ignorées. Je suis persuadé que l’auteur, qui décrit Marseille comme il le ferait d’un quartier plat de Paris, n’y a jamais mis les pieds… Enfin, la psychologie des personnages est improbable, notamment celle du narrateur. A l'exception de la mendicité, le quotidien d’un SDF (l’angoisse d’un lieu pour dormir ou pour ranger quelques affaires, la lutte contre le froid ou la pluie, la glane, etc.) est passé totalement sous silence, voire même honteusement nié : le narrateur, lors de son séjour à Marseille, souligne qu’il se lave à grandes eaux tous les jours et méprise en silence les autres SDF, alcooliques et idiots, qui se moquent de son odeur de savon frais et de son visage soigneusement rasé de près tous les jours, comme si l’auteur sous-entendait (à plusieurs reprises) que les SDF n'étaient que des êtres veules se complaisant dans la crasse.

En fait, on a le sentiment que l’auteur a élagué son récit (passer d'un quai portuaire en Afrique aux rues de Marseille n'est pas si aisé...) pour se concentrer sur l’évocation des moments d’introspection et la description contemplative d’évènements anodins (le spectacle de la mer lors de la traversée, le bruit de la pluie sur le toit de l’église où le narrateur a trouvé refuge, une fillette jouant à la balle dans la rue que le narrateur observe depuis sa fenêtre, etc.). Seule la qualité d’écriture de ces scènes, où l’auteur s’efforce de saisir et d’exprimer les nuances d'un ressenti de solitude (comme si le narrateur, faute de pouvoir assumer pleinement de se détacher du monde, était la version malheureuse du "Saint quelqu'un" de Pauwels), évite au récit de sombrer dans l'insignifiance :
La rumeur s’immisçait dans l’église, et, à la manière d’une lumière traversant un prisme, se décomposait en tons variés, distincts les uns des autres et superposés ; bruits des gouttes dans les flaques, sur le pavé, glouglou lointain d’une gouttière, chuintement de l’eau bousculée par la roue d’une voiture, tapotement de grosses gouttes rebondissant sur l’auvent de l’église, à l’infini, comme si, en écoutant une musique symphonique, j’avais eu le pouvoir de distinguer la mélodie de chacun des instruments.

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