Le rivage des murmures
de Lídia Jorge

critiqué par Tistou, le 14 décembre 2015
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Le chaud et le froid avec Lidia Jorge
Etonnant ! « Le rivage des murmures » n’est que le troisième ouvrage de Lidia Jorge (1988). Il s’insère entre « La journée des prodiges » et « La dernière femme », deux romans qui m’avaient été pénibles à lire et ce « rivage » me parait tellement différent ! Etonnant !
Lidia Jorge s’appuie sur son expérience de six ans passés dans les colonies portugaises ; Mozambique et Angola, pour parler de la fin de ces colonies, de l’agonie de ces guerres coloniales insensées, à travers les souvenirs de vingt ans d’âge d’une femme partie jeune mariée au Mozambique accompagner son sous-lieutenant de jeune mari.
La construction est alambiquée (il s’agit de Lidia Jorge, aussi !) puisque c’est à travers les réactions de cette femme, Eva, à la lecture d’un texte qu’elle a entre les mains vingt ans après, s’inspirant manifestement des évènements qu’elle connût là-bas, qu’elle « recadre » la première relation des évènements. Première relation intitulée « Les sauterelles » et par quoi on entame le roman. Sur les quarante premières pages. La suite, c’est la reprise de certains points saillants de cette histoire par Eva pour les commenter, les enrichir, les corriger et ce faisant creuser ceci à loisir.
Evita – Eva dans « Les sauterelles » - est parmi ses invités sur la terrasse du « Stella Maris » le grand hôtel chic local en ces temps coloniaux, dans la nuit tropicale en compagnie de son mari, sous-lieutenant donc, pour fêter son récent mariage. C’est la nuit et le spectacle n’est pas que dans l’assemblée. C’est qu’à leurs pieds, un étrange ballet va avoir lieu puisque des camions viennent récupérer des dizaines de cadavres d’indigènes rejetés par l’océan. In fine, le sous-lieutenant disparaîtra dans la nuit en se lançant à la poursuite d’un journaliste. Voilà le pitch délivré par le texte initial, « Les sauterelles ».
C’est sur ces points saillants, leur pourquoi, leur comment, que la suite du roman va porter et c’est vrai que lorsqu’un roman est porté par une « histoire », ça facilite les choses, le récit est « ancré ». C’est ce qui m’avait manqué dans « La journée des prodiges ».
Parce qu’en outre Lidia Jorge écrit indéniablement bien.

« Le marié s’est rapproché de la bouche de la mariée, il a d’abord heurté ses dents, mais elle a bientôt cessé de rire et, devant le photographe, leurs langues se sont touchées. A ce moment précis un tressaillement de jubilation et de fureur parcourut le cortège, comme si s’évanouissait le moindre doute que la terre pût cesser un jour d’être fécondée. Les invités n’étaient plus au pied d’un autel banal mais sur la terrasse du « Stella Maris » dont les fenêtres s’ouvraient sur l’océan Indien. »