Enregistrements pirates
de Philippe Delerm

critiqué par Escarpins, le 20 février 2004
( - 55 ans)


La note:  étoiles
Assez décevant pas très innovant.
Pour ceux qui n'ont pas lu Delerm peut être que c'est pas mal.
Mais on a quand même la sale impression qu'il se répète un peu.
Des petites nouvelles de la vie quotidienne encore et toujours très bien écrites ça je l'admets, mais peut être qu'avec de si bons talents d'observateurs des choses minuscules on aurait pu s'attendre à mieux.
Pris sur le vif ! 8 étoiles

Plus qu'un observateur, Philippe Delerm décortique les impressions d'ensemble et use de ses mots propres à lui-même pour nous faire ressentir des sensations inédites, uniques et inoubliables ! "Enregistrements pirates" est de la même veine que "La première gorgée de bière" ou "La sieste assassinée" : c'est un diaporama d'instants saisis sur le vif, tels des polaroids qui matraquent les petits riens du monde autour de nous. Et il s'en passe des choses sans qu'on s'en aperçoive ! Telle cette personne qui promène son chien, les messages texto délivrés par téléphone portable, les rappels interminables au chanteur qui ne cesse d'aller et venir des coulisses à la scène - particulièrement cette scène me fait penser à la pimpante Lucia et à ses copines portraiturées par l'émission Envoyé Spécial dans le reportage sur Franck Michaël ! "On n'est pas couchées !" s'exclament-elles.
Il y a ces autres instants tout aussi délicats, une lettre d'une étudiante suédoise qui use d'une formule hors du commun... "Le paysage d'automne est accompli". Des troubles face à un graffiti planté sur un mur ou à des jonquilles sur le quai. L'oeil goguenard devant le style mémère ou le maître (du chien) pervers. Et j'en passe, j'en passe...
"Enregistrements pirates" est un recueil de textes qui s'ouvre et se ferme avec un clin d'oeil aux peintures de Pietro Longhi. Pirate de l'instantané, Philippe Delerm démontre une nouvelle fois son talent des textes concis, qui font mouche et touchent le public - imparable.

Clarabel - - 48 ans - 21 janvier 2005


Savoureux 8 étoiles

Mon premier Delerm.
J'ai hésité, je ne le regrette pas !
Un petit livre d'une centaine de pages contenant un florilège d'observations pointues et souvent humoristiques de scènes de la vie quotidienne.
Un style agréable et imagé, pas ampoulé pour un sou mais pas dépouillé non plus.
Ces moments "piratés" de la vie sont pris sur le vif avec une acuité dont on se dit à chaque lecture : "mais j'aurais pu écrire ça !". Ben oui ! mais c''est lui qui l'a écrit, et sûrement bien mieux que moi !
Alors j'ignore si j'en ai le droit - mais si tel n'était pas le cas, je suis sûre que les webmasters feront disparaître ma critique éclair - je ne résiste pas à l'envie de vous livrer une très courte "nouvelle" pour que vous puissiez en saisir le goût : savoureux.

« Un compartiment de deuxième classe, banquettes gris souris rayées de vert pâle. Les deux couples de personnes âgées - soixante-dix ans à peu près - ont commencé à se parler à cinquante kilomètres de l'arrivée à Saint-Lazare. Ce genre de convivialité se déclenche toujours vers Mantes-la-Jolie : avant, on ne serait pas sûr d'avoir à dire jusqu'à Paris ; après, l'enjeu de la conversation deviendrait dérisoire. Les vitres sont tout embuées, on est en plein décembre. Il y a eu sans doute en préambule une remarque sur le chauffage, ou l'affabilité du contrôleur. Et puis très vite ils sont venus à l'essentiel :
- Nous avons fait Venise l'année dernière à Pâques. Très beau, bien sûr, mais trois jours de pluie sur une semaine. Heureusement, la chambre de l'hôtel était très confortable. C'était avec Donatello...
- Ah ! il ne faut jamais aller en Italie à Pâques. En mai, oui, mais avril... Déjà, si vous n'avez pas eu d'aqua alta, vous pouvez dire que vous avez de la chance !
Le premier couple opine docilement du chef. Mais on sent bien qu'ils ne vont pas rester prostrés sous cette chape de condescendance. De fait, la petite dame aux doigts améthystés, sanglée dans son confortable pantalon fuseau noir, a tôt fait de contre-attaquer en imposant le séjour égyptien de trois semaines sans le moindre nuage, bateau-cabine sur le Nil, un guide délicieux, petit déjeuner presque trop copieux. Le monsieur kaki tout laine et tout velours la laisse un peu venir, s'assure de la faille et y enfonce un coin pervers :
- Ah ! vous n'avez pas séjourné au Caire ? Pour moi, toute l'âme de l'Égypte est là...
Dès lors, la compétition s'accélère. L'écart entre la forme - amène, caressante - et le fond - didactique, presque blessant - s'accentue sans vergogne. En cinquante kilomètres ferroviaires, les safaris kenyans montent à l'assaut des tableaux de Saint-Pétersbourg, la plage de Porto-Vecchio à la mi-juin lutte courageusement contre les palmiers de Maurice en janvier. Mais la petite dame noire a du tonus. C'est elle qui porte l'estocade, en tirant de sa ceinture une dague assassine :
- L'année prochaine, nous faisons la Finlande en brise-glace.
Déjà le train s'arrête. Encore auréolée de sa victoire, la chevalière du brise-glace se tourne vers un spectateur muet, témoin de son triomphe :
- Jeune homme, mon mari a des problèmes de dos. Pourriez-vous nous descendre la valise ? »

