Réveillez-vous : on nous appelle...!

ANDERS me rappelle immanquablement la belle cantate de J.S.Bach "Wachet auf, ruft uns die Stimme" , BWV 140 (réveillez-vous, la voix nous appelle).
Pourvu que ce ne soit pas (tout à fait) dans le désert...!

Cet ouvrage relativement bref (159 pages) fait immédiatement penser de par sa forme aux « Minima Moralia » de Théodor ADORNO (pour info : http://www.lmda.net/din/tit_lmda.php?Id=19603). Une succession d’aphorismes ou de courts textes rédigés dans les années soixante alors que G.ANDERS, absorbé notamment par son combat contre « la » bombe et tout ce qui tourne autour de l’industrie nucléaire, fut repris, selon ses propres mots, par le « morbus philosophicus », qui le conduisit à jeter sur le papier comme un ensemble d’instantanés tirés de l’observation de la vie courante.
On y touche à tout, bien sûr, de la politique à la religion, de l’industrie des loisirs à la banalité, de l’amour à la musique, de l’atome à l’insignifiant.
La coloration générale de l’ensemble n’échappe pas bien sûr à l’option proclamée de tout temps par ANDERS : construire une morale de la vie, pour la vie et non pas un objet philosophique destiné à favoriser les gloses stériles de vieux messieurs enfouis sous la poussière des bibliothèques universitaires et qui se gardent bien la plupart du temps de se frotter aux réalités.
G.ANDERS a toujours combattu pour une morale de l’action. Son pessimisme se distingue de celui d’ADORNO dans la mesure même où il s’acharne à ordonner de par cette action le combat pour la survie et le dépassement de l’enfer sur terre qui nous est promis. C’est une morale pour les halliers, les souterrains, les ruines fumantes, l’intimité de nos âmes, en un mot, une morale pour le maquis. Car pour ANDERS, la traversée du désert sera terrible, mais nous vaincrons, pourvu que nous ayons en vue constamment l’impératif moral dans nos pensées et nos actes.
Quelques extraits…
Fausse propreté (p.20)
…Une éthique qui n’interfère pas, qui ne choque pas et qui s’engage même à ne pas choquer, n’est pas moins dénuée d’objet que ne le serait la paillette de savon qui promettrait de ne jamais s’occuper de linge sale. Mais naturellement, le droit d’exister lui est attesté, et souvent même solennellement, précisément par ceux à qui elle a juré de ne pas choquer. »
Contributions (p.21)
« Le blues, ai-je lu quelque part, est la contribution des noirs à la culture américaine » Cette phrase n’est pas seulement fausse, elle est odieuse.[…]Et odieuse, parce qu’elle aboutit au mépris lorsqu’on minore la plainte en l’admirant…
Sur le même thème, un peu plus loin :
Bucolique et propriété (p.25-28)
[…] Les méandres de l’esthétique sont répugnants (à propos du jazz.).L’aversion que j’éprouve ici est la même qui me remplit depuis des années à l’écoute de « spirituals ». On a mis l’humilité dans la bouche de l’esclave noir….
Le mot le plus inquiétant (p.58)
Méfie-toi lorsque tes voisins prennent l’habitude de parler du « positif » […] la fonction de ce mot consiste exclusivement à sanctionner ce qui est et […] à diffamer la critique…
……..
Je pourrais poursuivre les citations où il est question de la musique, de la peinture, de la terreur insidieuse de l’anéantissement par l’atome entretenue par les pouvoirs, bref, de tout ce qui, il, y a cinquante ans déjà, obsédait Günther ANDERS et dont il scrutait les signes au travers des comportements de ses contemporains.
Le modeste ouvrage qu’on a entre les mains pourrait être considéré comme une espèce de cahier de « Travaux Pratiques Illustrés » accompagnant le travail principal d’ANDERS sur la fin de sa vie : les deux tomes de « Obsolescence de l’Homme », dont il sera rendu compte ici…. lorsque j’en aurai achevé la lecture.
Les éditions Fario, que j'ai découvert à cette occasion, éditent le présent ouvrage ainsi que le tome 2 de "L'obsolescence". Il faut les en remercier.

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  Sténogrammes philosophiques [Texte imprimé] Günther Anders traduit de l'allemand et annoté par Nicolas Briand

  de Anders, Günther Briand, Nicolas (Editeur scientifique)
  Éditions Fario
  ISBN : 9791091902175 ; 18,50 € ; 20/05/2015 ; 160 p. ; Broché

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