Je ne t'ai pas vu hier dans Babylone de António Lobo Antunes

Je ne t'ai pas vu hier dans Babylone de António Lobo Antunes
(Ontem nāo te vi em Babilónia)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Lectio, le 26 octobre 2015 (Inscrit le 16 juin 2011, 75 ans)
La note : 10 étoiles
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Parce que ce que j'écris peut se lire dans le noir.

C'est par cette phrase que se termine " JE NE T'AI PAS VU HIER DANS BABYLONE". Du titre jusqu'au point final ce livre exige du lecteur concentration et ténacité. Lobo Antunes nous entraîne dans un domaine sombre et hermétique. Plusieurs personnages racontent tour à tour leur nuit d'insomnie entre minuit et cinq heures du matin. L'angoisse de la mort les poursuit au travers de la narration de leurs obsessions. Au centre des récits, un homme, jamais nommé. Policier durant la dictature de Salazar, il torturait les opposants au régime. Qui est ce personnage d'une rare complexité. Le médecin psychiatre Lobo Antunes explore plusieurs champs : un vulgaire salaud, un malade mental qui assouvit son sadisme dans ses fonctions policières, une victime de sa vie, de son enfance ravagée. Au lecteur de forger son opinion si nécessaire. Les autres personnages sont surtout des femmes. Des plaintes douloureuses sur les humiliations subies, les viols, les filiations incertaines ou déniées, les mariages ratés. Le policier exécuteur du mari d'une de ces femmes sera finalement recherché par ses ex collègues... parce que ce que j'écris peut se lire dans le noir ! Difficile de lire ce livre dans lequel les mots, le style, la syntaxe, la ponctuation sont plus importants que l'histoire. Tout comme Céline l'histoire et les idées viennent plus du style et des mots que de l'auteur. Mais le docteur Antunes dépasse largement le docteur Destouches. Le psychiatre conduit une impitoyable obsession de l'analyse dans un langage puissant, violant, travaillé et ciselé dans le moindre mot juste à sa place, la moindre virgule ici indispensable. Dans cet IRM de la société portugaise et de l'entassement des silences et des dissimulations de la vie familiale, on ressent parfois de la lassitude. Trop noir, trop répétitif, trop obsessionnel, trop long. Mais on y revient, après décantation, attiré par la profondeur et la maestria de l'écriture. Fort heureusement la traductrice MICHELLE GIUDICELLI nous apporte d'intéressants éclairages dans une remarquable préface à laquelle il est me semble-t-il utile de se référer durant la lecture de l'ouvrage. Elle nous situe notamment les personnages rarement ou jamais nommés dans le récit. Bouée salvatrice, repère (repaire !) bienvenu lorsqu'il nous arrive de nous noyer dans les mots.

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