Les conquérants d'un nouveau monde
de Michel Ciment

critiqué par AmauryWatremez, le 10 novembre 2015
(Evreux - 55 ans)


La note:  étoiles
Le cinéma américain est-il américain ?
Michel Ciment est un des critiques les plus intéressants que l'on peut lire, avec Boujut ou Pauline Kael. Ils partagent avec eux le goût pour beaucoup de subjectivité assumée et le désir de partager ses coups de cœur pour des films, des réalisateurs parfois méconnus ou injustement traités par la prospérité. Il écrivait pour « Positif » dont il était le rédacteur en chef plus ou moins officieux. Il fut également l'auteur fameux d'un des premiers livres français sur Kubrick, le décrivant en « maître du haut château » du cinéma, installant presque définitivement quelques malentendus sur l'auteur de « 2001 » ou « Docteur Folamour », participant à sa légende. De par l'intelligence de ses points de vue, on a du mal à lui reprocher d'être parfois très péremptoire.


C'est aussi tellement rare de lire un critique cinématographique dont la cinéphilie ne commence pas dans les années 80. Michel Ciment est un ogre du celluloïd, il veut parler de tout, tout connaître y compris la plus petite des « séries B » si celle-ci présente un intérêt. Le cinéma ce n'est pas seulement, en effet, soit les films « commerciaux », soit les films d'« ôteurs », étanches l'un à l'autre. Le cinéma englobe toutes les œuvres, les plus méprisées contenant parfois une ou deux minutes étonnantes sauvant tout le reste. Un atroce « nanar » pour cette raison peut être plus intéressant qu'un long-métrage à prétentions sociales et, ou culturelles. Il peut parfois annoncer des œuvres plus personnelles d'un auteur....
Ce livre, recueil d'articles et d'essais courts parus dans « Positif » et diverses autres publications, démontre qu'il n'existe pas exactement de cinéma américain au sens premier du terme, à l'exception des films monumentaux de D.W. Griffith tel « Naissance d'une Nation ». Les créateurs des étranges reflets du « miroir aux alouettes » des colinnes de Burbank sont pour la plupart des émigrés, pour certains juifs, venus de la « Mitteleuropa » bouillonnante, ayant dû fuir à cause de la montée du nazisme : que ce soit Billy Wilder, Erich Von Stroheim, Otto Preminger, Fritz Lang ou Von Sterrnberg. Ils sont aussi de Grèce comme Elia Kazan ou irlandais catholique, ainsi John Ford, britannique pur sucre comme Hitchcock, italien à l'exemple de Capra. Leurs films perçus au premier abord par des spectateurs peu attentifs comme des exaltations d'un mode de vie privilégié sont toujours des satires plus ou moins habiles de « l'Americana », des satires qui ressortent aussi d'une forme de « correction fraternelle » pour les habitants d'un pays les ayant accueillis sans restriction.

tIl évoque dans cet ouvrage le système des studios, des figures de producteurs légendaires:David O. Selznick, Darryl F. Zanuck. Rappelons d'ailleurs que le O du premier et le F du nom du second ne correspondent à aucun prénom, ils étaient là pour concurrence le B de Louis B. Mayer, un des premiers « tycoons » de Hollywood. L'on comprend que le cinéma est une industrie dés les origines, un divertissement de fête foraine amélioré, ce qu'il était dans le « Middlewest » américain ou au « Bazar de la charité » à Paris. Cette industrie, les créateurs cités ci-dessus la subvertissent, y instillant leur sens de la dérision, leur goût pour la caricature, et pour montrer également l'être humain tel qu'il est ou tel qu'ils rêvent qu'il soit. Paradoxalement, c'est après la prise de pouvoir des « jeunes loups » des années 70 que cette subtile subversion sera beaucoup plus difficile, même dans le circuit dit « indépendant », un film ne devant que le rouage d'une chaine commerciale rapportant des millions de dollars.



Si l'originalité et le vrai talent sont beaucoup plus délicats à dénicher dans le fatras des productions actuelles quasiment toutes formatées, elles existent encore, les fous de cinéma sont encore là, encore faut-il savoir regarder dans la bonne direction...