Les prépondérants de Hédi Kaddour
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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NAHBES, L'IMAGINAIRE COLONIALE
Nous sommes dans une Afrique du Nord imaginaire, dans une ville nommée Nahbès au printemps 1922. Imaginaire, à ceci près que la description faite par l’auteur dans les premiers chapitres du livre ne nous laisse guère de doutes :c’est l’ordre colonial qui règne, avec ses dirigeants, ses potentats, ses lobbyistes que l’auteur nomme Les Prépondérants .
Pourtant, un événement vient bousculer ce décor empreint de conservatisme : c’est l’arrivée d’Américains venus tourner un film .On y découvre ainsi Katryn Bishop, une actrice prête à concurrencer ses consœurs d’Hollywood, Neil Daintree, le metteur en scène, Gabrielle Conti, une journaliste française, tous, à des degrés divers, en recherche de réussite, d’émancipation, et de création artistique qui leur apporterait , bien sûr, la consécration . Du côté des Prépondérants, Ganthier, un propriétaire terrien, paternaliste à l’égard des indigènes qu’il faut tenir en respect, et auxquels il ne faut surtout pas accorder la moindre concession, sous peine d'apparaître faible, Pagnon, un chirurgien, autre soutien de cet ordre, sont irrités par la venue de ces Américains qui ne comprennent décidément rien aux réalités locales.
Du côté des indigènes, justement, le personnage de Raouf, jeune homme très cultivé, ayant bénéficié de la fréquentation de l’école française et capable aussi de citer des poètes arabes classiques dans le texte, tente, difficilement, le dialogue, la remise en cause de l’ordre établi . Cette démarche, sa cousine Rania Belmedjoub, veuve, qui traite une affaire pour vendre un terrain, une tâche dévolue en principe à un homme, fait de la résistance à sa manière ; elle s’instruit, lit des auteurs, elle aussi, imagine un autre rôle pour la femme musulmane que celui qu’on tente, en vain, de lui faire accepter.
Dans la seconde partie du livre, certains personnages, dont Raouf et Ganthier, font un voyage en Europe ; ils se frottent aux réalités de l’Allemagne de l’après-guerre, occupée par les Français, en proie aux pires difficultés qui annoncent déjà son futur tragique. Ces visites en Europe changent, presque à leur insu, leurs visions du monde.
Ce que ce roman illustre, c’est la capacité que donnent les armes de la culture, de l'ouverture vers les autres, de s'émanciper, d'accéder à la dignité et au respect, comme Raouf le montre en reconfigurant ses relations avec les Européens, sans passer pour un être servile , sans être assimilé à l’indigène de service .Ce roman met aussi en lumière les effets que peut procurer l’accès au savoir, quand ses bénéficiaires transforment cet outil à leur profit et le retournent contre leurs maîtres, les Prépondérants .
Un roman qui donne beaucoup de clés sur l’état de cette période, sur cette ville de Nahbès, résumé en miniature de l’ordre colonial de l’époque et de ses contradictions. Une autre raison très forte de le lire, c’est cet élargissement qui s’accomplit à l’échelle du monde, de plusieurs continents, dans la vie des personnages, comme pour nous suggérer que nos vies sont incluses dans ce monde, que ce dernier en change, parfois, le cours pour le meilleur comme pour le pire .
Les éditions
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Les prépondérants [Texte imprimé], roman Hédi Kaddour
de Kaddour, Hédi
Gallimard
ISBN : 9782070149919 ; 21,00 € ; 20/08/2015 ; 464 p. ; Broché
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Un roman fleuve, d'histoire globale
Critique de Evanhirtum (, Inscrit le 22 août 2016, 37 ans) - 22 août 2016
C'est l'histoire d'une collision entre trois univers. Cela se passe dans un protectorat français d'Afrique du Nord, au début des années 20. La structure sociale où dominent les Prépondérants, ces colons jouissant d'une autorité morale et « civilisatrice » sur les arabes, est mise à mal par l'arrivée d'une bande d'Américains de Hollywood (made in Scott Fitzgerald) venus pour tourner un film. Ces Américains sont davantage libéraux et égalitaristes, ce qui ravive les tensions latentes au sein de la jeunesse autochtone dominée mais cultivée.
Le roman porte sur les prémices d'un bouleversement du monde, en partant des germes de la fin du colonialisme et du début du néocolonialisme que peut être la domination mondiale de la culture américaine. On y retrouve également le jeu d'équilibristes entre le puritanisme-traditionalisme et la modernité-liberté des mœurs, qui traverse chacun des trois univers. Au détour d'un voyage, on plonge aussi dans l'Allemagne humiliée des années 20, avec la montée latente du nazisme. C'est le roman des erreurs et du point de départ des chocs du vingtième siècle.
