Le chant des insensés
de Henri Troyat

critiqué par Dirlandaise, le 24 octobre 2015
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
La postérité ne pardonne pas aux tièdes
Pouchkine, Gogol, Dostoïevski, Lermontov étaient de grands écrivains russes du dix-neuvième siècle dont les noms sont passés à la postérité. Par contre, bien peu de lecteurs se souviennent de Vassili Joukovski le poète et traducteur qui a exercé la fonction de précepteur auprès du grand-duc Alexandre. Pourtant, cet homme était l’ami des grands écrivains cités plus haut et a souvent exercé sur eux une influence appréciable en particulier Gogol et Pouchkine dont il admirait les œuvres et aidait de ses encouragements. Henri Troyat retrace la vie de Joukovski à partir de sa cinquantième année jusqu’à sa mort à l’âge de soixante-neuf ans à Baden-Baden en Allemagne, ville qu’il avait adoptée pour plaire à sa jeune épouse allemande Élisabeth.

C’est donc un pan de vie parsemé de drames que nous offre ici Troyat entre autres la mort de Pouchkine, celle de Gogol et la déportation en Sibérie de Dostoïevski. Par contre, Joukovski n’a jamais vraiment été inquiété par le pouvoir monarchique au contraire, il était proche du tsar et de sa famille. Il a presque toujours évité de se compromettre tout en défendant ardemment les écrivains qui lui étaient chers et qui irritaient le tsar par leurs écrits jugés insensés par celui-ci. Vers la fin de son existence, Joukovski réalisera qu’il a raté sa vie en voulant trop la réussir et conserver son train de vie bourgeois lui a coûté une renommé qui lui aurait survécu après sa mort comme pour Gogol et Dostoïevski alors qu’il a rapidement sombré dans l’oubli.

Comme tous les livres de Troyat, l’écriture est d’une qualité irréprochable, le récit bien construit et l’auteur bien documenté. Par contre, le récit m’a parfois légèrement ennuyé tant il est académique mais lire Troyat est si reposant et enrichissant que cet ennui s’est vite dissipé. J’ai donc suivi avec intérêt les tribulations de Joukovski et de ses célèbres amis dans la Russie tsariste du dix-neuvième siècle et ce livre m’a finalement enchantée par ses qualités littéraires certaines.

« En vérité, son tort, depuis le début, avait été de manquer de caractère. Ses succès apparents cachaient un cuisant échec. Il avait raté sa vie en s’efforçant de trop bien la réussir. Tout artiste avait le choix entre deux solutions : ou être heureux sur terre, ou être admiré après sa disparition. La postérité ne pardonnait pas aux tièdes. »