Présence à la nuit
de Nelly Sachs

critiqué par Septularisen, le 4 janvier 2016
( - - ans)


La note:  étoiles
Et je pose en hésitant mon pied sur la corde vibrante de la mort déjà commencée
LE CYGNE (Der Schwan)

Rien
sur les eaux
Et déjà est suspendue au battement des yeux
la figure d’un cygne
qui s’enracine dans l’onde
grimpe
et de nouveau s’incline
Absorbant la poussière
et prenant avec l’air
mesure de l’univers

La vie de Nelly SACHS commence véritablement le 16 mai 1940. Ce jour-là, grâce à l’intervention de son amie, l’écrivaine suédoise Selma LAGERLÖF - l’auteur du fameux « Le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède » (déjà critiqué sur CL) et Prix Nobel de Littérature 1909 -, elle parvient de justesse à échapper à la monstruosité de la fureur nazie, et à partir en exil en Suède.
Son exil durera... Toute sa vie, car elle s'installera définitivement à Stockholm, refusant de retourner vivre en Allemagne, même après la fin de la Deuxième Guerre Mondiale.

Ce jour-là, sa poésie devint aussi tragique que l’histoire de son peuple, dont elle ne cessera dès lors d’être la voix (dans la langue des bourreaux de son peuple...), dans le monde des vivants. Elle devient alors celle qui écrit pour témoigner et pour que le souvenir ne disparaisse pas.
Comme son grand ami poète Paul CELAN (qui écrivait aussi en allemand), elle est torturée, écorchée vive par le sentiment du « pourquoi moi ? », elle sera dès lors victime de fréquents troubles dépressifs qui la conduiront à faire de nombreux séjours à l’hôpital. Ce qui lui inspirera ce poème « Vor meinem Fenster », où elle décrit tout simplement le spectacle qui s’offre à elle, de sa fenêtre, à savoir un dépôt d’ordures :

A MA FENÊTRE

A ma fenêtre
des pierres, de la mousse, des feuilles fanées dans le sable
Et puis un lacet que l’oiseau funèbre
la nuit avec son bec
déchire en hiéroglyphes toujours nouveaux
Et des morceaux de miroir que raie de noir la félonie

Comment cette Orestie
écrite par d’innombrables pères et mères perdus
et par des fils accablée de meurtres, après décomposition
saura-t-elle être lue ?

Grâce à ton corps quand il écrira lui aussi dans le sable
déclare une main qui
m’effleure le dos
à me glacer

C’est une poésie difficile à lire, symbolique, d’un grand mysticisme et d’une grande tradition juive, sans véritable signification et traduction dans le langage usuel, ce qui parfois la rend hermétique et très obscure au lecteur d’aujourd’hui.
Il faut vouloir la lire, la relire et la comprendre et attendre qu’elle se révèle à nous… Faire preuve d’empathie, et que l’émotion nous submerge.

On est frappé par la pureté de la langue de Nelly SACHS, qui reflète indéniablement la pureté de ses snetiments. Elle nous parle souvent de lumière, de poussière, de pierres, de l’air, de l’eau, de routes, de foi, de mystères, du divin, des mots, et surtout, surtout de ceux qui sont absents !... Car on l’aura compris ces poèmes sont le plus souvent en mémoire de ceux qui ne reviendrons jamais des camps de la mort.

Mais, laissons donc maintenant la parole au poète, avec « Vergebens ». Nelly SACHS nous parle ici de son fiancé, mort en camp de concentration et dont jamais, au cours de toute sa vie, elle ne révélera le nom.

VAINEMENT

Vainement
se consomment les épitres
dans la nuit des nuits
sur le bûcher de la fuite
Car fustigé dans le martyre
l’amour se débat hors de ses ronces
et déjà de ses langues de feu
il baise son ciel invisible
quand la gardienne de nuit projette au mur les ténèbres
et que l’air
frémissant de prémonitions
sous la corde que fait siffler le poursuivant
récite cette prière :
Attends
qu’après avoir quitté le désert flamboyant
les lettres reviennent à leur sens originel
pour être mangées par les saintes bouches
Attends
que la géologie immatérielle de l’amour
se crevasse
Et que son règne rayonnant
sous le feu des doigts béats
retrouve le sens de ce mot premier
Caractères là sur le papier
qui chante à l’agonie :
Au début
Il y eut
Il y eut
Mon bien-aimé
Il y eut

Nelly SACHS a été lauréate du Prix Nobel de Littérature en 1966.