Les Effrois de la glace et des ténèbres
de Christoph Ransmayr

critiqué par Débézed, le 7 février 2016
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Prisonniers des glaces
Brrr !!!! Je suis enfin sorti, congelé et terrifié, de l’enfer glacé du Grand Nord et de ce roman où, son auteur, selon une note liminaire, « raconte deux histoires à la fois parallèles et imbriquées, encadrées l’une dans l’autre et constamment reliées par le biais d’un narrateur omniprésent... D’une part, le voyage en 1981 de Joseph Mazzini, personnage fictif vers le cercle polaire arctique et, d’autre part, l’épopée de l’expédition Payer-Weyprecht » qui resta bloquée deux ans an nord de la Nouvelle-Zemble et découvrit en août 1873 la Terre François-Joseph à plus de 79° de latitude nord.

Ce roman est presque un récit d’expédition, il propose de nombreux textes documentaires évoquant le contexte et l’expédition, il cite notamment de larges extraits des écrits des acteurs mêmes de l’aventure notamment Payer, Commandant de l’expédition sur terre, et Weyprecht, Commandant de l’expédition sur mer, mais aussi de Haller, premier chasseur, et de certains autres membres de l’équipage. Le texte est en majeure partie consacré à la tragique épopée des marins de l’Admiral Tegetthoff qui s’aventurèrent vers des latitudes où personne n’était encore allé, dans des conditions qui peuvent apparaître au-delà de l’extrême. Le voyage de Mazzini occupe relativement peu de place dans le roman et n’est là, à mon sens, que pour apporter une couleur romanesque au texte sans rien ajouter au récit du voyage des aventuriers. Le lecteur s’attache inéluctablement au sort de ces pauvres bougres perdus au milieu de l’immensité la plus hostile avec des moyens techniques encore bien sommaires, frissonne avec eux, souffre avec eux, gèle avec eux, dépérit avec eux, tombe malade, subit la nature dans toute sa furie.

Ce texte écrit tout à la gloire de cette expédition austro-hongroise qui reçut un triomphe à son retour mais qui fut bien vite oubliée, certains lui contestant même l’existence des terres découvertes, met en évidence la folie de celui qui conduisit ses troupes au-delà des limites de l’humanité. Mais ceci semble être le propre de tous les grands découvreurs qui moururent en chemin ou découvrirent de nouvelles terres, de nouvelles routes, de nouveaux passages ou gravirent des sommets jusque là inaccessibles.

C’est plus un livre d’aventure qu’un roman même si l’expédition solitaire de Mazzini apporte une touche fictive à ce récit très pragmatique. L’auteur liste même les passagers à bord du bateau, chiens y compris, dresse la biographie des principaux membres à bord, recense les diverses expéditions qui ont essayé de forcer le passage de l’est ou de l’ouest pour rejoindre l’Atlantique et le Pacifique. La note fictive est apportée pour mesurer ce qui fut à l’aune de ce qui aurait pu être. « Ce récit est un procès du passé, un examen attentif, une pesée, une supposition, un jeu avec les possibilités de la réalité. Car la grandeur et le tragique, de même que le ridicule de ce qui s’est passé se mesure à ce qui aurait pu se passer ».

J’aurais aimé que ce texte souffle un peu plus fort le vent de l’aventure, de l’épopée, on sent bien la météo qui se déchaîne mais le ton reste, à mon avis, trop documentaire, le tourbillon glace, terrorise mais n’emporte pas. Ransmayr reste sur le plan pratique, cherche l’intérêt que peuvent avoir de telles expéditions, s’interroge sur leur sens et leur coût en souffrance et en vies humaines. « Il est temps de rompre avec de telles traditions et d’emprunter d’autres voies scientifiques plus respectueuses de la nature et des hommes. Car on ne saurait servir la recherche et le progrès en provoquant sans cesse de nouvelles pertes en hommes et en matériel ». Et pourtant, il faut toujours un grain de folie, parfois même un gros grain, pour que le monde bouge, avance, regarde derrière les portes, derrière les montagnes, au-delà des mers et des glaces et que les pionniers emmènent l’humanité vers son avenir.