Courts, toujours ! de Éric Dejaeger

Courts, toujours ! de Éric Dejaeger

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Débézed, le 12 janvier 2016 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 719ème position).
Visites : 3 768 

Contes brefs

Elle court, elle court toujours à belle vitesse la plume d’Eric Dejaeger, elle pond des recueils et autres ouvrages à une belle cadence mais j’arrive encore à la suivre, je viens juste de terminer ce dernier titre fraîchement sorti des presses. Et c’est encore une nouveauté pour moi, je connaissais l’Eric poète, aphoriste, auteur de polars et romans noirs, nouvelliste mais cette fois je ne sais pas trop où le classer, peu importe, il est inclassable. Il s’agit d’un recueil de textes courts, très courts, « 150 contes élagués » comme il l’indique lui-même en sous-titre, des épures d’histoire où il ne reste que l’absolu nécessaire pour que l’auteur comprenne et apprécie : quelques lignes, une demi-page, voire exceptionnellement une page.

Des micro-nouvelles qui racontent toujours un événement surréaliste, burlesque, fatal, cynique, comme une forme d‘hommage aux surréalistes belges qu’Eric admire tellement (c’est tout à fait révélateur que ce recueil soit dédié à John Ellyton qui en a même rédigé la préface) avec un petit clin d’œil au Anglais qui manient tellement bien l’humour noir. Eric, en cette période de tension et d’angoisse, n’a rien perdu de sa verve humoristique cynique et lapidaire, il dézingue à vue même les plus innocents car on peut rire de tout quand on a du talent.

« Il consulta à nouveau sa montre : le train avait maintenant dix minutes de retard. A refaire, il aurait bien pris un oreiller. Le rail sous sa nuque le faisait souffrir. »

« - Freine ! Mais, freine, hurla-t-elle.
- Impossible ! Souffla-t-il en se raccrochant à son épouse.
Le choc fut terrible. Le Prêteur sur gages eut à peine le temps de se rendre compte des conséquences de l’usure sur les plaquettes de frein. »

Et, comme en forme de conclusion, cette projection hypothétique mais pas impossible : « Petit à petit, le genre littéraire appelé « conte bref » connut un succès si marquant que les romanciers établis en arrivèrent à limiter leurs embêtantes créations à vingt page ». Pourquoi pas ? Alors, court toujours Eric tu ne rêves peut-être pas même si le succès peut comporter certains risques : « Il était écrivain non seulement à succès, mais prolifique. Un nouveau roman de plus de quatre cents pages paraissait tous les trois mois ? Très gros tirage ! Traductions en plusieurs langues avec d’autres gros tirages à la clé. Il en était arrivé à ne plus compter ses ventes en millions d’exemplaires mais en mètres cubes de papier.
Il trouva la mort au cours d’une promenade en forêt, écrasé par un jeune hêtre d’apparence très saine. Il n’y avait pas un souffle de vent. » A ta place, je me baladerais dans « la morne plaine » dépourvue de jeunes hêtres et autres futaies.

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La vie, vite!

8 étoiles

Critique de Kinbote (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans) - 16 janvier 2016

Voici cent cinquante textes menés tambour battant qui viennent compléter les deux opus parus dans les années 2000 chez Memor de John Ellyton (qui signe ici la préface) et qu’avaient justement salué Jacques Sternberg par ces mots : « Dejaeger m’a immédiatement fait penser à un pro du raccourci, un virtuose de l’ellipse, un rechercheur, non pas des fioritures ou des arabesques, mais plus simplement de la chute finale, du choc imprévu. Ou même du gag brutal ».

À la lecture de ces nouveaux contes élagués, on se demande si le conte bref façon Sternberg & Dejaeger n’a pas directement à voir avec la mort, si faire court, ce n’est pas interroger l’inévitable brièveté de la vie sinon du caractère cruel de son arrêt. Tant les fins fatales ici se succèdent en un percutant catalogue des disparitions, sur un mode allègre car, en coupant court, Dejaeger tire le jus et le sel de la vie, et c’est forcément doux-amer.

Dans cette liste d'humour noir résonnent donc en manière de répit, pour reprendre son souffle, des appels à la vie et à une poésie sans afféterie (qui rappellent alors l’auteur des Contes de la poésie ordinaire).

On retrouve comme dans les précédents recueils de la trilogie ce goût de railler les usages et usagers des nouvelles technologies, la vaine renommée littéraire ou les tics sociétaux (cette fois, les régimes amaigrissants) et, pour le dire autrement, toutes les formes d’illusion humaine censées masquer le caractère irrémédiable de nos existences comme de nos espérances. En cela, Éric est un signaleur de leurres, un démystificateur aussi bien qu’un fameux réducteur de textes.

De L’Amélioration au dernier texte intitulé Le Zèle, on aura ainsi parcouru 150 nouvelles jivarosseries; on aura ri, de toutes les couleurs, on aura été surpris, parfois touché, ou, encore, on sera resté coi. Comme dans toute vie qui se respecte. Ou pas.

Un conte bref tiré du recueil, L'INFUSION

Il était seul dans l'officine. Il demanda une boîte de camomille. Dès que le pharmacien la lui eut remise, il sortit un revolver muni d'un silencieux et tira deux fois dans le coeur de l'homme. Il se précipita chez lui et se fit une infusion aux propriétés apaisants, la seule à pouvoir calmer sa nervosité chaque fois qu'il trucidait un pharmacien.

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