Monique - - 52 ans - 30 septembre 2004


Delerrm est extraordinaire 9 étoiles

J'ai acheté le fameux "Enregistrements pirates". Je ne l'ai pas lu d'une traite, comme ca, de bout en bout. Je lis une ou deux nouvelles par jour. J'adore sa facon de rendre belle et poétique des choses aussi banales que le ronron du réfrigérateur. Il a une facon très belle d'écrire. Exemple :

ONDES PACIFIANTES

Le ronron du réfrigérateur. Une espèce de vibration électrique, à priori monocorde et ponctuelle, dont le déclenchement devrait à la rigueur susciter un vague agaçement. Mais ce n'est pas du tout ça. Pourquoi le ronron du réfrigérateur fait-il du bien ? D'abord, si on le perçoit vraiment - pas seulement par les oreilles, il pénètre le corps entier -, c'est que la cuisine est suffisamment silencieuse, qu'on a coupé la babil fleuve de la radio. Il monte dans des heures suspendues, des heures de rien, milieu de matinée, milieu d'après-midi, il joue sur la profondeur du silence, en donne la conscience en l'abolissant - c'est un bruit qui fait du silence.
Tu ne trouves pas qu'il se met en marche de plus en plus souvent, que ça dure bien longtemps ? Il est trop vieux, ce réfrigérateur, il va nous lâcher, il faudrait le changer. On dit ça, mais on sait bien en même temps que c'est bon d'avoir un vieux réfrigérateur fatigué qui garde au frais les carottes et les poireaux avec la même docilité qu'une antique fourgonette au diesel ronfleur mettrait à les apporter au marché à cinquante à l'heure.
Téléviseur, téléphone, et même sonnerie de la porte d'entrée : tous les bruits, toutes les ondes domestiques agressent, traversent, bouscule. Le ronron du réfrigérateur au contraire émet des ondes pacifiantes, qui font chanter le gondolier sur la boîte de biscuits, donnent une consistance plus moelleuse aux madeleines sous leur Cellophane. L'eau qui bout devient vivante à l'heure du café, le chuintement de la soupe réchauffe à l'avance. Mais l'âme sonore de la cuisine, c'est le ronron du réfrigérateur.

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C'est beau, non ?

Le petit K.V.Q. - Paris - 31 ans - 3 septembre 2004


Douceur de la vie quotidienne 8 étoiles

Philippe Delerm a le goût et le talent de partage des choses simples, nous l'avons découvert avec "première gorgée de bière", il y a aussi beaucoup de tendresse et de poésie dans ses mots (voir le livre Fragiles, écrit avec son épouse). Des tout petits riens qui laissent une saveur particulière et durable dans la tête une fois le livre terminé.
Aucune déception avec ces "Enregistrements pirates", trente-cinq textes irréels et intemporels, avec toujours et encore cette impression de déjà vu, ces instants de vie que l'on connaît tous et qui ne nous frappent pourtant pas lorsque nous les vivons, ne les (re)découvrant que sous la plume géniale de Delerm. Car il n'est pas donné à tout le monde de rendre le quotidien extraordinaire ! Comment rendre attirante une mousseline de crabe sur toast ? Ou séduisante une femme marchant les mains dans les poches avec son chien Place Saint-Sulpice ? Des scènes banales et si riches, autant de détails qui deviennent soudain le centre d'intérêt. Philippe Delerm appartient à cette catégorie d'auteurs qui arrivent à rendre merveilleuse une simple discussion sur le temps qu'il fait. Ce n'est en effet pas pour rien qu'il termine sur Pietro Longi et sa célèbre fabrication de polenta, tout un art et pas uniquement culinaire.
Un de mes amis qualifie l'oeuvre de Delerm de littérature anodine, c'est assez vrai, c'est peut-être parfois répétitif mais ça ressemble chaque fois à une bouffée d'oxygène bienvenue.

Sahkti - Genève - 50 ans - 4 mai 2004


Ecrire le bonheur... 6 étoiles

Ce n'est certainement pas chose facile ! C'est ce que fait Delerm dans toute sa série de petits livres et avec beaucoup de talent et de succès. Ce dernier n'est cependant venu qu' après "La petite gorgée de bière..." alors qu'il en avait déjà écrit pas mal avant.

Pour beaucoup, le bonheur se vit et ne s'écrit pas. Qu'est-ce d'autre qu'une accumulation de petites choses, d'instants fugaces parfois plus rapides que l'éclair. Un sourire, un rayon de soleil qui traverse des nuages, un parfum soudain, une belle femme qui passe et sourit, une sensation de bien être, l'odeur d'un plat qui mijote en frémissant... C'est un mental en soi que d'être capable de les voir, les sentir, les vivres alors que la majorité des gens sont bien trop enfermé dans leur quotidien que pour avoir cette disponibilité. C'est un talent de vie !

Je ne connais pas, personnellement, de grandes oeuvres construites sur le bonheur autres que sur le cliché classique: "Elle était belle mais pauvre, il était riche et beau. Ils se sont rencontrés, ce fut le coup de foudre, ils vivront riches, beaux, auront de nombreux enfants" L'auteur s'arrête là et ne va pas s'empêtrer dans les maladies, les soucis de riches, les retours de fortunes et les enfants qui se cament !...

Bien sûr les petits bonheurs sont multiples mais de là à ne jamais se répéter...

Il n'empêche, il est bien utile que quelqu'un écrive pour rappeler que tout cela existe vraiment.

Jules - Bruxelles - 80 ans - 21 février 2004