Une poésie militante et amoureuse

Fariba Hachtroudi est une romancière iranienne contemporaine. Ce recueil, dont la préface très élogieuse de Gil Jouanard souligne le courage face à l’obscurantisme religieux, alterne des poèmes militants, encensant la force et la patience des femmes, et les poèmes amoureux, qui célèbrent une sensualité à fleur de peau. L’écriture, rythmée par la rime et la brièveté des vers, est très visuelle et chargée d’émotions ; elle encense la femme, notamment la jeune fille, ou exprime avec véhémence des indignations nourries de choses vues et vécues, tel le mariage forcé des fillettes ou l’emprisonnement d’une avocate iranienne (Nasserine Sotoudeh) défenseuse des droits de l’homme :

« Nymphe » : La musique du monde bat tambour / Sur une goutte de lumière / En polyphonie rouge-gorge / Sur la pierre blanche au dos violet et vert / Et toi au centre d’un cœur en feu / Tu danses ma fillette / Dans ta jupe d’eau claire / Des yeux tendres de ton père.

« La mariée de l’enfer » : Elle avait neuf ans / Elle fut mariée / Avec sa poupée / A l’homme édenté / Elle avait neuf ans / Elle s’appelait Laleh / Elle fut enterrée / La môme sacrifiée / A l’homme édenté / Des noces sanctifiées.

« Oubli » : Dès lors le silence criblé des geôles / Mitraille les violences sanctifiées / Alep Evin Sana’a et Homs / Sais-tu amie d’Eden à l’enfer / C’est le cauchemar de Dieu / Qui hante notre purgatoire

L’écriture est directe et porteuse de messages, dont l’affirmation s’appuie sur des images poétiques jouant le rôle de caisse de résonance pour accentuer la colère, l’indignation ou la tristesse qui teintent les poèmes militants. Néanmoins, par rapport à d’autres poètes du monde perse ou arabe (notamment Adonis), elle manque de souffle et reste à la surface des émotions, sans vraiment parvenir à donner un écho aux drames qu’elle évoque et à les inscrire dans la perspective d’un rapport au monde. S’impose le sentiment de lire des poèmes de circonstances composés, sans recul ni maturation, sous le coup d’une émotion où la poésie ne serait qu’un exercice de mise en forme… La composition de tous les poèmes est d’ailleurs fortement circonstanciée, par la date et le lieu d’écriture, qui souligne les nombreux voyages de l’auteure. Il se peut qu’elle cherche à s’affirmer ainsi comme citoyenne du monde mais ce procédé suscite davantage une impression de carte postale.

La poésie amoureuse est plus ambitieuse. Les poèmes sont plus longs, plus amples et aussi plus personnels, voire intimes. Ils sont marqués par une dimension sensuelle très forte, avec des échos saphiques accentués par les encres d’Anne Corel, qui esquisse des corps féminins voluptueux comme englués dans un tourbillon de ténèbres :

« Déesse » : La peau salée d’oubli / Blottie sous les paupières / Je te rêve ma déesse / Ton corps mon univers / Ta nudité ma foi / Mains insoumises / Flancs de sable / Seins blessés par l’outrage du conquérant / (…) / Déesse Femme / Au sexe de glaïeul (…)

« Rome de nos amours » : (…) Par amour pour toi / J’ai rattrapé le temps / Et pour toi par amour / L’arrêterai à présent / Je parerai tes seins / De minutes étoilées / Nuque ou paume vrillée / Aux courbes de tes reins / Bouche scellée / Au duvet de ton sexe (…)

L'auteure est une femme qui s'exprime avec franchise et passion. Néanmoins, comme dans ses poèmes militants, la poésie de Fariba Hachtroudi reste malheureusement trop superficielle : elle se contente d'images et ne creuse pas dans l’épaisseur du langage pour interroger le pouvoir des mots et créer la profondeur et la distance nécessaires pour résonner durablement dans l’esprit du lecteur… A lire sur CL les critiques de ses autres livres, il est probable qu'elle soit avant tout une romancière.

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  Abysses [Texte imprimé] poèmes, Fariba Hachtroudi encres, Anne Cotrel

  de Hachtroudi, Fariba Cotrel, Anne (Illustrateur)
  Chèvre-feuille étoilée éd. / D'un art, l'autre
  ISBN : 9782367950068 ; 15,00 € ; 24/10/2013 ; 1 vol. (63 p.) p. ; Broché

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