J'ai trouvé certains chapitres vraiment géniaux (tant sur le fond que sur la forme et la technique), par contre, dans d'autres j'ai eu un peu de mal à accrocher au récit. Mais globalement, c'est vraiment un excellent livre sur une époque passionnante et riche d'enseignements. Le personnage de Gabrielle, la journaliste française, est juste parfait.
Les Prépondérants… un cercle aux certitudes ébranlées
Critique de Hcdahlem (, Inscrit le 9 novembre 2015, 65 ans) - 9 février 2016
Ce roman-monde, comme le définit l’auteur, est découpé en trois parties. La première, intitulée «Le choc», est située au début des années 1920. Puis vient «Le grand voyage», qui se déroule de l’hiver 1922 au printemps 1923, et la troisième, titrée «Un an après», nous conduit en juin 1924.
Le choc dont il est question au début du livre, c’est celui que provoque l’arrivée d’une équipe de tournage américaine à Nahbès, cette ville imaginaire d’Afrique du Nord. Jusque là les rôles semblaient bien définis entre les «gentils colonisateurs» venus apporter prospérité et développement, civilisation et sécurité et les «gentils autochtones» prêts à accepter l’aide de ces blancs et à travailler pour eux, voire avec eux. C’est du moins l’opinion dominante au club des «Prépondérants», qui rassemble les plus aisés des colons et les autochtones. Seulement voilà, Hollywood-sur-Nahbès, c’est un peu le chien fou dans le jeu de quilles. Les belles règles établies jusque là vont voler en éclats. Les dollars et les «les rires et les cris trop libres de ces femmes d’outre-Atlantique» vont déstabiliser les Français avant de contaminer les Nord-Africains.
Les grands thèmes que sont le colonialisme et le droit à l’autodétermination, la place de la femme dans la société et notamment dans la société arabe, la montée des périls et la notion de progrès, y compris sur le plan politique son tici incarnés par une galerie de personnages particulièrement bien campés.
La première à entrer en scène est Rania, fille de Si Mabrouk, un grand bourgeois de la capitale. Cultivée, grande lectrice et curieuse de tout, elle entend s’émanciper des traditions séculaires. « Rania s’intéressait beaucoup à ce que faisait Kathryn, elle demandait à Gabrielle s’il était vrai que les Américaines avaient autant d’amants que leurs maris avaient de maîtresses. »
Face à elle, il y a Raouf, également fils de notable, qui va se chercher un avenir dans un nationalisme qui donnerait sa chance à tous. Même si cet engagement est avant tout rhétorique, car il lui faut d’abord conquérir le cœur de la belle actrice Kathryn Bishop. Du côté des progressistes on ajoutera Ganthier, un ancien officier, qui imagine un empire colonial de cent millions d’habitants, mais où chacun aurait les mêmes droits.
Une position qui hérisse la majorité des Prépondérants qui voient d’un très mauvais œil ce souffle de liberté, attachés qu’ils sont au respect des traditions et des valeurs : « Pagnon, Doly, Laganier, une demi-douzaine d’officiers, autant de fonctionnaires, beaucoup de colons, ainsi que des commerçants et artisans. »
La belle idée de l’auteur est de confronter à l’occasion d’un grand voyage – la seconde partie de l’ouvrage – quelques idées développées à Nahbès avec la réalité du terrain. Quand, par exemple, le groupe se rend en Allemagne en passant par l’Alsace et découvre à quoi peut ressembler un territoire dont l’occupant s’est retiré. Mais aussi combien le sentiment de revanche peut se développer auprès d’un peuple qui vit dans la misère et doit s’acquitter de réparations exorbitantes. Une époque charnière qui va annoncer les grands bouleversements à venir.
Rendons enfin à Hédi Kaddour une autre grande qualité, celle d’enrober ses pâtisseries d’un sucre fin, d’observations et d’anecdotes qui viennent enrichir la récit. L’histoire du stock d’huile ou de la chamelle en chaleur ou encore l’anecdote de la machine à écrire sans accents récupérée par l’administration française pour n’en citer que quelques-unes vous amuseront autant que la description des tournages. Un régal !
http://urlz.fr/347V
Le choc des cultures
Critique de Meriel06 (, Inscrit le 29 novembre 2015, 70 ans) - 29 novembre 2015
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